Intervention de Nicolas Lerner

Réunion du mardi 20 juin 2023 à 21h00
Commission d'enquête sur la structuration, le financement, les moyens et les modalités d'action des groupuscules auteurs de violences à l'occasion des manifestations et rassemblements intervenus entre le 16 mars et le 3 mai 2023, ainsi que sur le déroulement de ces manifestations et rassemblements

Nicolas Lerner, directeur général de la sécurité intérieure :

Si j'exclus les individus interpellés pour des faits de terrorisme dont la motivation est systématiquement idéologique, il y a deux types d'individus parmi les manifestants. Certaines personnes revendiquent au nom d'une cause et assument la violence. Elles ne forment pas la majorité des personnes interpellées pour deux raisons : la plupart sont assez éloignés de ces courants idéologiques ; surtout, rares sont ceux qui, lors de leur audition par les services, assument le recours à la violence. La plupart indique, peut-être dans une stratégie de défense, s'être sentis dépassés. Devant les tribunaux, peu de personnes recherchent une posture de martyr et revendiquent le recours à la violence, ce qui ne garantit rien de ce qu'elles pensent en leur for intérieur. Il y a quelques contre-exemples d'affirmation au nom d'une cause, comme nous en avons vu à Sainte-Soline ou ailleurs.

Pour d'autres, ces manifestations sont une poussée d'adrénaline et une façon de satisfaire une haine recuite de l'ordre établi et des pouvoirs publics, d'exprimer un sentiment de discrimination et d'injustice, et de faire payer la société faute d'y trouver sa place. Des comportements individuels s'expliquent par ce genre de motivations.

Parmi les individus que nous suivons, qui sont idéologisés et susceptibles de recourir à la violence, beaucoup considèrent, notamment dans la période récente, non seulement que la violence paiera, mais qu'elle seule permet de faire prévaloir leurs idées. Qu'il s'agisse de militants ultras de la mouvance environnementaliste ou d'individus convaincus que notre pays se dissout dans l'immigration, tous sont également convaincus de l'inanité du processus démocratique. Il n'est pas illogique que les violences aient commencé six à huit mois après les élections, les militants considérant qu'avoir une centaine de parlementaires ne change rien compte tenu de la cinétique rapide de la menace environnementale d'un côté, migratoire de l'autre. Le temps du politique n'est pas celui de l'action.

À titre personnel, je suis étonné du retour de la réflexion, animée par des penseurs brillants, sur la violence légitime en démocratie. De la violence légitime ou de la résistance passive, éventuellement violente, laquelle a permis aux démocraties de progresser ? Sans ouvrir ce débat complexe, je suis frappé de constater que ce sujet est revenu dans le débat depuis quelques mois. Il se trouve que j'ai servi deux ans en Corse. Certains observateurs considèrent la vague de violences qu'a connue la Corse dans les deux semaines ayant suivi l'assassinat d'Yvan Colonna directement à l'origine du transfèrement d'Alessandri et Ferrandi au titre du rapprochement familial.

Comment réagir ? D'abord, je conseille toujours à l'exécutif de ne pas s'interdire certaines mesures, notamment la dissolution de groupuscules, au motif qu'elles sont susceptibles de provoquer des réactions violentes. Nous disposons de lois qui doivent être appliquées si les conditions en sont réunies.

Quand j'étais en poste en Corse, nous interpellions des individus qui manifestaient devant le commissariat. Jugés quatre mois plus tard, une fois les choses apaisées, ils étaient condamnés. Ainsi va la démocratie : si vous commettez une violence, vous devez en rendre compte. La constance de la réaction est en partie la solution du problème. Le ministre de l'intérieur a tenu des propos forts, selon lesquels nous n'accepterons plus, du moins sous son autorité, la constitution de zones à défendre. Ce message peut avoir des effets dissuasifs.

Tout en prenant note des débats légitimes relancés par la parution du rapport d'activité pour l'année 2022 de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, je considère, parce que je crois profondément que défendre ses idées, en démocratie, doit exclure le recours à la violence et que c'est précisément ce qui nous lie, que les services de renseignement doivent être dotés de prérogatives assumées. Je fais partie de ceux qui estiment que le cadre législatif est adapté à notre action, dès lors qu'il permet de travailler de façon légitime sur certaines mouvances. Il n'est pas moins légitime, et nullement étonnant, que la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement nous refuse le recours à certaines techniques de renseignement. J'y vois le signe, non d'une dérive, mais du fait que la structure dont est dotée notre démocratie joue son rôle en refusant que nous placions sous surveillance des individus appartenant à ces mouvances dans des proportions bien plus importantes que d'autres susceptibles de présenter une menace terroriste, djihadiste par exemple.

Ce jeu, en démocratie, me semble normal. Il ne remet pas en cause la nécessité de doter les services de moyens, comme le montre un bref exercice de droit comparé avec des démocraties ayant une tradition de renseignement comparable à la nôtre. Récemment, au Royaume-Uni et en Allemagne, la justice et les services ont acquis de nouvelles compétences contre les phénomènes violents sur un fondement identique consistant à considérer que, quelles que soient les convictions dont on est animé, le recours à la violence, en démocratie, est exclu par principe.

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