Intervention de Benoît Lombrière

Réunion du jeudi 5 octobre 2023 à 10h45
Commission d'enquête sur les causes de l'incapacité de la france à atteindre les objectifs des plans successifs de maîtrise des impacts des produits phytosanitaires sur la santé humaine et environnementale et notamment sur les conditions de l'exercice des missions des autorités publiques en charge de la sécurité sanitaire

Benoît Lombrière, délégué général adjoint d'Eurodom :

Notre association Eurodom représente plutôt les professionnels. Depuis 1989, elle défend lorsqu'il y a lieu et accompagne de manière permanente les producteurs appartenant à l'agriculture organisée des Drom. Ces producteurs peuvent être implantés en France, dans les cinq Drom, en Espagne ou au Portugal – puisque ces pays possèdent aussi des territoires ultramarins nécessitant des interactions avec les institutions européennes. Originellement, nous sommes spécialisés dans les échanges avec la Commission européenne, qui conduit une large partie de la politique agricole et en particulier de la politique de réduction des produits phytosanitaires.

Arnaud Martrenchar a déjà bien insisté sur le fait que les Drom, au regard de leur histoire, ont un comportement plutôt vertueux dans la mise en œuvre de cette politique. Les chiffres ont déjà été rappelés. Il reste difficile d'obtenir des données précises, car les évaluations prennent du temps et ne sont pas toujours complètement publiques. Toujours est-il que, sur la longue durée, les importations et les ventes de produits phytosanitaires parmi les acteurs de l'agriculture organisée ont connu un recul assez net. La banane est engagée depuis 2008 dans les plans de réduction de l'usage des produits phytosanitaires, surnommés plans « banane durable ». Deux plans de ce type ont déjà été déployés. Ils ont atteint leurs objectifs et un troisième plan est en cours. La banane fait partie des rares cultures de fruits et légumes ayant rempli les objectifs assignés dans les plans Écophyto pour les Drom.

Par conséquent, je pense que nous participons convenablement à l'effort de réduction des produits phytosanitaires, dans un contexte bien plus complexe qu'en métropole. Le fait est que les territoires ultramarins sont exposés à des climats différents, très propices aux maladies. Le milieu tropical humide est par essence favorable aux champignons et aux adventices. En raison de l'absence d'hiver, les attaques phytosanitaires y sont permanentes.

En outre, les territoires d'Outre-mer sont les seuls, parmi tous les pays de l'Union européenne, contraints de cultiver des produits tropicaux tout en respectant les normes phytosanitaires européennes et nationales. Cette contrainte ne constitue pas en soi un handicap. Elle pourrait même être un avantage concurrentiel par rapport aux « pays du soleil » sud-américains ou africains et à Israël.

En revanche, elle devient très pénalisante lorsqu'il est question de mobiliser des laboratoires phytopharmaceutiques prêts à suivre l'ensemble du parcours conduisant à la délivrance d'une autorisation d'utilisation de produits phytosanitaires, a fortiori pour le compte d'un nombre de clients aussi réduit. Les laboratoires phytopharmaceutiques sont en effet peu enclins à répondre à des sollicitations pour le développement de produits adaptés aux spécificités climatiques des Antilles, de la Guyane et de La Réunion. À titre d'exemple, un traitement destiné à l'ananas intéressera tout au plus une vingtaine de clients. Les procédures sont très longues et coûteuses. Cela explique pourquoi les territoires d'Outre-mer sont confrontés à de nombreuses impasses phytosanitaires par rapport à la métropole. Plus de 80 % des attaques touchant les productions végétales n'ont pas de réponse phytosanitaire.

Nous remplissons donc nos obligations et nos engagements volontaires de réduction des produits phytosanitaires dans un contexte compliqué. Nous y sommes largement contraints par la réalité que je viens d'exposer. Dans ces conditions, nous devons faire preuve de beaucoup d'imagination et d'innovation pour affronter les attaques des agresseurs. De surcroît, le prix de vente ne change pas. Nous nous efforçons de proposer une alimentation à un prix accessible, mais nous faisons face à la concurrence de pays dans lesquels les coûts de main-d'œuvre sont bien inférieurs aux nôtres et l'environnement juridique beaucoup plus souple. De ce fait, ces pays peuvent commercialiser sur le marché européen des produits à un prix bien plus bas que le nôtre.

Notre association ne demande pas de dérogations, ni un changement du cadre réglementaire ou législatif. Nous sommes bien conscients que la santé humaine et l'environnement sont en jeu et nous entendons rester dans le cadre européen et national.

Pour terminer, je voudrais m'arrêter sur un fait surprenant qui mérite réflexion. Les produits tropicaux commercialisés sur les marchés européens devraient afficher le même niveau de protection du consommateur et de la planète, quel que soit leur lieu de production. Force est de constater que ce n'est pas le cas. En effet, les produits agricoles provenant d'Amérique latine et d'Afrique présentent une teneur en produits phytosanitaires – donc un niveau d'endommagement de la planète – nettement supérieure à ceux des produits communautaires.

À cet égard, le cas des produits bio est particulièrement frappant. Il faut savoir que la législation communautaire distingue deux catégories de produits bio. La première regroupe les productions issues des pays de l'Union européenne, qui sont assujetties au cahier des charges communautaire. Il existe une deuxième catégorie de produits autorisés à porter le label bio : dès lors qu'un pays tiers considère que tel produit satisfait au cahier des charges communautaire, ce dernier se voit décerner une équivalence lui permettant d'être introduit sur le marché européen avec le label bio.

Ainsi, de nombreux produits cultivés dans les Drom ne peuvent pas afficher le label bio parce que leurs producteurs sont respectueux du cadre réglementaire européen. A contrario, des produits arrivant de pays tiers sont vendus avec l'étiquette bio alors qu'ils ont été produits dans des conditions moins vertueuses, y compris en matière d'usage de produits phytosanitaires. De ce fait, les producteurs d'Outre-mer soucieux des standards européens se trouvent exposés à une distorsion de concurrence, qui se rencontre dans de nombreux domaines. Cette difficulté majeure est mal perçue dans les Drom.

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