Intervention de Sébastien Lecornu

Séance en hémicycle du mardi 30 mai 2023 à 15h00
Programmation militaire 2024-2030 — Article 5

Sébastien Lecornu, ministre des armées :

La question s'est évidemment posée, en son temps – après tout, toutes les administrations les prennent en charge sur leur budget.

Tout s'explique par le caractère opérationnel de l'usage des carburants. C'est d'ailleurs à ce titre que j'émettrai un avis défavorable à certains des amendements qui suivent, et qui tendent à élargir le dispositif à toutes les sources d'énergie. Faire fonctionner une base aérienne ou un régiment est une chose, assurer l'approvisionnement en carburant de la force Barkhane ou de mission Aigle actuellement déployée en Roumanie en est une autre. Il s'agit de bien dissocier ces deux types d'usage, car le mécanisme prévu à l'article 5 ne concerne que le carburant à finalité opérationnelle.

Il s'agit d'éviter une mauvaise gestion qui amènerait à calibrer l'activité des forces en se fondant sur une approche budgétaire : en clair, c'est bien la nécessaire dépense en carburant qui doit générer la facture, et non l'inverse. Au ministère des armées, j'ai pu constater qu'on avait ouvert des crédits supplémentaires pour 50 millions d'euros en 2021, et 150 millions en 2022. Le redéploiement de la mission Barkhane et les diverses missions de réassurance du flanc oriental de l'Europe ont créé des besoins en carburants opérationnels : les vols de Rafale qui décollent depuis l'Hexagone pour se rendre en Estonie ou en Roumanie en sont les exemples les plus évidents.

De fait, à aucun moment – pour la mémoire de nos débats, comme nous le disions la semaine dernière, il importe de le répéter – nos forces ne doivent être contraintes par le budget consacré aux carburants. Un aviateur, par exemple, disposera du temps nécessaire pour mener à bien sa mission ; tel est notre modèle d'armée, notre modèle d'emploi, avec des gens qui prennent des risques.

En revanche, programmer les choses équivaut à les fixer, ce que nous faisons de plus en plus avec le temps. Je l'ai suffisamment rappelé la semaine dernière : les lois de programme des années 1960, ancêtres de nos lois de programmation, ne concernaient que les équipements majeurs liés à la dissuasion, puis y sont entrés les grands équipements de manière générale, et ainsi de suite jusqu'à ce que nous traitions dans ce cadre des effectifs, du titre 2 – les dépenses de personnel – ou de l'innovation ; le rapport annexé est d'ailleurs foisonnant en la matière.

Le législateur a fini par se dire que, si programmer vise à protéger, le faire excessivement risque d'abîmer. De là, au sein de la programmation militaire, deux éléments désormais toujours mobiles et dont je vous propose qu'ils continuent de l'être : d'une part les Opex, car – encore heureux, me direz-vous – ce sont les décisions opérationnelles qui déterminent le budget et non l'inverse ; d'autre part les carburants, ce qui en constitue le corollaire.

Enfin – vous excuserez la longueur de cette intervention, qui me permet de répondre également aux orateurs inscrits sur l'article –, si l'activité des forces n'est pas linéaire, le prix du baril ne l'est pas non plus. C'est là une particularité de ce sujet. Monsieur Salmon, vous avez ainsi évoqué la question des munitions individuelles : leur prix reste suffisamment prévisible pour qu'elles puissent entrer dans le cadre de la programmation. En outre, en cas d'activité des forces… excusez-moi, en cas de guerre, il n'y a pas d'autre solution que de revenir devant le Parlement pour ouvrir des crédits. Toute situation exceptionnelle l'exige : la crise du covid-19 l'a démontré, durant laquelle vous n'avez cessé de siéger.

Il est facile de programmer financièrement les stocks de munitions ; il est quasiment impossible d'en faire autant des carburants, compte tenu, je le répète, de la fluctuation de leur prix sur les marchés. Il faut faire le distinguo. S'agissant des munitions, un problème signifierait que nous n'avons pas acheté assez de munitions et/ou que, si nous décidons de les acquérir en gestion, les industriels ne seront pas en mesure de nous en fournir assez. Nous en revenons aux débats que nous avons eus, que nous aurons de nouveau tout à l'heure, touchant l'économie de guerre. Tel quel, le dispositif relatif aux seuls carburants fonctionne bien et, jusqu'à présent, il a donné satisfaction ; y intégrer trop de choses le fragiliserait. C'est pourquoi j'émettrai un avis défavorable à l'amendement de suppression.

Quant aux budgets des collectivités territoriales, monsieur Roussel, je les ai suivis, j'y ai même contribué. J'ai présidé un service départemental d'incendie et de secours (Sdis) : il n'existe pas de situation on subordonnerait les sorties d'une ambulance ou d'un véhicule de secours à personnes à la ligne budgétaire ayant trait au carburant. Bien que leur champ d'action ne soit pas le même, les élus locaux disposent également de mécanismes budgétaires qui leur assurent la souplesse nécessaire, certes moindre que celle du ministère des armées, mais existe-t-il une situation qui soit comparable à la guerre ?

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