Intervention de Christophe Rosin

Réunion du mercredi 6 septembre 2023 à 10h10
Commission d'enquête sur les causes de l'incapacité de la france à atteindre les objectifs des plans successifs de maîtrise des impacts des produits phytosanitaires sur la santé humaine et environnementale et notamment sur les conditions de l'exercice des missions des autorités publiques en charge de la sécurité sanitaire

Christophe Rosin, adjoint à la directrice du LHN de l'Anses :

Comme les huit autres laboratoires de l'Anses, le LHN a un double métier, la recherche et la référence, en vue d'améliorer la qualité sanitaire des eaux de consommation, des eaux minérales et des eaux de loisirs. Laboratoire national de référence (LNR), il favorise la production de données fiables et robustes par les laboratoires agréés, apporte un appui scientifique et technique au ministère des solidarités et de la santé et mène des travaux de recherche et des travaux prospectifs, notamment dans le cadre de campagnes exploratoires pour des polluants encore faiblement surveillés. À ce titre, le LHN a de nombreuses interactions avec les principaux acteurs du contrôle sanitaire des eaux – ministère des solidarités et de la santé, ARS, réseau de laboratoires agréés.

La surveillance des pesticides dans les eaux destinées à la consommation est encadrée par le code de la santé publique et par des arrêtés ministériels récemment révisés en raison de l'adoption de la directive « eau potable ». Le contrôle sanitaire est organisé par les ARS, dans le cadre d'une passation de marchés publics avec des laboratoires agréés, fixant notamment la liste des pesticides qui doivent être surveillés. Ce contrôle réglementaire intervient en deuxième niveau, après la surveillance effectuée par les personnes responsables de la production et de la distribution de l'eau (PRPDE), telles que les communes, les syndicats des eaux et les bénéficiaires d'une délégation de service public (DSP) de l'eau.

Quelques chiffres de ce contrôle sanitaire suffisent à démontrer que l'eau est probablement l'aliment le plus surveillé de France : dans 33 000 captages, 300 000 prélèvements d'échantillons sont réalisés chaque année. Environ 18 millions d'analyses sont menées, dont 11 millions portent sur les pesticides.

Pour mener à bien ce contrôle sanitaire et prendre des mesures de gestion adaptées, nous avons besoin de données robustes et représentatives. Quatre leviers nous permettent de produire des données fiables.

Le premier est la reconnaissance des compétences des laboratoires par le biais d'une accréditation. Aucun laboratoire ne peut faire des contrôles réglementaires s'il n'est pas régulièrement audité et s'il ne justifie pas d'une certaine compétence. Le deuxième est l'agrément que nous délivrons depuis 2021, après avoir vérifié que les performances du laboratoire sont compatibles avec les valeurs réglementaires que nous voulons surveiller, que les méthodes d'analyse sont respectées et que le laboratoire offre des garanties en matière d'indépendance et d'impartialité. Le troisième est l'appui offert par le LNR dans le cadre de l'animation du réseau de laboratoires, sous forme de conseils techniques, de levées de doute en cas de résultats divergents et de propositions de méthodes d'analyse. Le quatrième est la normalisation, notamment par le biais de l'Association française de normalisation (Afnor), en vue d'arrêter des méthodes harmonisées et standardisées, partagées par tous les laboratoires, ce qui permet d'adopter des pratiques homogènes et d'obtenir des résultats comparables.

Ce contrôle sanitaire est évolutif et itératif. Il est basé sur des progrès scientifiques et techniques assez récents. Je l'illustrerai par trois exemples.

J'évoquerai d'abord les produits de dégradation, également appelés métabolites de pesticides, qui sont des molécules issues de leurs substances actives. On considère en général que chaque substance active génère plusieurs métabolites, une dizaine en moyenne. Les métabolites ont la particularité d'être très mobiles et souvent stables dans l'environnement. Dans le bilan annuel de la qualité de l'eau potable publié en 2020, trois des quatre métabolites de pesticides dont la concentration est la plus élevée n'étaient pas surveillés il y a dix ou quinze ans. Les progrès techniques réalisés par les laboratoires permettent de surveiller cette famille de produits de dégradation que l'on recherchait moins bien auparavant.

Par ailleurs, l'amélioration des performances des laboratoires induit un abaissement des limites de détection. Dès lors que nous sommes capables de détecter des teneurs de plus en plus basses, les fréquences de détection augmentent mathématiquement. Il importe donc de garder en perspective les valeurs sanitaires plutôt que les fréquences de détection, qui peuvent présenter un biais. Il est généralement admis que les laboratoires s'améliorent d'un facteur dix tous les dix ans. À l'heure actuelle, ils sont capables de détecter à peu près n'importe quel polluant dans n'importe quelle matrice.

Le dernier axe de progrès réside dans le fait que, si les laboratoires, jusqu'à présent, ne trouvent que ce qu'ils cherchent car ils se concentrent sur certaines molécules, les travaux de recherche en cours développent des approches non ciblées, visant à rechercher sans a priori ni connaissance préalable. Cette méthodologie particulièrement complexe à mettre en œuvre, que les chercheurs s'approprient, ne s'inscrit pas dans le cadre du contrôle réglementaire mais peut lui être très utile. Ainsi, le métabolite R471811 du chlorothalonil, qui a fait couler beaucoup d'encre et a été fréquemment quantifié dans des campagnes exploratoires, a été identifié pour la première fois grâce à une approche non-ciblée.

Ces progrès techniques ont également permis d'établir de nouvelles méthodologies pour les listes de contrôle sanitaire. Si la tendance actuelle est de ne pas rechercher les mêmes molécules dans toutes les régions et dans tous les départements pour tenir compte des spécificités territoriales, l'Anses a été associée à la préconisation méthodologique en faveur d'une harmonisation des pratiques et d'une méthodologie commune pour inclure ou exclure des molécules. Il y a quelques décennies, on avait tendance à surveiller tout ce que le laboratoire savait surveiller, et les listes de pesticides pouvaient inclure 400 ou 500 molécules. De nos jours, l'idée est de chercher moins mais mieux des molécules ciblées en lien avec l'historique des découvertes, avec les autres réseaux de surveillance environnementale alimentant le contrôle sanitaire, avec les activités et les usages agricoles, avec les outils de simulation permettant d'établir des molécules pertinentes, avec les dires d'experts, notamment les alertes de la phytopharmacovigilance, et avec les campagnes exploratoires.

Celles-ci font partie intégrante des missions de l'Anses et spécialement du LHN. Nous mettons périodiquement en œuvre des travaux visant à établir une cartographie de contamination pour des paramètres qui ne sont pas surveillés régulièrement ou pas réglementés. La dernière campagne portant sur les métabolites de pesticides en recherchait une centaine, sur 150 molécules. Les résultats de ces travaux, publiés au printemps dernier, ont mis en évidence certains métabolites très peu surveillés jusqu'à présent. Ils permettent de les introduire progressivement, au fur et à mesure de la montée en compétence des laboratoires, dans les réseaux de surveillance.

En résumé, les progrès analytiques de la dernière décennie ont été très importants. Ils ont permis d'améliorer la connaissance des niveaux de contamination dans l'eau, avec un focus très particulier sur les produits de dégradation, qui sont une famille de mieux en mieux surveillée. Parmi les nombreux enjeux d'avenir, citons les apports des approches non ciblées, qui permettront d'enrichir la surveillance, le devenir des pesticides en réseau de distribution dès lors que les produits de dégradation peuvent réagir avec le chlore et disparaître ou se transformer. Les résultats des 11 millions d'analyses de pesticides menées chaque année doivent être mis en perspective d'une évaluation des risques sanitaires robuste.

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