Intervention de Jean-Noël Barrot

Séance en hémicycle du jeudi 5 octobre 2023 à 21h30
Sécuriser et réguler l'espace numérique — Après l'article 4

Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé du numérique :

Je voudrais prendre le temps, monsieur le député, d'expliquer les motifs de ma demande de retrait – à défaut, l'avis sera défavorable – de votre amendement. M. Patrick Chaize, rapporteur de la commission spéciale du Sénat, avait déposé un amendement similaire, qui imposait lui aussi l'obligation aux plateformes de retirer en moins de deux heures des contenus d'incitation à la violence et à la haine. Il l'a finalement retiré avant son examen, compte tenu de la certitude de la censure du Conseil constitutionnel. Ce dernier avait en effet déjà censuré deux dispositions de la loi du 24 juin 2020, dite loi Avia, visant à imposer le retrait des contenus violents en moins de vingt-quatre heures et des contenus terroristes en moins de deux heures. Il avait jugé, pour la première fois, que l'imposition de délais trop court présentait un risque de surmodération des plateformes : par précaution, afin d'éviter les sanctions légales, elles pourraient retirer les contenus signalés de façon indiscriminée, ce qui représenterait une atteinte disproportionnée à la liberté d'expression.

Après le retrait de cet amendement au Sénat, nous avons, avec l'accord de MM. les rapporteurs et de Mme la présidente de la commission spéciale du Sénat, constitué un groupe de travail avec les rapporteurs et les présidents des commissions spéciales de l'Assemblée nationale et du Sénat, auquel les députés et les sénateurs de tous les groupes ont été invités à participer. Je voudrais maintenant dresser un rapide bilan des travaux de ce groupe de travail.

Nous avons tous le sentiment que les réseaux sociaux ont, d'une manière ou d'une autre, joué un rôle lors des épisodes de violences urbaines de juin et juillet derniers, qui ont motivé le dépôt de cet amendement. Le groupe de travail nous a permis de mieux le comprendre. En effet, le DSA, entré en vigueur le 25 août 2023, encadre l'activité des grandes plateformes. Ses articles 34 et 35 leur imposent d'analyser et de corriger le risque systémique qu'elles font peser sur leurs utilisateurs, y compris dans le domaine de la sécurité publique ; son article 36 donne à la Commission européenne la capacité d'exiger, dans des situations graves, non pas qu'elles retirent des contenus, mais qu'elles modifient la structure de leurs algorithmes et leur fonctionnement.

Nous avions tous connaissance de ces dispositions protectrices, mais nous manquions d'éléments tangibles permettant de mesurer le rôle des réseaux sociaux lors de la semaine de la fin du mois de juin et du début du mois de juillet. Nous avons obtenu des données montrant que 15 % des contenus diffusés sur les principaux réseaux sociaux durant cette semaine étaient liés aux violences urbaines : c'est considérable, mais ce n'est pas 100 %. Des mesures trop restrictives auraient donc potentiellement entraîné la censure de 85 % du contenu diffusé pendant cette période, alors qu'il n'était pas lié aux émeutes. Nous avons ensuite affiné ces données et constaté que, parmi les contenus liés aux émeutes, les dénonciations des violences et les appels au calme étaient huit fois plus importants en volume que les incitations à la violence et à la haine. Une obligation trop stricte de retirer certains contenus aurait pu avoir pour conséquence d'amener les plateformes, en surmodérant, à censurer des appels au calme ou dénonciations des violences.

Votre amendement crée un problème, celui de sa constitutionnalité, sans être de nature à résoudre celui qui a motivé son dépôt. Aussi, le Gouvernement, après avoir entendu les propositions des uns et des autres, a déposé deux amendements pour renforcer la peine complémentaire de bannissement prévue à l'article 5 : le premier prévoit de sanctionner par une amende toute personne cherchant à contourner cette peine, le second, comme l'a dit Mme la rapporteure, d'ajouter à la liste des délits qui en sont passibles celui de provocation à la haine et à la violence non suivie d'effet. Un troisième amendement – malheureusement déclaré irrecevable, mais que nous espérons pouvoir finalement soumettre à votre examen – prévoit la création d'une réserve citoyenne du numérique…

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