Intervention de Philippe Brun

Séance en hémicycle du lundi 10 octobre 2022 à 21h30
Débat sur la dette

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Brun :

Réductions d'impôt pour les plus riches, non financées de surcroît, coupes budgétaires imposées aux collectivités et restriction sur tous les investissements essentiels. Nous faisons fausse route. Ce n'est pas moi qui le dis mais Isabel Schnabel, membre du directoire de la BCE, car elle estime que l'inflation que nous connaissons n'a pas que des causes monétaires : elle est aussi le fruit de la hausse irrémédiable du prix des énergies fossiles et du coût de la transition que nous n'avons pas assez préparée. Tirons-en les conclusions : le remède ne sera pas que monétaire et, dès lors, remonter sans cesse les taux pour contenir l'inflation pénalisera nos économies et endettera nos États. C'est une impasse. Des investissements, une politique industrielle et la régulation des marchés sont indispensables pour contenir cette inflation d'un nouveau genre.

Je mets en garde le Gouvernement : le remède ne doit pas être pire que le mal. Jerome Powell, le président de la Réserve fédérale américaine, a ouvertement reconnu en août que son action allait faire mal aux ménages et aux entreprises. Ne copions pas les Américains, qui se trouvent dans une situation très différente de la nôtre. Les institutions sont unanimes pour estimer que la dette française reste soutenable et finançable. Utilisons alors les leviers qu'il nous reste pour investir et pour protéger plutôt que pour favoriser les nantis et pour gérer les pénuries. Il est temps de questionner nos choix stratégiques en matière d'emprunt car si notre dette reste soutenable et finançable, elle le sera de moins en moins si le Gouvernement s'entête dans ses choix de financement.

À trois reprises, soit en janvier, en mai, puis en août de cette année, l'Agence France Trésor, sous l'autorité de Bercy, a consenti à trois nouveaux emprunts selon une modalité très particulière déjà évoquée : la rémunération de leurs titulaires est indexée sur l'inflation constatée dans la zone euro. Désormais, 11 % de notre dette publique sont indexés sur l'inflation, soit 250 milliards d'euros. Selon l'Agence elle-même, « chaque point d'inflation supplémentaire entraîne un coût immédiat de 2,5 milliards d'euros ». Le Gouvernement a ainsi transformé une fraction de notre dette en bombe à retardement. Alors que l'inflation devrait faire baisser le poids réel de la dette publique, la nôtre flambe avec elle. Et ce n'est pas la faute de la hausse des taux, encore trop récente pour peser significativement sur notre dette, ce sont bien les emprunts toxiques indexés sur l'inflation qui alourdissent la facture. La charge de la dette aura augmenté cette année de 17 milliards d'euros, mais seuls 2 milliards s'expliquent par l'effet de la hausse des taux, les 15 milliards restants, à savoir plus que le budget du ministère de la justice, étant exclusivement dus à ces OAT indexées sur l'inflation.

J'ai été quelque peu amusé, monsieur le ministre délégué, en lisant dans le rapport du Gouvernement un nouvel argument au soutien de cette stratégie, un argument que les ministres nous avaient jusqu'ici épargné : « La charge de la dette indexée se comporte de manière contracyclique : elle augmente quand l'inflation et les rentrées fiscales augmentent. Au contraire, elle diminue en période de ralentissement ou de récession. » Bonne nouvelle ! Les emprunts indexés sur une inflation à 6 % sont indolores pour les finances publiques, tant les rentrées fiscales sont florissantes ! La France, censée être à l'euro près, est heureuse de l'apprendre ! Mes chers collègues, la question de la dette, si elle demande courage et sang froid, appelle aussi nos gouvernants à la lucidité. Nous devons engager une réflexion sur la restructuration de notre dette et sur une annulation concertée de la dette liée à nos dépenses exceptionnelles durant la crise du coronavirus.

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