Intervention de Stéphane Mallard

Réunion du mercredi 17 mai 2023 à 14h00
Commission d'enquête relative aux révélations des uber files : l'ubérisation, son lobbying et ses conséquences

Stéphane Mallard, entrepreneur et conférencier :

Le monde dans lequel nous entrons est en train de tout transformer en commodités : plus rien ne comptera économiquement, mis à part la très haute valeur ajoutée, qui est liée à la manipulation des données. La très haute valeur ajoutée réside dans la capacité à relier les informations : c'est ce qui se passe quand on fait une découverte scientifique ou qu'on trouve un nouveau médicament – après avoir effectué des corrélations, établi des liens de cause à effet. Comprendre le lien entre des informations, c'est ce qui crée le plus de valeur aujourd'hui. En termes de secteurs économiques, ce sont dans les biotechnologies et l'informatique, en particulier l'intelligence artificielle, que l'on crée actuellement le plus de valeur. La marge des entreprises en termes de rentabilité se situe sur ce créneau. Tout le reste est de la commodité.

Le pire est que la manière des humains de traiter l'information deviendra, elle aussi, une commodité, qui ne vaudra plus rien économiquement. Prenons l'exemple des médecins : avec l'intelligence artificielle, l'expertise médicale deviendra un service de base sans valeur économique. On peut imaginer que 1'euro dépensé chez un médecin se décompose, à peu près, en 70 centimes d'expertise médicale qui rémunèrent des études et un vrai savoir, 20 centimes de relation humaine, qui nous rassure, et 10 centimes d'autorisation juridique de prescrire des médicaments ; avec les nouvelles technologies, en particulier l'intelligence artificielle, toute la partie liée à l'expertise et au diagnostic disparaît et le prix de la consultation ne sera plus que de 30 centimes. Voilà ce qu'est la transformation en commodité du service apporté par le médecin, comme fut celle du service effectué par le chauffeur. Tous les métiers seront touchés par cette évolution, y compris le mien, et le vôtre : l'intelligence artificielle suggérera demain des canevas de politiques publiques, qui vous expliqueront ce qu'il faut faire pour atteindre les objectifs que vous aurez fixés.

La connaissance est devenue une commodité avec internet ; ce sera au tour de l'expertise de le devenir avec les algorithmes et l'intelligence artificielle. Le but des entreprises est d'accélérer ce mouvement. Pour Uber, cela veut dire connaître les clients, les lieux où ils se trouvent et leurs déplacements – et peut-être, demain, leur proposer de transporter ou de stocker des objets, et ainsi court-circuiter La Poste ou les loueurs de conteneurs. En maîtrisant les données, on peut créer beaucoup de valeur. C'est l'économie de demain. On dit des données qu'elles sont le pétrole du XXIe siècle.

La seule chose que vous pouvez faire actuellement pour la transparence, c'est exposer l'objectif pour lequel une intelligence artificielle a été entraînée – rentabilité ou maximisation du temps, par exemple – et les variables qui font fonctionner l'algorithme. En revanche, vous ne saurez jamais comment travaille un algorithme d'intelligence artificielle, parce que le système est trop complexe : des milliards de variables interagissent et se modifient pour faire émerger un résultat très utile et pertinent. Demain, nous monterons dans des avions pilotés par une intelligence artificielle, dont on ne saura pas expliquer la marche ; il restera à s'assurer que l'algorithme est statistiquement meilleur qu'un humain – de la même façon que nous utilisons notre cerveau tous les jours, que nous avons confiance en lui pour effectuer telle action particulière, mais que nous ne savons pas expliquer comment il agit. Ce qui va compter dans le monde de demain ne sera pas de connaître le fonctionnement des algorithmes mais leur objectif et leur fiabilité.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion