Intervention de Frédéric Petit

Séance en hémicycle du lundi 3 octobre 2022 à 16h00
Déclaration du gouvernement relative à la guerre en ukraine et aux conséquences pour la france

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrédéric Petit :

Oui, nos territoires sont belligènes et le resteront. Comment en serait-il autrement ? Sur un isthme assez contraint, tant de nations, de peuples, de religions, de systèmes administratifs, de langues, d'alphabets même, tant de systèmes de valeurs, de nostalgies contradictoires, se sont entrecroisés et s'entrecroisent encore. Après tant de migrations, lentes ou rapides, récentes ou anciennes, spontanées ou contraintes, chacun est aussi légitime que son voisin, voire que son colocataire, si différent qu'il soit.

Deux modèles tentent de répondre à cette question posée depuis des siècles à notre Europe : un modèle impérialiste, rétrograde, souvent violent, qui promeut la domination d'une nation sur les autres, et un modèle coopératif qui prône « l'unité dans la diversité », tourné vers des défis communs et supérieurs. Ce modèle s'appuie sur une gestion humaniste des conflits indispensables à la diversité européenne. Pour lui, l'histoire est un débat scientifique et un outil de rapprochement, l'avenir de la planète est un sujet commun et urgent.

Les masques sont désormais tombés en ce qui concerne la Russie. L'histoire devient une arme au service de l'état-major de l'agresseur, les soldats ne sont plus des citoyens avertis, la langue devient un oukase. Tant que l'impérialisme moscovite se concentre sur sa propre survie, alimente sa nostalgie, comment pourra-t-il affronter les vrais défis du XXIe siècle – la défense de la planète, la lutte contre les inégalités ? Comment pourra-t-il participer, de près ou de loin, à un effort commun ?

On nous accuse souvent d'utiliser de grands mots ; on prétend que le terme de « valeurs » ne pèse rien face à l'hiver qui arrive et aux intérêts réels de nos concitoyens. Pourtant, la guerre rend concrète, évidente, tangible, cette confrontation de modèles, cette confrontation de valeurs. Non, nos valeurs ne relèvent pas d'une novlangue destinée à cacher l'anti-France ou encore la guerre sociale.

Le modèle désormais défendu sans masque par le régime de Moscou, c'est l'assignation à résidence permanente : assignation à résidence dans une langue, dans un récit historique. Les dernières parodies de référendum l'ont prouvé, ces assignés à résidence n'ont même plus besoin d'être chez eux pour que l'empereur leur impose son choix. Nous sommes revenus au temps de Gogol : ce ne sont plus les âmes mortes que l'on fait participer au scrutin, mais les âmes enfuies, les familles réfugiées et déplacées, dont on nous explique qu'elles ont voté.

Fidèles à notre modèle, nous nous battons au contraire pour l'émancipation, contre l'assignation à résidence. L'Union européenne n'est pas l'arrangement tranquille des heures de paix, elle n'est pas une vieille idée avachie de fin de banquet électoral. Cette guerre nous le rappelle. L'Union européenne, c'est une méthode permanente de règlement humaniste des conflits inhérents, voire nécessaires, aux territoires européens. C'est une idée jeune, parfois incomprise. C'est une organisation qui se trompe et commet parfois des fautes, c'est vrai. Mais c'est une idée vitale, indispensable à la diversité européenne, et qui demande à présent de la vaillance de notre part, face aux agressions qu'elle subit, à l'escalade de la violence et au tourbillon de bas instincts qui la menacent.

Défendre cette ligne, ce n'est pas être va-t-en-guerre. C'est être lucide sur ce qu'une paix durable exige de vaillance. Ce n'est pas être « va-t-en-guerre », mais être « bats-toi-pour-la-paix ». Quand bien même ce n'est pas notre guerre, c'est notre confrontation.

Quelles conséquences pour nos concitoyens ? Pour notre rôle de parlementaires français ? Gardons-nous tout d'abord de l'arrogance. Nous avons besoin d'un langage de vérité, et non de certitudes ou de divisions. Ce n'est pas l'arrogance qui permettra la lente construction d'institutions démocratiques fiables, mais l'entraide, la franchise, et toujours le respect.

Si Poutine est en difficulté sur le plan militaire, il est encore efficace sur le terrain politique. Il met à l'épreuve notre constance à défendre nos valeurs, notre modèle et notre avenir. Alors que l'hiver s'annonce difficile et que des partis politiques, par calcul électoral ou par soumission intellectuelle, voudraient mettre un terme aux sanctions et à l'aide à l'Ukraine, il nous faudra tenir notre cap et nos engagements. Il faut poser clairement la question au Rassemblement national : devons-nous abandonner les sanctions économiques contre un régime qui, par exemple, déporte des milliers d'enfants et de civils ukrainiens pour les russifier ? Cela ne serait conforme ni à nos valeurs, ni même à notre intérêt.

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