Lorsque je parle d'agroécologie à cette époque, il faut se souvenir que les débats autour du verdissement portent plutôt sur la « chimie verte ». Je me souviens de débats à ce sujet, y compris avec le Président de la République François Hollande et les Premiers ministres Jean-Marc Ayrault, puis Manuel Valls. Certes, la « chimie verte » avait permis de produire des molécules moins dangereuses ou d'envisager l'utilisation de la biomasse et d'un certain nombre d'autres produits, mais l'agroécologie demeurait complètement ignorée. Ce sont la négociation de la PAC et son verdissement, puis l'adoption de la loi d'avenir, avec la légitimité que m'avait conférée le vote à l'Assemblée nationale, qui m'avaient permis de faire basculer une partie de l'appareil par la suite. J'avais néanmoins commencé très tôt en créant au sein de la FAO, l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture, un groupe sur l'agroécologie à l'échelle internationale, puis en convainquant des directrices et directeurs au sein du ministère, qui se sont ensuite totalement mobilisés – c'est encore vrai aujourd'hui. C'est fantastique de constater cette continuité, mais à l'époque on partait de très loin.
Dans les débats, que ce soit avec le syndicalisme majoritaire ou avec la Confédération paysanne – qui travaille uniquement la question sociale, c'est-à-dire la petite exploitation –, l'agroécologie essayait de trouver une forme de « synthèse » entre le conventionnel et le bio. La dialectique était alors que si vous étiez dans le premier cas, vous ne faisiez rien pour l'écologie et, dans le second, rien pour l'économie.
De la même façon, lorsque j'ai proposé la création du programme de stockage de carbone dans les sols « 4 pour 1 000 » à la COP21 pour rappeler à chacun que les sols agricoles et forestiers sont des puits à carbone, je me suis retrouvé en plein débat entre la smart agriculture – une agriculture de précision s'appuyant sur les satellites – et les ONG, qui considéraient que l'agriculture pollue. On retrouve d'ailleurs aujourd'hui ce débat à propos de l'élevage. On partait de loin et, vous le savez, le débat politique n'est jamais facile.
Concernant la mise en œuvre du plan Écophyto II, je n'ai pas souvenir de débats internes durant lesquels on m'aurait dit de ne pas faire ceci ou cela.
S'agissant de l'intervention du Premier ministre à laquelle vous faisiez référence, nous sommes à l'époque en pleine crise du lait et la crise porcine frappait la Bretagne – aujourd'hui le prix du kilogramme de porc est remonté à deux euros, mais il atteignait à peine un euro alors. Le contexte agricole était, socialement et économiquement, extrêmement explosif. Il y a certainement eu un peu de réticence de la part du Premier ministre à poursuivre une logique qui pouvait être contrariante pour des agriculteurs frappés par des crises majeures.
Après le vote de la loi d'avenir, il a fallu accélérer. J'avais compris dans les débats en interne et au sein des réunions interministérielles (RIM) portant sur le calendrier législatif, que si l'on reportait la loi d'avenir après 2014, tout prendrait du retard. De même pour le plan Écophyto II : certes, il s'inscrivait dans le calendrier prévu, mais l'année de mise en œuvre qui nous restait a été perturbée par le recours de la FNA et les débats au sujet de l'azote total, dont la loi intégrait le principe. En la matière aussi, la négociation a duré. Quand on ajoute à tout cela que la deuxième phase de la grippe aviaire s'est déployée dans le Sud-Ouest au tournant de 2016 et 2017… Alors, oui, j'ai été ministre cinq ans, sans doute n'ai-je pas été assez punchy pour aller encore plus loin. Heureusement, la loi d'avenir m'avait donné une légitimité politique quant à l'objectif.