Intervention de Jérôme Guedj

Séance en hémicycle du mercredi 22 novembre 2023 à 14h00
Partage de la valeur au sein de l'entreprise — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJérôme Guedj :

Pour débuter mon propos, je voudrais faire résonner dans cet hémicycle les paroles du grand Léon Blum : « La démocratie politique ne sera pas viable si elle ne s'épanouit pas en démocratie sociale ; la démocratie sociale ne serait ni réelle ni stable, si elle ne se fondait sur une démocratie politique », proclame-t-il dans À l'échelle humaine. Pourquoi ai-je voulu commencer par cette évidence, par ce rappel de l'articulation entre démocratie sociale, démocratie politique et démocratie parlementaire ? C'est que, monsieur le ministre, nous avons, hélas, le sentiment qu'avec ce texte, vous les avez quelque peu malmenées.

Car il y a quelque chose de paradoxal à débattre du partage de la valeur avec vous qui avez bousculé souvent le dialogue social et enterré régulièrement la démocratie politique. Ce texte de transposition de l'accord national interprofessionnel conclu en février dernier a été verrouillé, cadenassé dès le premier jour par un gouvernement qui n'a visiblement pas tiré de réels enseignements de son passage en force sur la réforme des retraites – votre réforme, monsieur le ministre. Comme souvent avec vous, il y a ce que vous dites d'un côté, et ce que vous faites de l'autre : vous parlez de nouvelles méthodes de gouvernement… mais vous multipliez les 49.3 ; vous parlez de réel partage de la valeur, mais excluez d'emblée la question des salaires, pourtant au cœur du sujet ; vous parlez de démocratie, mais muselez la représentation nationale par la méthode de la transposition que vous avez choisie ; vous parlez de réellement soutenir les Français, mais vous les étouffez de mesures structurelles sous couvert de l'ANI.

Certes, il y a bien des mesures solides, importantes – nous continuerons d'ailleurs à nous tenir, comme nous l'avons toujours fait, aux côtés des partenaires sociaux, que je tiens à saluer ici pour leur engagement sans faille en faveur des travailleurs. Je reconnais qu'il y a bien à cet égard une leçon que vous semblez avoir tirée de la séquence des retraites : c'est celle de la peur. Manifestement, vous avez pris peur de l'unité contre vous dont ont fait preuve la démocratie parlementaire et la démocratie sociale lors des mobilisations historiques du début de l'année ; vous avez donc décidé ici d'opposer une légitimité à l'autre. Car c'est bien cela dont il s'agit quand vous prétendez transposer tout l'ANI et rien que l'ANI en conditionnant le soutien à nos amendements à la seule approbation de l'ensemble des partenaires sociaux. Ce parti pris regrettable renvoie la fabrique de la loi à une commission ad hoc, sans existence juridique ni mécanisme de transparence, et nie donc considérablement la portée du débat parlementaire. Monsieur le ministre, votre gouvernement a ainsi privé la représentation nationale de son rôle fondamental, pour lequel nous avons toutes et tous été élus : celui de faire la loi et de contrôler l'action du Gouvernement. Vous vous gargarisez d'avoir obtenu un accord que vous qualifiez d'historique… Mais vous avez décidé de réduire, avant même le début des négociations, la question du partage de la valeur au seul champ de l'ANI dont vous aviez, en plus, préalablement limité le périmètre d'intervention dans le document d'orientation !

Votre gouvernement, qui se refuse depuis des années à aborder la question de la redistribution, s'est donc prêté au jeu de la manipulation légistique afin d'éviter un retour par la fenêtre d'un débat sur les inégalités économiques dans notre pays, lui claquant ainsi la porte au nez. La faute majeure que vous avez commise avant même le processus législatif a été d'exclure la question des salaires du champ du partage de la valeur. Vous prétendez améliorer durablement le pouvoir d'achat de nos concitoyens, mais sans vous intéresser une seule seconde au premier de poste de revenu de l'immense majorité des salariés de ce pays. Ce serait à mourir de rire si ce n'était pas si grave. Car derrière ces chiffres, derrière nos discussions sur vos primes, derrière nos débats parlementaires, nous avons en tant que responsables politiques un vrai devoir : celui de tenir compte de la crise du pouvoir d'achat et des difficultés liées à la précarité. Et pourtant, comme à beaucoup de reprises depuis le début de cette législature, le constat est amer.

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