Intervention de Christian Huyghe

Réunion du mercredi 12 juillet 2023 à 17h00
Commission d'enquête sur les causes de l'incapacité de la france à atteindre les objectifs des plans successifs de maîtrise des impacts des produits phytosanitaires sur la santé humaine et environnementale et notamment sur les conditions de l'exercice des missions des autorités publiques en charge de la sécurité sanitaire

Christian Huyghe, directeur scientifique agriculture, Inrae :

Je n'ai pas en tête le détail de tous les volumes concernant les produits phytosanitaires. Selon l'indicateur que nous utilisons, les données changent. Un produit est homologué à une certaine dose. Quand on fait un passage, une quantité de substance active est autorisée pour un produit et pour une culture. Quand on divise la totalité des quantités vendues par la quantité autorisée par hectare, on obtient le nombre de doses unités, ou Nodu. Un agriculteur qui passerait une fois à demi-dose aurait 0,5 Nodu par hectare. Cette unité comptable avait été construite avec beaucoup de difficultés au début du plan Écophyto, pour appréhender deux dynamiques entremêlées dans le recours aux pesticides. Entre le début des années 1990 et 2010, les volumes vendus ont très fortement changé : on a remplacé des molécules à fort grammage – c'est-à-dire avec des grandes quantités par unité de surface – par des molécules à très faible grammage. Le Nodu permettait ainsi de prendre en compte, derrière la baisse des quantités vendues, le nombre de doses appliquées par hectare, qui pouvait en réalité rester le même.

À titre d'illustration, lors de la réunion du plan Écophyto qui s'est tenue hier, une diminution significative (de l'ordre de 19 %) des volumes de glyphosate vendus entre 2020 et 2021 a été communiquée mais, dans le même temps, le Nodu a légèrement augmenté. Comment expliquer ces évolutions contrastées ? En 2021, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) a révisé la totalité des doses homologuées sur le glyphosate. Pour ce qui concerne la viticulture, les doses de glyphosate homologuées ont ainsi été divisées par trois. En effet, il a été considéré que l'on pouvait désherber mécaniquement l'inter-rang, le désherbage chimique devant être réservé au cavaillon, qui représente aujourd'hui un tiers de la surface.

Toute la question – et c'était d'ailleurs l'axe I du premier plan Écophyto – est de parvenir à se mettre d'accord sur un indicateur, sur un langage partagé qui permette de regarder dans la même direction. Les Nodu comme les indices de fréquence de traitement (IFT) constituent un élément de pilotage d'une culture ou d'un ensemble de cultures, dès lors que vous avez peu de variation dans les produits utilisés et dans les doses homologuées. La mise en place des indicateurs IFT et Nodu a permis de suivre l'évolution des pratiques. Dans le cadre du réseau des fermes Dephy, environ 3 000 exploitations sont suivies en France depuis 2009. L'évolution des quantités, Nodu ou IFT sur ces cultures a été extrêmement marquée : entre 2009 et 2020, la baisse est de 37 % ; on n'est finalement pas très loin de l'objectif. Mais il est compliqué d'expliquer cette notion de Nodu au grand public. C'est la raison pour laquelle nous utilisons un traceur, le tonnage. Celui-ci pose une difficulté si l'on a recours à de nouveaux produits dont la toxicité individuelle évolue.

Au total, en matière de pilotage du recours aux pesticides, tous les pays européens ont fait preuve de créativité et, mis à part le tonnage, il n'y a pas deux pays qui aient recours aux mêmes indicateurs. Comme notre objectif consiste à réduire à la fois les usages et les impacts des produits phytosanitaires, nous avons besoin de retracer à la fois l'évolution des quantités et la toxicité des produits utilisés. Dans le cadre de la proposition de règlement européen pour une utilisation durable des pesticides (règlement « SUR »), la Commission suggère d'utiliser l'indicateur HR1, qui combine les tonnages et les impacts. Les produits utilisés pour la protection des cultures sont ainsi classés en quatre catégories :

˗ classe 1 (coefficient 1) : les produits peu préoccupants ou produits de biocontrôle, avec un impact sur le milieu jugé faible ;

˗ classe 2 (coefficient 8) : les produits de synthèse homologués en raison d'un impact soutenable sur le milieu, mais qui présentent plus d'incidences que les produits de biocontrôle car ils tuent ;

˗ classe 3 (coefficient 16) : les produits cancérigènes, mutagènes et reprotoxiques (CMR), qui se divisent en une classe 1, plus préoccupante, et une classe 2, sachant que les produits peuvent passer de la classe 2 à la classe 1 au fil des évaluations qui sont réalisées. S'y ajoutent les perturbateurs endocriniens, dont une grande partie sont reprotoxiques ;

˗ classe 4 (coefficient 64) : les produits autorisés à titre dérogatoire, en vertu de l'article 53 du règlement européen.

En appliquant les coefficients susmentionnés aux tonnages des produits achetés, on obtient une valeur HR1. Cependant, cet indicateur est applicable à l'échelle d'un Etat mais pas d'une exploitation agricole. Il ne saurait donc être utilisé pour piloter une exploitation. La question est ainsi de savoir ce que l'on veut faire avec ce que l'on mesure.

Certains produits, classés « CMR 1 », ont dû être retirés alors même qu'ils étaient incroyablement efficaces. Ce retrait ne pose pas réellement question au regard des risques qu'ils présentent pour la santé, à commencer par celle de l'applicateur.

Pour répondre à la question de M. Martineau, les substances d'origine naturelle ne sont pas saines par nature. Il suffit de penser au cyanure, à la graine de ricin ou encore à divers champignons. Les produits de biocontrôle peuvent être produits chimiquement par l'industrie, là n'est pas la question ; leur classement comme produit de bicontrôle tient au fait qu'ils viennent s'insérer dans des processus naturels et que leur impact sur l'environnement est faible voire nul. Par contraste, le sulfate de cuivre a une incidence réelle sur le milieu : l'ion cuivrique Cu++ a un effet biocide très puissant. C'est un problème que nous identifions clairement à l'Inrae, dans le cadre de notre programme de recherche « Produire et consommer autrement » : nous étudions les moyens d'assurer la protection des cultures et donc la production en quantité et qualité de produits répondant aux besoins des consommateurs et aux usages non alimentaires, mais sans pesticides ou substances ayant un impact significatif pour le milieu. Les produits de biocontrôle font également l'objet d'une évaluation, même si elle demeure complexe, du fait de l'étroitesse des marchés de ces produits.

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