Intervention de Pascal Couturier

Réunion du mardi 19 septembre 2023 à 15h00
Commission d'enquête sur la libéralisation du fret ferroviaire et ses conséquences pour l'avenir

Pascal Couturier, secrétaire général de la CFDT Cheminots :

S'agissant des enjeux écologiques, on parlait tout à l'heure de conviction. Le ferroviaire joue clairement en faveur de l'urgence climatique car il a des atouts indéniables. Le premier est qu'il émet peu de CO2. Au-delà, des atouts vont rester. Nous voyons que d'autres modes de transport sont en train de se transformer. De nouvelles technologies se mettent en place, par exemple en matière d'hydrogène et d'électricité, pour lesquelles le ferroviaire garde ses atouts. D'un point de vue énergétique, la physique joue pour le ferroviaire. Le contact rail-roue nécessite très peu d'énergie pour déplacer un convoi ferroviaire par rapport à d'autres modes de transport. Au-delà du fret, le ferroviaire a la capacité de répondre aux enjeux du mass transit pour décongestionner les grandes villes.

Pour autant, si l'on veut le développer, il faut déjà un réseau performant. Cela renvoie à la question des investissements, qui ont été insuffisants. On pourrait parler longuement du désengagement de l'État au fil du temps, qui a conduit à un retard assez important. On a beaucoup de difficultés à dédier des itinéraires au fret, ce qui n'est pas le cas dans un pays comme l'Allemagne. Nous avons aussi des problèmes de congestion des grands nœuds ferroviaires, avec des trains de fret qui traversent des grandes gares, ce qui n'est plus le cas dans d'autres pays. Une autre question est celle des investissements dans la signalisation, comme le RTMS. Il faut avoir davantage de trains qui circulent, donc augmenter les flux. Le premier volet est un volet d'investissement qui aujourd'hui n'est pas suffisant pour pouvoir répondre aux enjeux.

Le deuxième élément a trait aux territoires. Dans d'autres pays, les politiques privilégient un centre de gravité beaucoup plus proche des territoires. En Suisse, les politiques publiques se dessinent au niveau territorial en associant de nombreux acteurs. En France, certaines initiatives paraissent intéressantes. Nous voyons par exemple des contrats d'investissement qui associent l'État, les régions, mais aussi les chargeurs. La démarche vise à anticiper le risque. Prenons le cas des carriers ou des céréaliers. On doit rénover des voies de service pour desservir par exemple un silo ou une carrière. Lorsque l'industriel s'est engagé sur des investissements pour un temps assez long, avec une aide de la région et une aide de l'État, il est peut-être moins enclin à faire du report modal parce qu'il a des investissements à rentabiliser. Ce sont des éléments sur lesquels la France est peut-être plus en retard. La discontinuité risque de dégrader ce maillage territorial. La vision territoriale de Fret SNCF permet de constater qu'une partie du territoire n'est plus du tout desservie, notamment l'ouest de la France. C'est une réalité.

En ce qui concerne le modèle économique, je rappelle que nous avions une marge opérationnelle positive en 2022 et 2021 ainsi qu'un cash-flow libre à l'équilibre, c'est-à-dire pas de dettes, ce qui permettait effectivement de financer les investissements. Le modèle était fondé comme sur un triptyque, avec un développement des trafics qui associait le développement des trafics du combiné et des trafics de wagon isolé. Aujourd'hui, on vient bousculer ce modèle, alors qu'il permettait, tels que les objectifs étaient posés, de bénéficier d'une stabilité d'ici à 2030, à la condition de maintenir les subventions publiques, qui sont un peu l'alpha et l'oméga, et une stabilité des effectifs de production.

En zoomant un peu au niveau des territoires, un autre risque apparaît. Si l'on impose des outils de productivité, telle que la modélisation pour les deux nouvelles filiales, cela peut conduire à renoncer à certains trafics compliqués à capter et peu rentables au profit de trafics plus faciles à opérer. C'est un risque que l'on accentue encore. Or la fracture territoriale est déjà là. Il suffit de regarder la carte des dessertes ferroviaires pour constater que la France n'est pas irriguée partout de la même manière.

Il faut avoir un opérateur robuste. La CFDT considère qu'une entreprise en bonne santé doit conjuguer des enjeux économiques et des enjeux sociaux. Pour répondre à la question posée sur le cadre social, je renvoie au dossier transmis aux élus du CSE le 29 mai. La continuité du cadre social n'est pas assurée : dans ce dossier, l'entreprise fait part du maintien du statut du régime spécial de retraite et de prévoyance, mais d'autres éléments du cadre social, notamment l'organisation du travail ou les contours des métiers, seraient adaptés. Quant aux grands éléments fondateurs du cadre social, ils sont renvoyés à une négociation à la fin de l'année. Si l'on veut assurer l'outil de développement, il faut une entreprise qui se porte bien, avec des gens qui ont envie de travailler pour l'activité de fret ferroviaire.

Je reviens à la question relative à la Commission européenne. À l'instar de nos collègues, nous n'avons pas, à ce stade, d'engagement ou en tout cas de prise de position écrite qui confirmerait que ces scénarios valident un point de vue juridique.

Quant à votre remarque sur le « sparadrap du fret », il faut se placer à hauteur d'agent. Les arguments juridiques que l'on a pu évoquer ressemblent un peu à un tour de magie. Les agents ne comprennent pas comment, d'un seul coup, on se transforme face à cette discontinuité. Déjà, c'est un mot que l'on n'emploie pas souvent. Les agents, au début, n'avaient pas compris ce que signifiait « discontinuité économique ». On arrivait à une discontinuité d'activité, à une discontinuité de marque. Ce mot emporte beaucoup de significations. Il y a eu une phase de stupéfaction, qui se transforme maintenant en colère. Cette décision de discontinuité est injuste et injustifiée. Nous avons évoqué la première saison en 2018. Nous entrons dans la deuxième saison, et l'on se demande si la troisième saison n'est pas en train de se dessiner. Cette saison verra un glissement de ces deux filiales, qui ne vont pas vivre très longtemps, vers une stratégie de type Rail Logistic Europe. Les trains reviendront non pas à l'opérateur public, mais à des filiales de type Captrain. C'est une question que, légitimement, la CFDT se pose aujourd'hui.

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