Intervention de Robert Tessier

Réunion du mercredi 12 juillet 2023 à 17h00
Commission d'enquête sur les causes de l'incapacité de la france à atteindre les objectifs des plans successifs de maîtrise des impacts des produits phytosanitaires sur la santé humaine et environnementale et notamment sur les conditions de l'exercice des missions des autorités publiques en charge de la sécurité sanitaire

Robert Tessier, ingénieur agronome :

Il m'a été demandé de présenter les pesticides, d'un point de vue réglementaire en particulier. À cet égard, quelques définitions s'imposent. Tout d'abord, il convient de distinguer les biocides des produits phytosanitaires. Ils sont régis par des réglementations différentes, l'une étant coordonnée par le ministère de l'environnement et l'autre par le ministère de l'agriculture. Les biocides sont destinés à assainir, à tuer les ravageurs ; ce sont des désinfectants et des produits de protection. L'eau de javel est à ce titre un biocide, et non un produit phytopharmaceutique. Les produits phytosanitaires doivent également être distingués des produits de biocontrôle, dont M. Huyghe vient de nous donner la définition.

La protection des cultures ou des végétaux a débuté par des moyens physiques, puis s'est développée avec des produits chimiques – d'abord le cuivre et le soufre – et biologiques – bactéries et virus, greffe, sélection végétale. Les produits phytopharmaceutiques ont quatre rôles établis dans le règlement européen 1107 de 2009 : protéger les cultures, contrôler la croissance, conserver les denrées végétales, détruire. Seule la dernière partie est nécessairement « cide ».

Les processus d'autorisation sont régis par le règlement 1107/2009, qui a succédé aux directives de 1979 et de 1991. Entre 1991 entre 2009, toutes les molécules utilisables en agriculture ont été réévaluées au regard de l'évolution des connaissances scientifiques. Pour l'autorisation d'une nouvelle substance active, les dossiers doivent être déposés à la Commission européenne ; un État membre est alors chargé de son évaluation, au regard d'un usage et de risques acceptables ou non acceptables. L'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) coordonne cette évaluation avec l'État membre et transmet le dossier en comitologie. La Commission peut alors approuver la substance active, qui sera autorisée pour un usage, pour une dose journalière acceptable et avec des précautions d'emploi.

La deuxième étape est constituée par le dépôt du produit phytopharmaceutique en tant que tel – celui qui aura vocation à être commercialisé – par une entreprise auprès d'un État membre. Ce dernier communique l'ensemble des éléments d'évaluation auprès des États membres de la même zone – il existe une zone Sud et une zone Nord en Europe. Ensuite, le produit phytopharmaceutique peut être autorisé, dans des conditions qui seront définies précisément.

Le règlement 1107/2009 avait également pour objectif d'harmoniser les réglementations des États membres. La procédure de la reconnaissance mutuelle permet ainsi à un État membre d'autoriser un produit qui a déjà été évalué dans un autre État membre, sous réserve d'une nouvelle évaluation des risques environnementaux qui lui sont propres. Le règlement définit aussi les produits à faible risque et les substances de base. Il met en place l'évaluation comparative, qui vise à permettre la substitution des molécules les plus dangereuses par une ou plusieurs autres solutions. Par ailleurs, la France a toujours défendu le dispositif des usages mineurs.

Le règlement européen a également ouvert la voie aux permis de commerce parallèle, qui posent des problèmes considérables aux autorités administratives. Quand une autorisation de mise sur le marché est délivrée dans un État membre, les opérateurs peuvent avoir le droit d'utiliser le produit concerné dans d'autres États membres, sous réserve d'une équivalence de produit avec ceux autorisés dans l'État membre de destination. Cela pose un problème réglementaire car, par ce canal, s'introduisent d'autres opérateurs qui ne sont pas des producteurs mais des commerçants de produits phytosanitaires. Enfin, l'article 53 du règlement traite des situations d'urgence, lesquelles rendent possibles certaines dérogations. En situation d'urgence sur un végétal, il est ainsi possible d'utiliser des produits spécifiques, sans autorisation de mise sur le marché, pour une durée maximale de 120 jours.

En termes d'usage, les insecticides et fongicides répondent surtout à des objectifs de rendement, tandis que, pour les herbicides, c'est plutôt une question de concurrence. Globalement, les résultats des produits phytopharmaceutiques sont positifs. Ils ont permis à la France d'atteindre une capacité de production satisfaisante, avec des coûts d'alimentation raisonnables pour les consommateurs, alors même que la population à nourrir a radicalement évolué : auparavant, on nourrissait une population rurale, et l'on doit aujourd'hui nourrir une population urbaine.

Les risques principaux liés aux produits phytopharmaceutiques peuvent être rangés dans quatre grandes catégories :

˗ le risque sur l'eau – eaux souterraines, eaux de surface ;

˗ le risque sur la santé, surtout pour les applicateurs et les riverains, mais aussi pour la population générale, notamment par le canal de l'alimentation ;

˗ le risque sur l'air, même s'il est souvent difficile d'obtenir des mesures de qualité et de distinguer ce qui est imputable aux produits phytosanitaires ou aux produits biocides, que j'évoquais tout à l'heure ;

˗ le risque sur les sols, qui sont malheureusement laissés pour compte, alors même qu'ils sont essentiels pour la fertilité future.

Les outils réglementaires utilisés pour approuver les substances et produits sont indépendants des objectifs du plan Écophyto, ce qui représente une limite très importante, sur laquelle votre commission d'enquête aura l'occasion de revenir. Des progrès doivent également être accomplis en matière de formation et d'information relatives à l'usage des produits phytosanitaires, dans la mesure où ces questions demeurent extrêmement complexes pour les opérateurs.

J'en arrive aux questions de recherche. La question est ici de savoir quelle recherche il convient de mener afin de favoriser la diffusion des alternatives aux produits phytopharmaceutiques. Je pense, par exemple, que nous manquons encore d'éléments pour comprendre pourquoi les agriculteurs n'adhèrent pas plus facilement aux nouvelles technologies.

Cependant, nous avons des raisons d'espérer. La quantité de substances actives utilisées est globalement en diminution et le recours aux produits de biocontrôle augmente. On assiste notamment à une diminution continue de l'usage des produits cancérigènes, mutagènes reprotoxiques (CMR). Si l'on avait arrêté de reclasser les produits phytosanitaires, on n'aurait probablement plus aucun produit autorisé en catégorie « CMR 1 » aujourd'hui. On observe par ailleurs une évolution continue des processus d'évaluation des substances et des produits, au gré de l'évolution des connaissances scientifiques disponibles.

Pour conclure, je rappellerai que ce sont surtout les agriculteurs et les forestiers qui maintiennent la biodiversité en zone rurale. Celle-ci peut également être préservée par des économies de gaz à effet de serre, par la diversification des espaces agricoles et par le maintien de la qualité des sols.

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