Intervention de Virginie Carolo-Lutrot

Réunion du jeudi 7 décembre 2023 à 15h30
Mission d'information de la conférence des présidents sur l'accès des français à un logement digne et la réalisation d'un parcours résidentiel durable

Virginie Carolo-Lutrot, première vice-présidente d'Intercommunalités de France :

Je préside la communauté d'agglomération Caux Seine agglo, qui compte quatre-vingt mille habitants. Entre Le Havre, Rouen et la mer, organisée autour de l'axe de la Seine, elle présente une dominante rurale. Polycentrique, elle compte trois villes de plus de dix mille habitants ainsi que des implantations industrielles – nous serons sans doute, lorsque la communauté urbaine de Dunkerque (CUD) aura tout vendu, l'une des dernières réserves foncières de France.

Au sein d'Intercommunalités de France, de nombreuses collectivités locales dressent le constat alarmant de l'extension du domaine des locations saisonnières. Dans certaines communes de Bretagne et sur le littoral normand, leur proportion atteint 60 %, ce qui tend à en faire des villes fantômes.

Depuis 2004, les intercommunalités se voient déléguer des compétences en matière de logement. La possibilité de devenir autorité organisatrice de l'habitat (AOH), dont la mise en œuvre n'est pas aboutie, est le point d'orgue de cette évolution. Le ministre délégué chargé du logement Patrice Vergriete a fait part de sa volonté d'ouverture pour affiner les choses et arrêter des règles de bon fonctionnement sur les territoires.

La position d'Intercommunalités de France est que les territoires sont à même de formuler des propositions tenant compte de leurs spécificités, en collaboration avec les services de l'État représentés par le préfet. Tous les territoires ne se ressemblent pas, c'est notre fil rouge. Dans le mien, coincé entre Rouen et Le Havre, je pilote le volet « Logement » de notre projet « Territoire d'industrie » et je ne dialogue pas de la même façon avec Fécamp, Goderville ou les autres communes. Au sein d'Intercommunalités de France, la volonté domine de mettre au point des outils aussi souples que possible, de les expérimenter et d'en rendre compte. Le rapport d'information sur le rôle de l'État dans les territoires, présenté en septembre 2022 par les sénateurs Agnès Canayer et Eric Kerrouche, a souligné que le préfet peut accompagner les territoires dans le cadre d'une réelle décentralisation des compétences, ce que nous appelons de nos vœux s'agissant de l'habitat.

Dans la communauté d'agglomération Caux Seine agglo, nous nous apprêtons à recevoir trois implantations industrielles qui représentent près de 2,5 milliards d'euros d'investissements et créeront un millier d'emplois. À Paluel, la seule construction du réacteur pressurisé européen (EPR) mobilise 1 200 ingénieurs, qu'il faut loger temporairement – ce qui n'est pas toujours adapté, compte tenu du ZAN – ou faire venir en train.

Faut-il faire des EPCI le cadre de référence de la conception et de la mise en œuvre des politiques de logement territorialisées ?

Pour nous, la réponse est affirmative. Nous proposons de rendre obligatoire le statut d'AOH pour les métropoles, les communautés urbaines et les communautés d'agglomération. Toutes ou presque ont un programme local de l'habitat (PLH), à défaut d'un programme local de l'habitat intercommunal (PLHI) ayant vocation à être intégré dans un plan local d'urbanisme intercommunal (PLUI).

Il y a plus d'incertitudes pour le niveau de la communauté de communes : un temps de latence serait sans doute nécessaire, sur le modèle de ce qui a été fait pour la compétence « Eau et assainissement », qui a été rendue obligatoire d'abord pour les autres strates ; les communautés de communes, par manque d'ingénierie, d'expérience ou d'outils, n'ont pas de délégation d'aides à la pierre, pas même de deuxième niveau, mais pourraient en obtenir sur la base du volontariat. Ce qui importe, pour nos adhérents, est de ne pas procéder par seuils – le seuil de dix mille habitants n'a pas la même signification selon les territoires – et d'assurer l'accompagnement des communautés de communes par les services de l'État et la mise à disposition d'outils optionnels. Certaines délégations existent d'ores et déjà.

Une question est de savoir si les départements peuvent apporter une aide en matière d'ingénierie : la plupart pilotent des organismes HLM et ils connaissent bien le parc social. Nous avons posé cette question à M. François Sauvadet, président de l'Assemblée des départements de France : faire entrer les communautés de communes progressivement dans le dispositif permettrait, selon lui, de régler certains problèmes ; au demeurant, une expérimentation consistant à faire du département l'AOH lorsque la communauté de communes n'a pas la compétence « Logement » est en cours en Côte-d'Or et en Loire-Atlantique. Il importe d'agir par étapes et de ne pas mettre les territoires en difficulté.

La question du zonage est essentielle. S'agissant du millier d'emplois attendu dans mon territoire, le ministre Patrice Vergriete m'a dit que, pour accueillir cette population qui relève de la catégorie immédiatement supérieure à celle éligible au prêt locatif social (PLS), il faudrait construire des logements locatifs intermédiaires (LLI) ou des logements financés par le prêt locatif intermédiaire (PLI). Or cela suppose d'être situé en zone B1, ce à quoi une commune d'une dizaine de milliers d'habitants ne peut prétendre sans intervention du ministère… alors que nous aurions très bien pu, dans le cadre du PLHI, élaborer des projets, sur la base d'un noyau de logements à venir dans les dix prochaines années.

