Intervention de Thierry Mariani

Réunion du lundi 16 octobre 2023 à 10h30
Commission d'enquête sur la libéralisation du fret ferroviaire et ses conséquences pour l'avenir

Thierry Mariani, ancien ministre :

J'ai été secrétaire d'État, puis ministre délégué, sous l'autorité de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. Même si nos rapports professionnels étaient parfois un peu tendus, c'est vraiment la première ministre à avoir sincèrement pris en charge le sujet de la décarbonation. Je précise qu'elle avait la double casquette transports et environnement. Pour elle, c'était vraiment une priorité. Non pas que ce n'en fût pas une pour ses prédécesseurs, mais la prise de conscience scientifique, médiatique et politique s'est faite au moment où elle était ministre. La composante environnementale était son cheval de bataille permanent, à chacune de nos réunions.

Je pense que le rapport du sénateur Grignon était essentiellement technique. La priorité était de sauver l'activité de fret de la SNCF, et pas forcément les problèmes de réchauffement de la planète ou de décarbonation. Compte tenu de son profil, il était logique que l'axe de son rapport soit celui-ci.

Je ne suis pas convaincu que les réformes successives d'ouverture à la concurrence engagées par l'Union européenne aient entraîné beaucoup de progrès au niveau du fret ferroviaire. La question est de savoir si c'est la faute de l'Europe ou si c'est quelque chose d'inéluctable. On pourrait parler de la situation du Royaume-Uni, à l'époque où ce dernier était dans l'Union européenne.

En Allemagne, le secteur ferroviaire a été libéralisé depuis 2014. Toutefois, c'est l'État qui contrôle le réseau, est responsable des investissements et a repris à son compte la dette de la Deutsche Bahn. Cette dernière a perdu 25 % de ses parts de marché depuis l'ouverture à la concurrence. En Italie, de nouvelles sociétés de transport ferroviaire ont vu le jour à partir des années 2000. Un nouvel acteur privé italien a fait son apparition sur le marché en 2012. Le réseau ferré italien souffre lui aussi d'un investissement insuffisant. Lorsque je regarde le bilan de l'ouverture à la concurrence du fret ferroviaire, je ne pense pas qu'il soit concluant.

Est-ce dû à la réforme des structures ou est-ce parce que le trafic routier est devenu de plus en plus concurrentiel ? Je dirais que ce sont les deux. Aujourd'hui, si on regarde les coûts du transport routier, la libéralisation fait qu'on retrouve des entreprises de l'est de l'Europe qui proposent des conditions défiant toute concurrence. Le fret ferroviaire n'est malheureusement plus concurrentiel. En plus, on a bien souvent supprimé les accès directs aux entreprises. Si l'on ajoute la politique des flux tendus et le problème technique du remplissage des wagons, la solution semble être le transport routier. Même si on est bien loin de la décarbonation, c'est la solution qui a été adoptée par de nombreuses entreprises.

L'écotaxe avait été décidée par le gouvernement Sarkozy, dont j'étais ministre. Je précise qu'elle avait été votée à l'unanimité. Personne n'a vu venir la rébellion qui a entraîné son abandon après l'élection de François Hollande. Le dispositif était compliqué et je pense qu'il a été mal expliqué. Le paradoxe, c'est que ce mouvement a été initié en Bretagne, une zone qui était exonérée de la moitié de la taxe. Autrement dit, cela n'avait aucun sens.

Tout comme pour le mouvement des Gilets jaunes, il y a parfois une exaspération de l'opinion. En l'occurrence, le déclencheur a été cette écotaxe – qui, du reste, n'était pas payée par les voitures. À l'époque, j'étais député de l'opposition, mais je l'ai défendue jusqu'au bout. On racontait n'importe quoi ! Les automobilistes étaient persuadés qu'ils allaient la payer. La fin de l'histoire, c'est que ce projet a été abandonné.

C'est la troisième commission d'enquête à laquelle j'assiste depuis que j'ai quitté l'Assemblée nationale. La première portait sur l'écotaxe et les appels d'offres qui avaient été passés avant mon arrivée. En réalité, tout cela a été une catastrophe financière. C'était pourtant un espoir de ressources pour le fret ferroviaire. Les collectivités territoriales en attendaient également beaucoup pour la réfection des réseaux routiers. Je pense que l'écotaxe a fait les frais de l'impopularité du gouvernement de l'époque. Plus personne n'a depuis lors osé remettre ce dossier sur la table. Au-delà du coût, la France est désormais un des rares pays où les poids lourds étrangers continuent gentiment à passer sur des infrastructures sans y contribuer financièrement.

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