Intervention de Philippe Naillet

Séance en hémicycle du lundi 6 novembre 2023 à 15h00
Projet de loi de finances pour 2024 — Outre-mer

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Naillet :

Au-delà de l'analyse des moyens engagés et de ce vous appelez, monsieur le ministre délégué, une « progression significative » du budget consacré aux outre-mer, l'examen des crédits de la mission "Outre-mer" est l'occasion de rappeler que les défis auxquels nous faisons face dépassent de loin ceux auxquels sont confrontés les populations et nos collègues de l'Hexagone.

Chez nous, en 2023, l'accès à l'eau, à un logement digne, à l'emploi, le coût de la vie, celui des déplacements en avion, l'accès aux soins et la qualité de ceux-ci ou les conséquences du réchauffement climatique sont sources d'injustices et d'inégalités auxquelles nos populations sont confrontées de façon toujours plus aiguë. À La Réunion, comme dans les autres territoires ultramarins, les profiteurs du système continuent à s'enrichir pendant que la population subit les crises. Dans notre île – mais la même situation prévaut dans les autres territoires ultramarins –, où 36 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, un litre de lait coûte 1,28 euro, un litre d'huile 3,89 euros, une plaque de vingt œufs 6,40 euros et un kilo de riz à 2,77 euros. Pris dans ces difficultés quotidiennes, nous ne voyons pas malheureusement pas les promesses se traduire en actes. Je citerai quelques exemples pour l'illustrer, au-delà même du champ de la mission dont nous examinons les crédits vous rappelez vous-même souvent, monsieur le ministre délégué, que les efforts de la nation en faveur de l'outre-mer ne se résument pas à cette mission.

Ainsi, le centre hospitalier universitaire (CHU) de La Réunion, le grand hôpital de l'océan Indien, rencontre de sérieuses difficultés en raison de l'absence de revalorisation du coefficient géographique, revalorisation à laquelle le Président de la République, Emmanuel Macron, comme l'ancien premier ministre, Jean Castex, s'étaient pourtant engagés en 2023.

De même, alors que la souveraineté alimentaire et la relocalisation de la production sont des enjeux pressants compte tenu des difficultés d'approvisionnement que connaissent ces territoires, de l'inflation qu'ils subissent et de la nécessaire transition écologique à laquelle il faut œuvrer, où est l'abondement du régime spécifique d'approvisionnement pour les producteurs locaux ? Où est le rapport sur le fret, dont la loi prévoyait qu'il serait transmis au Parlement au plus tard en juillet 2023 ? Où en est le dispositif destiné à compenser, à hauteur de 10 millions d'euros, la hausse des coûts de l'énergie pour les entreprises ?

Mon intervention étant limitée à cinq minutes, j'évoquerai brièvement les aides aux entreprises et la ligne budgétaire unique, deux postes importants de cette mission. D'autres l'ont rappelé, augmenter la LBU de 50 millions d'euros ne suffira pas ; il s'agit d'une hausse modeste quand on observe les tendances. L'État, avec ses propres services, doit engager un plan d'urgence pour le logement élaboré avec les bailleurs sociaux, les établissements publics fonciers et les collectivités. Il y a en effet urgence à relancer la construction, le logement constituant une bombe à retardement dans nos territoires. Si je ne prends que l'exemple de La Réunion, en 2020, 3 200 logements sociaux ou aidés ont été livrés, contre à peine 1 200 en 2022.

Il faut soutenir les très petites, petites et moyennes entreprises (TPE et PME). La stratégie de bon achat est à réinventer rapidement afin de privilégier les petites entreprises et les emplois locaux plutôt que les grands groupes. Vous annoncez, monsieur le ministre délégué, une augmentation de 400 millions d'euros pour les prochains contrats de convergence et de transformation. Où se situe la plus-value par rapport aux anciens contrats de plan État-région ? En outre, quand ces contrats ont été prolongés d'une à deux années, leur lissage a permis une économie. Reconnaissez que la ficelle est grosse.

Malgré l'augmentation des crédits de paiement et des autorisations d'engagement de la mission "Outre-mer" , nous sommes encore bien loin de l'égalité réelle. Sur cette mission comme sur toutes les autres – car elle n'a pas vocation à être le seul réceptacle de tous les problèmes quotidiens que vivent nos compatriotes ultramarins –, les députés socialistes ont donc déposé plusieurs amendements qu'ils considèrent comme prioritaires pour leurs territoires : du sort qui leur sera réservé dépendra leur vote sur ces crédits.

J'espère, monsieur le ministre délégué, que vous saurez nous écouter et porter notre voix d'ici à l'adoption définitive de la loi de finances, dans un mois et demi. Nous ne sommes pas là cet après-midi pour réclamer des pansements ou quelques millions de plus, mais tout simplement pour revendiquer à la fois la reconnaissance de droits inhérents à la citoyenneté que nous partageons avec les autres composantes de la nation française et celle de notre singularité : seule cette double reconnaissance de la similarité et de la singularité des outre-mer rendra possible la conduite de politiques publiques efficaces.

Monsieur le ministre délégué, vous avez souligné à plusieurs reprises l'effort consenti dans ce budget. Après vous avoir rappelé les enjeux et défis auxquels nous faisons face dans les territoires d'outre-mer, permettez-moi de terminer avec ces mots : « Le vrai courage, c'est de voir le devoir avant l'effort. »

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