Intervention de Christophe Bourseiller

Réunion du jeudi 29 juin 2023 à 8h35
Commission d'enquête sur la structuration, le financement, les moyens et les modalités d'action des groupuscules auteurs de violences à l'occasion des manifestations et rassemblements intervenus entre le 16 mars et le 3 mai 2023, ainsi que sur le déroulement de ces manifestations et rassemblements

Christophe Bourseiller, essayiste, auteur de Nouvelle histoire de l'ultra-gauche :

Le terme black bloc ne renvoie pas à un groupe spécifique mais à une technique plus ou moins aléatoire de constitution d'un bloc autonome en milieu urbain ou rural, même si le phénomène des autonomes, initialement, est urbain et ancien. La première apparition violente, dans les rues, d'un courant antiautoritaire date de mai 1971.

Pour comprendre l'histoire de l'ultragauche, il convient de se référer à cette figure tutélaire que fut Guy Debord, fondateur d'un mouvement d'artistes et de théoriciens, l'Internationale situationniste. Il importe, de ce point de vue, de ne pas confondre l'extrême gauche et l'ultragauche. L'extrême gauche est constituée d'un ensemble de courants qui se distinguent de la gauche traditionnelle ou de la gauche de la gauche par leur caractère révolutionnaire, par la volonté d'arriver au pouvoir après une révolution violente. Deux grands ensembles se détachent.

Tout d'abord, un grand bloc léniniste comprenant des maoïstes, des stalinistes, des trotskistes, etc., voulant constituer un parti communiste révolutionnaire. Ensuite, un archipel antiautoritaire rejetant les conceptions dirigistes de Lénine, considérant que les révolutionnaires doivent, d'une part, donner l'exemple de la violence révolutionnaire et, d'autre part, éclairer le chemin des travailleurs en leur expliquant que leur émancipation dépend d'eux-mêmes.

Cette mouvance antiautoritaire se subdivise en deux grandes branches historiques. D'un côté, il y a l'anarchisme, qui existe depuis le XIXe siècle. De l'autre côté, il y a l'ultragauche, apparue avec la Révolution d'Octobre 1917, qui est composée de petits groupes marxistes opposés à Lénine, considéré comme un dictateur ayant instauré, non la dictature du prolétariat, mais celle du parti communiste sur le prolétariat. Ils publieront des revues modernistes, très intéressantes, visant à dépasser tous les « ismes ». Parmi elles, L'Internationale situationniste de Guy Debord.

Ce mouvement s'est auto-dissous en 1972, date à laquelle Guy Debord publie les Thèses sur l'Internationale situationniste et son temps, où il estime que le plus grand péril qui menace la planète relève de ce qu'il appelle les « nuisances », dont la pollution, définissant avant l'heure la thématique de la lutte écologiste. Absolument radical, hostile au jeu parlementaire, politique, partisan, il considère l'extrême gauche comme « l'extrême gauche du capital ». Debord part vivre à la campagne où, à sa suite, nombre de ses admirateurs s'installeront. De la fin des années 1990 au début des années 2000, de nombreux néo-ruraux créeront des « zones d'opacité » afin d'être moins contrôlables. Ce sont ces activistes qui seront à l'origine des « ZAD », zones d'autonomie durable ou défensive et non, initialement, zones à défendre.

Cette mouvance antiautoritaire compte, au maximum, un millier de personnes se déplaçant sans cesse d'un front de lutte à un autre. On les retrouve à Sainte-Soline – qui n'est située qu'à deux heures de voiture de Notre-Dame-des-Landes – mais aussi en milieu urbain, où elles organisent l'aide aux migrants, participent au courant antifasciste et constituent des blocs autonomes au sein des manifestations.

La violence des autonomes est donc ancienne puisque, dès 1971, dans la foulée de Mai 68, ils forment des cortèges de tête devant toutes les manifestations étudiantes, syndicales et de la gauche. Des générations différentes d'autonomes se sont succédé : jusqu'en 1975, ce sont les « éléments incontrôlés » puis, ensuite, les « autonomes ». Celle qui fait ses armes en 2004, lors de la lutte contre le contrat première embauche de Dominique de Villepin, a entre vingt et trente ans. Elle prône certes la violence autonome afin de donner l'exemple aux travailleurs et de frapper les symboles du capitalisme et de l'État – police, banques, agences immobilières – mais elle se caractérise surtout par un souci organisationnel. Les autonomes s'équipent de talkie-walkie. Ils participent aux manifestations sans papiers d'identité mais avec, dans la poche, le numéro de téléphone d'un avocat. Ils s'appellent tous « Camille ». Ils prévoient des vêtements de rechange sous les portes cochères et ils y dissimulent des armes. Des véhicules sont disposés autour des cortèges afin de les exfiltrer rapidement. Cette véritable infrastructure apparaît vraiment à partir des années 2000 et se manifeste pleinement en 2009, à Poitiers, à l'occasion d'un festival de théâtre de rue où, soucieux de venger l'un des leurs, arrêté par la police, les autonomes saccagent méthodiquement le centre-ville.

Cette génération se caractérise donc par un sens extrême de l'organisation, quasiment paramilitaire. D'ailleurs, dans les cortèges de tête, certains obéissent clairement à des ordres de foncer ou de se replier. Ce fut également le cas à Sainte-Soline où des actions planifiées ont été menées. La situation est donc bien différente de celle des années 1970-1990, où la violence était spontanée, éruptive et horizontale. Quel paradoxe, d'ailleurs, que ces groupes se réclamant de l'horizontalité, rejetant toute hiérarchie et obéissant à des chefs !

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