Intervention de Johnny Hajjar

Réunion du jeudi 20 juillet 2023 à 14h40
Commission d'enquête sur le coût de la vie dans les collectivités territoriales régies par les articles 73 et 74 de la constitution

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJohnny Hajjar, rapporteur :

Nous avons travaillé sur un périmètre constitué par dix territoires, du Pacifique à l'océan Indien. Il est impossible de faire une étude individualisée pour chacun d'eux. Il faut piocher dans le rapport les mesures qui vous intéressent et mettre de côté les autres. Comme nous l'avons écrit, l'évolution institutionnelle est suggérée à ceux qui le veulent. Chacun est libre, en fonction de sa situation, de la volonté populaire, de s'engager vers plus ou moins d'autonomie. Nous avons essayé de couvrir le spectre le plus large possible, mais le rapport n'est ni figé ni exhaustif. Avec le président, nous avons travaillé de manière constructive pour trouver des solutions au problème de la vie chère. Nous souhaitons tous des actions immédiates, mais ce type de mesures réclame du temps.

Monsieur Kamardine, vous ne donnez pas le même sens que moi au mot « peuple ». J'emploie ce terme au sens sociologique et non étatique. À mes yeux, il ne doit pas être associé à l'indépendance, même si les deux concepts ont été liés historiquement. Il faut faire évoluer notre cadre de pensée. Le peuple renvoie à un territoire, une géographie, une culture. En ce sens, on peut parfaitement être français et martiniquais, par exemple. Il ne faut voir dans le terme de peuple aucune connotation négative mais au contraire une démarche d'ouverture. Cela va de pair avec la volonté d'assurer l'égalité des droits et le droit à la différence. L'une n'est pas l'ennemie de l'autre.

Si l'on relève de l'article 74 de la Constitution, on perd les acquis de l'article 73 ; et si l'on relève de l'article 73, on « perd » des leviers institutionnels. Pardonnez-moi, mais je suis choqué que nous n'ayons que deux habits pour vivre toute une vie. Pour vous habiller, vous n'avez pas que deux vêtements ! Et si votre taille ne correspond pas aux tenues que l'on vous propose, vous vous faites faire un tailleur sur mesure. Tout ce que nous demandons, c'est que chacun puisse avoir un vêtement sur mesure, et que l'égalité des droits soit respectée. Certains veulent ressembler davantage à la France, prendre Paris pour modèle : c'est leur droit. Moi, je veux être français, tout en étant martiniquais. Géographiquement, je ne serai jamais à Paris : je vis à 8 000 kilomètres, ma culture n'est pas exactement la même et je ne mange pas nécessairement la même chose que les parisiens, mais je suis français. L'un n'est pas l'ennemi de l'autre : nous ne sommes pas opposés. C'est vraiment une nouvelle conception des choses que je souhaite proposer aux députés de la nation – car je n'ai aucune difficulté à parler de la nation française.

Plusieurs d'entre vous ont évoqué les frais bancaires : ils font bien l'objet de l'une de mes propositions.

Nous proposons de réformer et de simplifier l'octroi de mer. Toute la question est de savoir où mettre le curseur. J'ai entendu que le Gouvernement souhaite le réformer en profondeur et qu'un rapport préconise de le transformer en TVA, mais ce n'est pas le même type de taxe, ni le même type d'outil : le produit de la TVA est versé à l'État central, alors que le produit de l'octroi de mer reste localisé Outre-mer. Tout le monde s'accorde à dire qu'il faut simplifier l'octroi de mer et en corriger certaines anomalies : il reste à préciser comment.

J'aimerais revenir sur le mot « sur-rémunération », que j'ai effectivement choisi de ne pas utiliser, parce que l'expression « prime de vie chère » me paraît plus explicite. On a tendance à oublier que, historiquement, la surrémunération avait un lien avec le coût de la vie. Quand on a accordé aux fonctionnaires travaillant Outre-mer une surrémunération de 40 %, dans les années 1950, c'était pour lutter contre la vie chère. Il me paraît plus judicieux de parler, désormais, de « prime de vie chère ». Et je propose d'en accorder une aux salariés du privé.

