Intervention de Léna Normand

Séance en hémicycle du vendredi 19 janvier 2024 à 9h00
Essais nucléaires en polynésie française : indemnisation des victimes directes indirectes et transgénérationnelles et réparations environnementales

Léna Normand, première vice-présidente de l'association 193 :

« Vérité », « transparence », « meilleure indemnisation des victimes », « en finir avec le pacte du mensonge » : tels étaient les propos du Président de la République Emmanuel Macron lors d'un déplacement en Polynésie, en juillet 2021. Mais de quelle vérité et de quelle transparence parlait-il, alors que les archives les plus attendues par le peuple maohi, celles qui lui permettraient de comprendre ce qui lui arrive, à lui et à sa descendance, sur le plan sanitaire, ne sont pas déclassifiées ? La vérité, celle que dénonce l'association 193 dont je suis la porte-parole aujourd'hui, est qu'il n'y a pas une seule famille en Polynésie qui n'ait pas au moins un proche malade ou décédé d'un cancer : parents, grands-parents, conjoints, frères, sœurs, enfants…

La vérité est que le bilan sanitaire des cancers en Polynésie est alarmant : chaque année, on y dénombre près de 1 000 nouveaux cas, dont 600 sont listés radio-induits, sur une population de 280 000 habitants. La voilà, la vérité ! Un héritage empoisonné, laissé par l'État français au peuple maohi et à sa descendance. Rejeter 50 % des demandes d'indemnisation des populations civiles, cela constitue-t-il une « meilleure indemnisation des victimes » ? Et encore, ce ratio n'intègre pas les rejets systématiques par le Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (Civen) des dossiers postérieurs à 1974, date à partir de laquelle les essais nucléaires ont été souterrains.

Parce que pendant longtemps, seules les victimes que sont les anciens travailleurs de Mururoa et Fangataufa ont été prises en compte, l'association 193 a été créée et accompagne dans leurs démarches de demande d'indemnisation toutes les populations des cinq archipels : Gambier, Tuamotu, Marquises, Australes, Société. Depuis 2017, ce sont ainsi plus de 600 familles que l'association 193 accompagne bénévolement, à chaque étape de la demande d'indemnisation. Or, si les demandeurs, victimes et défunts par la voix de leurs ayants droit, répondent aux trois conditions légales de temps, de lieu et de maladie, la moitié d'entre eux se voient refuser la reconnaissance de victimes et l'indemnisation, à cause du critère du « 1 millisievert » (1 mSv).

Ce seuil du « 1 mSv » est le point de blocage, dont l'association 193 demande la suppression. Que le Président de la République fasse supprimer ce « 1 mSv » de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires, dite loi Morin : peut-être alors sera-t-il audible en prétendant souhaiter une meilleure indemnisation des victimes. Alors qu'il clame vouloir en finir avec le pacte du mensonge, il est plus que temps que l'État demande pardon au peuple maohi et assume sa responsabilité dans les conséquences de ses 193 essais nucléaires.

Mesdames et messieurs les députés, toute la Polynésie a été contaminée. Aussi, opposer ce seuil dosimétrique du « 1 mSv » au peuple maohi est une énième insulte à son égard, d'autant plus que les chiffres ont été minimisés. On peut citer le rapport du docteur Millon du 10 juillet 1966, alors aux îles Gambier : « Il sera peut-être nécessaire de minimiser les chiffres réels, de façon à ne pas perdre la confiance de la population qui se rendrait compte que quelque chose lui a été caché dès le premier tir ». De même, on peut saluer les révélations faites par Sébastien Philippe et Tomas Statius dans leur ouvrage Toxique, en une démarche ô combien utile dans cette quête de la vérité.

Pour conclure, l'association 193 réclame la suppression du « 1 mSv » et de l'échéance calendaire imposée aux ayants droit fixée au 31 décembre 2024, le remboursement de l'ensemble des frais de soins et frais annexes supportés par la caisse de prévoyance sociale au titre des maladies radio-induites, ainsi que la réalisation d'études sur les maladies transgénérationnelles – conditionnée par la restitution des registres de cancers détenus par l'armée. Mesdames et messieurs les législateurs, vous savez comme nous qu'un texte de loi se fait et se défait. Je vous remercie pour votre attention.

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