Intervention de Hervé Corvellec

Réunion du jeudi 11 mai 2023 à 9h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Hervé Corvellec, professeur à l'université de Lund :

. – Merci pour votre invitation.

Nous savons exactement où va le plastique : 40 % dans les emballages et 20 % dans la construction.

Il existe un paradoxe de la consommation plastique. Les plastiques sont omniprésents. Pourtant, ils sont rarement activement choisis par le consommateur. Le plastique est en effet un accompagnateur discret. Il suit. Par exemple, si vous achetez un concombre biologique, paradoxalement il sera emballé individuellement dans du plastique. De la même manière, si vous disposez d'une automobile, vous utiliserez énormément de plastique, par exemple avec les pare-chocs ou les protections latérales. Le plastique représente actuellement 30 % du poids des véhicules, contre 17 % en 2011. Cette augmentation de la présence du plastique est donc récente.

Il existe quelques exceptions. Il est par exemple possible de choisir des jouets en bois plutôt qu'en plastique, des fenêtres en aluminium plutôt qu'en PVC, ou des lavettes en tissu plutôt qu'en plastique. Je soupçonne néanmoins les lavettes en tissu d'être emballées dans du plastique, ce qui est un paradoxe de plus.

À part ces exceptions, le plastique « suit » l'acte de consommation. Je vais commenter cette photo qui montre un œuf de Pâques. Les petits œufs qu'il contient sont emballés dans un sac en plastique. Les œufs de plus grande taille sont quant à eux emballés dans un autre sac en plastique. Ces sacs en plastique sont placés dans un sac en tissu, lequel comporte des matières en plastique. Ce même sac est situé dans un œuf en plastique. Sur cet emballage est attachée une étiquette au moyen d'un petit fil, lui-même en plastique. La présence du plastique constitue donc un choix de designer, de producteur et de distributeur. En ce sens, pour reprendre les termes de Michel Serres, le plastique est un parasite. Il se nourrit de la présence des autres produits et permet à ces autres produits de fonctionner.

C'est pourquoi j'appellerai le plastique un passeur de qualités. Je me réfère à l'économie des qualités de Michel Callon, lequel explique que les produits représentent un certain nombre de qualités et que c'est pour cette raison qu'ils sont sur le marché. Ainsi, parmi les qualités du plastique figurent la protection barrière, la légèreté et la commodité. Le plastique permet de passer ces qualités à divers produits. Par exemple, le plastique permet de passer la qualité d'abondance. Sur cette photo qui représente les étagères d'un supermarché, chaque produit végétal est emballé dans du plastique pour produire une impression d'abondance, de commodité et d'individualisation des choix au sein des rayonnages. Le plastique permet également de passer la qualité de rapidité. La rapidité est essentielle à la modernité. Nous le savons depuis Paul Virilio, depuis l'omniprésence de la consommation et de l'hypermobilité des matériaux, des produits et des personnes. Le plastique permet en permanence de passer ces qualités. La mobilité et la sécurité constituent les qualités essentielles pour consommer en mouvement et se protéger. Nous nous protégeons avec un casque par exemple, mais pas de la même manière des risques plastiques.

Une qualité essentielle du plastique est sa « jetabilité ». Si nous pouvons arriver à vendre 1,3 milliard de bouteilles d'eau par jour, c'est parce que nous pouvons les jeter ensuite. Les produits plastiques sont produits, dessinés et destinés à devenir des déchets. En ce sens, le plastique participe largement à la normalité du déchet. Cette jetabilité fait partie de l'offre. En effet, quand nous achetons une bouteille d'eau en plastique, nous achetons également la mobilité, la possibilité de se déplacer et d'emmener l'eau avec soi. C'est paradoxal, car nous achetons l'eau et non pas le plastique, mais le plastique permet de consommer l'eau selon la stratégie et les politiques de gestion des entreprises. Cette politique de gestion des entreprises et de distribution de l'eau est basée sur le fait qu'il est considéré comme normal de jeter cette bouteille à la fin de son usage.

