Intervention de Julien Denormandie

Réunion du mercredi 15 novembre 2023 à 15h00
Commission d'enquête sur les causes de l'incapacité de la france à atteindre les objectifs des plans successifs de maîtrise des impacts des produits phytosanitaires sur la santé humaine et environnementale et notamment sur les conditions de l'exercice des missions des autorités publiques en charge de la sécurité sanitaire

Julien Denormandie, ministre de l'agriculture entre 2020 et 2022 :

Je l'ai dit : le courage, en politique, c'est d'affronter le temps, la complexité des choses, et de remettre de la raison dans le débat. Voilà ce que je me suis évertué à faire tout au long de mes cinq années au gouvernement. J'ai été de ceux qui rentraient toujours dans la complexité des sujets. La nature n'est ni toute blanche, ni toute noire. Elle est elle-même créatrice de complexité – on dit d'ailleurs que l'entropie y est positive.

L'interdiction des néonicotinoïdes a été votée en 2016. Or, lorsque le Parlement a adopté, en 2020, sur proposition du Gouvernement, la loi relative aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières, les fonds de recherche n'étaient pas établis. J'ai donc commencé par consacrer 7 millions d'euros à un PNRI dans le cadre duquel tous les instituts étaient placés au même niveau.

Monsieur Chassaigne, je partage entièrement vos propos sur le glyphosate. Je me souviens de certaines passes d'armes avec le président Mélenchon à ce sujet. J'expliquais que deux ambitions gouvernementales venaient se percuter : la protection de la biodiversité et la réduction des émissions de gaz carbonique. Pour ma part, j'ai été formé à l'agriculture de conservation : ma boussole, c'est le sol. Ce dernier n'aime pas être labouré : il préfère l'agriculture de conservation, l'agriculture sous couvert. Or, dans ce cadre, il n'existe malheureusement pas de solution crédible sans désherbant. Il y a là un vrai problème : faut-il privilégier une solution qui nuit à la biodiversité en surface ou une autre qui émet du gaz carbonique ou provoque l'infiltration des eaux ? Je rappelle qu'un kilo de vers de terre représente 500 kilos de vie.

J'ai étudié beaucoup de solutions alternatives au glyphosate. Pour maintenir l'agriculture de conservation – c'est-à-dire pour ne pas labourer – sans avoir à désherber, certains préconisent l'électrification des champs afin de brûler les racines. Je vous laisse imaginer la tête des vers de terre pris entre une anode et une cathode ! D'autres pratiques agronomiques peuvent fonctionner, telles les bandes intermédiaires. Certains beaux esprits proposent de donner des binettes aux gens, mais je leur recommande de biner les premiers ! Pour ma part, je suis persuadé que la solution viendra de la robotique. Cela nécessite des investissements massifs : c'est pourquoi je me suis battu à fond pour que ce sujet soit intégré au plan France 2030. La robotique est une perspective géniale, une partie intégrante de la troisième révolution agricole.

J'en viens à votre question sur l'écorégime, ce qui me permettra de répondre aussi à celle du rapporteur sur le PSN. Il y a toujours un débat fondamental : faut-il emporter la majorité des producteurs dans une accélération du mouvement ou embarquer certains d'entre eux dans une évolution encore plus rapide mais beaucoup moins inclusive ? Nous avons tenté de privilégier une dynamique collégiale, dans le cadre d'un système de points tenant compte, entre autres, de la diversité et de la rotation des cultures. Dans ce beau territoire d'élevage que vous appréciez tant, nous avons beaucoup œuvré, dans le cadre d'un autre pilier de la PAC, en faveur de l'accompagnement des éleveurs. Pour embarquer le plus grand nombre d'agriculteurs, il faut définir les ambitions palier par palier. Si les ambitions sont trop élevées, beaucoup resteront sur le côté.

Comme tous les Français, les membres de votre assemblée aiment beaucoup débattre des aides conditionnées. Je ne connais pas de secteur d'activité où les aides publiques, qu'elles soient nationales ou européennes, sont autant conditionnées que dans l'agriculture.

Je suis convaincu que, pour aller plus vite, une cohérence globale est nécessaire entre la politique interne européenne en matière de transition et la politique externe de l'Union. Un fait marquant a été passé sous silence. Le jour où j'ai pris la présidence du Conseil de l'Union européenne – le 1er janvier 2022 – était celui où la Commission était censée mettre en place des clauses miroirs, démocratiquement adoptées par les deux colégislateurs que sont le Parlement et le Conseil, s'agissant de l'utilisation d'antibiotiques de croissance dans les élevages. Je parle ici d'antibiotiques administrés de manière préventive, dans certains pays, pour éviter que des maladies se propagent dans des élevages très denses, alors que le recours aux antibiotiques n'est autorisé, en Europe, que pour soigner des animaux malades. La Commission n'avait pas adopté la règlementation nécessaire ; elle ne le fera pas non plus le lendemain, ni le surlendemain. J'ai donc pris un décret visant à interdire l'importation de viandes issues d'élevages utilisant ce type d'antibiotiques. Je savais ce décret illégal, puisqu'il intervenait dans un domaine de compétence européen, mais c'était une manière de dire à la Commission que ce n'était plus possible ! Il est trop facile de critiquer l'Europe en France et de se montrer très conciliant à Bruxelles ; mieux vaut soutenir l'Europe à laquelle on croit et dire les choses clairement à Bruxelles. Ainsi, en conférence de presse, devant le commissaire européen, j'ai dénoncé le déni de démocratie dont la Commission se rendait responsable en refusant d'appliquer une disposition votée.

Je suis libéral dans l'âme, je crois au commerce international, mais je considère qu'il faut avoir le courage de fixer des règles. On ne peut pas demander aux producteurs français qui nous nourrissent, qui font déjà plein d'efforts, d'aller beaucoup plus vite si on laisse en même temps entrer sur le marché des marchandises issues d'élevages qui ne sont pas soumis aux mêmes règles. Je pourrais vous citer des dizaines d'exemples. En 2009, alors que je travaillais en Égypte, mon fils aîné est tombé malade et le médecin lui a prescrit des antibiotiques. J'ai demandé à la nounou si elle connaissait un pharmacien ; elle m'a alors conseillé d'aller au supermarché pour acheter du poulet brésilien, qui contient à la fois des protéines et de l'amoxicilline. Aujourd'hui, 50 % des poulets consommés en France sont importés de pays où le recours aux antibiotiques de croissance est légal. Si la viande vendue dans les supermarchés est généralement française, ce n'est pas forcément le cas de celle servie dans la restauration hors domicile, ni des produits ultratransformés. C'est pourquoi la mention obligatoire de l'origine de toutes les viandes dans la restauration hors domicile, notamment dans les écoles, votée par le Parlement à ma demande, est importante.

Je crois à fond aux clauses miroirs : il faut les appliquer à la production de poulet, de noisettes, de moutarde… L'Europe en instaure parfois : ainsi, nous refusons que les cerises turques soient traitées au diméthoate – mais, encore une fois, la France a agi avant l'Union européenne. Il faut avoir le courage de refuser d'importer, comme si de rien n'était, des marchandises traitées avec des produits interdits dans notre pays.

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