Intervention de Antoine Léaument

Séance en hémicycle du mardi 30 janvier 2024 à 15h00
Création d'un homicide routier et lutte contre la violence routière — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAntoine Léaument :

Voici ce que vous écrivez dans l'exposé des motifs : « lorsqu'un conducteur prend le volant alors qu'il n'a pas le permis de conduire, qu'il a consommé de l'alcool ou des stupéfiants, lorsqu'il commet un grand excès de vitesse ou une autre violation délibérée du code de la route, et qu'il tue ou blesse gravement quelqu'un, peut-on encore parler d'accident ? » Vous répondez par la négative, et vous proposez de modifier la rédaction du code pénal pour créer l'infraction d'« homicide routier ». Et, ce faisant, vous créez une aberration juridique.

En effet, jusqu'à présent, il n'existait que deux types d'homicides dans notre droit pénal : l'homicide volontaire et l'homicide involontaire. Mais en créant cette nouvelle catégorie, vous brouillez les lignes. Vous présentez l'homicide routier comme une infraction qui n'est ni vraiment volontaire ni vraiment involontaire : elle est comme suspendue entre les deux notions. Nous sommes d'accord pour dire que ceux qui prennent la route en ayant bu ou consommé des stupéfiants, ou encore qui roulent trop vite, sont des dangers publics. Mais peut-être serez-vous d'accord avec nous pour dire qu'ils ne le font pas en se disant qu'ils tueront quelqu'un ?

Pensent-ils réellement aux conséquences de leurs actes sur les autres ? Et quand ils ont bu ou consommé des stupéfiants, sont-ils même toujours en état physique de le faire ? Pensent-ils au fait qu'ils peuvent se tuer ou tuer les autres ? C'est la question qui est posée.

Votre proposition de loi ne satisfera pas l'un des arguments que vous avancez pour la justifier. Vous écrivez que « la création de ces infractions autonomes et spécifiques est nécessaire pour mieux responsabiliser les auteurs de ces comportements volontairement dangereux au volant ». Tout est dans le « volontairement ». En effet, prendre le volant constitue un comportement dangereux, mais les conséquences dramatiques et même mortelles qui peuvent en découler sont, elles, involontaires. Du reste, les sanctions qui punissent durement ces comportements morbides existent déjà dans notre code pénal. Dès lors, pour être efficace, il faut agir sur l'acte volontaire et non pas seulement qualifier le résultat involontaire. Ce sont les campagnes de prévention et les politiques de sécurité routière qui produisent le meilleur résultat ; ce ne sont pas les mots choisis.

Reste votre second argument, qui est le plus important à nos yeux : répondre à l'attente des familles qui ont perdu un proche. Vous écrivez que la qualification d'homicide involontaire « est très mal vécue par les victimes et familles de victimes ». Nous ressentons tous la même émotion face à ces drames. Chacun comprend la dimension symbolique forte de votre proposition de loi. Et la politique est, souvent, une affaire de symboles.

Néanmoins, voici ce qui nous retient de vous suivre, en notre qualité de législateurs. Je l'ai dit, vous créez une catégorie impossible. Sur le plan juridique ou philosophique, le résultat d'un acte humain, fût-il un homicide, est nécessairement soit volontaire soit involontaire ; rien n'existe entre les deux. Soit je commets une action avec l'objectif d'en récolter les effets désirés, et alors mon acte est volontaire ; soit je commets une action qui entraîne des conséquences non désirées, et alors on ne peut que qualifier d'involontaire le lien entre mon acte et celles-ci. Entre les deux, il n'existe aucune qualification juridique.

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