Dans cette normalisation du déchet, le recyclage joue un rôle clé. Le lobby européen Plastics Europe, par exemple, est un fervent partisan du recyclage du plastique. Il insiste notamment sur le potentiel et l'importance des développements du recyclage chimique pour surmonter l'un des grands problèmes du recyclage mécanique des plastiques que sont les additifs. Il considère que ce recyclage est un élément clé du passage à l'économie circulaire, elle-même faisant partie de la stratégie verte de l'Union européenne. C'est intéressant : comme au Moyen-Âge où des indulgences permettaient de s'affranchir de la responsabilité de ses péchés, le recyclage permet de ne pas se poser la question « comment faire autrement ? » et il maintient l'illusion qu'il est possible de contrôler le déchet, voire d'en faire une ressource. Cette pensée participe à la limitation de la responsabilité des producteurs, des distributeurs et des consommateurs en matière de production du déchet. Ainsi, le recyclage joue un rôle important de légitimation du déchet et ce, alors même qu'il existe un problème fondamental dans le recyclage du plastique et de manière générale dans son traitement comme déchet : toutes les qualités qui rendent le plastique intéressant pour sa production s'inversent pour son recyclage et le traitement des déchets. En effet, la collecte du plastique est peu rentable, car les coûts de la collecte sont déterminés par les kilomètres parcourus et le temps passé, tandis que les revenus de la collecte sont déterminés par le poids et le prix au kilo des déchets. Lorsque les plastiques sont volumineux, légers et peu coûteux, il devient difficile pour les entreprises de collecte de déchets de financer leur activité en revendant leurs produits. Il s'agit d'un problème fondamental.

Le plastique étant très malléable, il est possible de le retrouver partout, par exemple enrobant du métal ou du verre, ce qui ne permettra pas forcément de le recycler ou de le retraiter. La résistance du plastique à l'eau, aux acides et aux ultraviolets, entraîne une durabilité qui le rend difficile à traiter. C'est pourquoi il se retrouve dans la nature pendant très longtemps.

Les déchets nous renvoient avec une violence lente à notre confiance dans le plastique qui participe à notre bien-être. Cette confiance permanente est accordée du fait de sa jetabilité. Mais cette confiance s'effrite quand le plastique devient déchet.

À cet égard, la cigarette électronique à usage unique constitue une urgence. La cigarette, en plus d'être un défi de santé publique, en particulier chez les jeunes, génère un déchet plastique-métal-électronique, difficile à gérer. Il s'agit d'un excellent exemple de la question de la légitimité de mise sur le marché d'un produit qui génère un déchet systématique. Comment pouvons-nous accorder une autorisation de mise sur le marché à un tel produit ? Accepter cette mise sur le marché revient à accepter que le traitement du déchet soit toujours à la traîne par rapport à la mise sur le marché du produit.

Le déchet plastique, comme le dit Amanda Boetzkes dans son livre Plastic Capitalism, constitue une condition de possibilité du système économique contemporain, que ce soit pour la mobilité, la gestion du risque ou la globalisation. Il n'existe aucun aspect du système économique contemporain qui ne soit dépendant d'un usage intensif du plastique. Cela explique pourquoi l'usage intensif du plastique est omniprésent. La présence du déchet plastique est consubstantielle au développement d'activités économiques en général. Le déchet plastique nous renvoie en permanence aux non-pensées de la production, de la distribution et de la consommation pour les étapes situées après le premier usage. Subsiste l'idée que la personne suivante s'occupera du déchet. Le déchet doit être quelque part traité, neutralisé et contrôlé. Mais ce n'est pas le cas. C'est notamment le défi de l'anthropocène et le défi de la pollution plastique dans les mers, les montagnes ou dans l'air. Nous savons que nous ne pourrons pas continuer à gérer le plastique si une telle production est maintenue. Cette non-pensée pour le déchet nous renvoie à notre appétence pour la rapidité, la praticité, la légèreté et la couleur, à une notion du sans-souci. Le déchet plastique est intimement lié à nos préférences, à nos pratiques et à la production. Si nous voulons traiter le déchet plastique, il sera nécessaire de détricoter le maillage serré que l'industrie du plastique a fait de nos sociétés.

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