Il me paraît nécessaire d'augmenter le niveau des revenus, qui est apparu, au terme de notre travail de fond, comme l'un des déterminants du coût de la vie. On me dit qu'une augmentation des revenus va entraîner une hausse du niveau des prix. Il faudrait donc renoncer à augmenter les revenus ? Ce n'est pas possible ! Augmenter les revenus, c'est augmenter la consommation et, par là, la création de richesse et de valeur ajoutée sur le territoire. Pour que l'économie fonctionne, il faut que l'argent circule. Lorsque je gagne 1 000 euros, je peux dépenser davantage que lorsque je touche 400 euros.

Nous sommes tous d'accord pour dire qu'il faut augmenter la production locale, mais il faut des consommateurs qui aient les moyens de l'acheter. On peut débattre de son niveau, mais il faut une augmentation des revenus. Par ailleurs, je vous invite à bien lire le rapport : je ne demande pas que l'État finance une augmentation des revenus de 20 %, je propose de créer une taxe sur les grands groupes qui font des profits dans nos territoires. Surtout, je pense qu'il faut organiser une conférence sociale, au sein de laquelle tous les acteurs concernés pourront discuter du niveau de cette augmentation et de ses modalités de financement. Il faut prendre en compte les petites entreprises, qui ne peuvent pas assumer ces hausses, et beaucoup d'autres paramètres, mais ce n'était pas au rapport de trancher ces questions.

Monsieur Chudeau, je sais que, pour vous, tous nos maux viennent de l'immigration, mais j'avoue ne pas voir le rapport entre celle-ci et le coût de la vie. Je veux par ailleurs rappeler que l'immigration ne se vit pas de la même manière, selon le territoire ultramarin où l'on se trouve, ce qui nous ramène à la grande diversité des situations locales. À cet égard, je regrette que Mme Estelle Youssouffa soit partie : je lui aurais dit que je ne pouvais pas entrer dans les particularités de chacun des territoires ultramarins. Si je l'avais fait pour Mayotte, j'aurais dû le faire pour tous. Or c'était impossible. C'est d'ailleurs pour cela que je vous invite à déposer des contributions individuelles, décrivant les particularités de chaque territoire, et j'invite Mme Youssouffa à le faire pour Mayotte.

Nous ne pouvions pas tenir compte de son rapport d'information sur l'autonomie alimentaire des Outre-mer, puisqu'il n'a paru que très récemment. Nous avons fait le choix d'utiliser des indicateurs différents mais récemment établis par l'Insee, afin d'être au plus près de la réalité des territoires. Par ailleurs, quand nous avons rencontré les représentants des compagnies aériennes, nous n'étions pas allés à Mayotte et n'avions pas encore analysé la situation d'Air Austral. Mais l'une de nos propositions vise à créer une nouvelle compagnie aérienne par zone océanique, pour développer la concurrence.

S'agissant de l'évolution institutionnelle, je répète que chaque territoire ira où il veut. J'ai proposé un panel de solutions et chacun y puisera ce qui l'intéresse.

J'aimerais, pour finir, vous lire quelques mots de Confucius, qui feront écho au proverbe peul : « Lorsque tu fais quelque chose, sache que tu as contre toi ceux qui voudraient faire la même chose, ceux qui voulaient le contraire et l'immense majorité de ceux qui ne veulent rien faire. » J'ai formulé soixante-huit propositions et je rappelle que ce rapport est un commencement : j'invite tous les groupes à s'en saisir. Ce qui est certain, c'est que l'inaction et le statu quo ne sont pas une option. La situation est dramatique et il faut trouver des solutions au plus vite. J'en ai proposé plusieurs : engager une négociation devant aboutir, dans un délai de douze mois, à une baisse des prix de 10 à 20 % ; organiser une conférence sociale et des états généraux ; rétablir les plafonds de la réduction d'impôt sur le revenu des contribuables ultramarins ; introduire plusieurs mesures d'ordre économique.

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