Comment autoriser une évolution du zonage pour que les organismes HLM, qui ont des fonds disponibles, puissent construire du PLI ? Pour nous, l'essentiel, en tant qu'AOH, est de participer aux débats des organismes HLM. À cet égard, je préfère parler de « loyer réglementé », ayant constaté, lors de mes campagnes, que l'expression « logement social » est souvent stigmatisante et dissuade de construire : certains territoires, notamment les villages, refusent le logement social par crainte de voir arriver une population catégorisée en tant que « cas sociaux ». Nous travaillons donc sur la dénomination du logement social pour faire évoluer ces représentations, d'autant que la mixité « au palier » est satisfaisante dans le logement social – pour trois F2 sur un palier, le loyer va de 200 à 450 euros en fonction de la catégorie du logement.

La plupart des aides, celles de l'Agence nationale de l'habitat (Anah) et de l'Agence nationale de la rénovation urbaine (Anru) et MaPrimeRénov', sont nationales. Nous en demandons la territorialisation, dans le cadre de contrats signés directement avec les territoires. Il faut faire en sorte que les AOH participent aux débats, dans le cadre de conventions d'objectifs conclues avec les bailleurs sociaux. Je suis administratrice du bailleur social Logéal, qui, après fusion avec d'autres bailleurs, représente plus de vingt mille logements en Normandie. Je constate le poids de la logique financière : la vente de logements sert à dégager des marges de manœuvre pour construire. Mais il n'y a pas de prospective ou d'articulation avec un projet de territoire : là est le problème. Au demeurant, tel est le cas de la plupart des bailleurs sociaux : ils rénovent et vendent des logements construits vingt ou trente ans auparavant, dans le cadre de programmes pluriannuels d'intervention (PPI), mais en dehors de toute concertation avec les EPCI, qui ne sont qu'informés de la convention d'utilité sociale (CUS). Le rôle de l'AOH, me semble-t-il, est d'informer les bailleurs de ses projets pour le territoire et de développer avec eux une vision prospective.

J'en viens à votre question sur les raisons pour lesquelles la production de logements sociaux se situe aujourd'hui à un niveau historiquement bas et inférieur aux besoins. La réduction des marges de manœuvre des bailleurs sociaux est la première explication qui vient à l'esprit. Souvent, ils ont compensé la réduction de loyer de solidarité (RLS) et la diminution des aides personnelles au logement (APL), alors même que les gros bailleurs, en Normandie en tout cas, sont financièrement à l'aise.

Un autre problème tient à la territorialisation et au foncier. L'interdiction de louer les logements dont le diagnostic de performance énergétique (DPE) est F ou G a amené les bailleurs sociaux à concentrer une grande part des financements sur la rénovation thermique des logements, qui avait pris énormément de retard. Je salue ainsi la loi « Climat et résilience » : il y va de la salubrité des logements, ainsi que de l'équité et de la mixité sociales – d'autant que la rénovation énergétique est souvent l'occasion d'améliorer l'accessibilité des logements. Nous le rappelons régulièrement aux bailleurs : « Ne faites pas une isolation par l'extérieur sans penser à la salle de bains pour le maintien à domicile. Essayez de repenser en prospective le logement senior par rapport au logement non senior. Faites changer les appartements de catégorie. ». Si les AOH sont d'emblée associées au dialogue avec les bailleurs sociaux, les EPCI seront plus à même de construire une politique commune avec le parc social.

Par ailleurs, la diminution des aides à la construction de logements à loyer réglementé du Fonds national d'aide à la pierre (Fnap) induit une diminution de l'offre de construction, même si elle est anticipée par les bailleurs. Les aides du Fnap n'ont pas disparu, mais l'évolution d'Action Logement laisse augurer d'une poursuite de la diminution des aides, même si le ministre délégué a annoncé qu'il faut consommer l'ensemble des crédits disponibles et construire absolument.

Pour ce qui concerne le parc privé, le principal problème est sa mise au niveau des normes énergétiques et le manque de terrains constructibles. Dans le cadre des PLUI, les maires peuvent recourir au sursis à statuer pour différer la construction de logements, puisque nous n'avons plus d'espace de constructibilité en extensif. Il importe que les EPCI portent les politiques de l'habitat de manière pleine et entière, eux qui dialoguent avec les maires et construisent avec eux les PLUI ainsi que les PLHI. Nous sommes capables de présenter les questions de la densification et de la verticalité sous un jour favorable, mais ce dialogue ne prospère pas, faute de disposer de la compétence « Logement ».

Au maire qui affirme : « Je ne peux plus construire à cause du ZAN », je réponds : « Si, mais autrement, en élevant la constructibilité d'un ou deux étages dans le plan local d'urbanisme (PLU) ou en profitant des rénovations énergétiques pour augmenter la surface constructible. ». Le PLU de Paris, que nous avons étudié cette semaine, prévoit de végétaliser les cours, d'utiliser les extérieurs, de surélever les immeubles d'au moins un étage et d'occuper les terrasses. Traiter les « dents creuses » et la végétalisation au sol incite les bailleurs privés et sociaux à construire et à prévoir des espaces sur les toits. Le toit est utile aux économies d'énergie comme à l'occupation sociale, car tout le monde a le droit d'accéder aux étages élevés : cette perspective permet de réconcilier énormément de constructions avec la verticalité et la densification, qui suscitent à l'heure actuelle une forme d'opposition culturelle.

Sur ce point, il faut ouvrir un véritable dialogue avec les bailleurs privés et publics.

Une étude récente de la Banque des territoires montre que les opérateurs sont confrontés à un mur d'investissements pour rénover le parc existant et construire des logements neufs. Les organismes HLM donnent la priorité à la rénovation de leurs logements, de crainte de ne plus pouvoir les louer. Au demeurant, le Fnap a alloué des crédits à la rénovation des logements dont le DPE est E, ce à quoi la loi « Climat et résilience » n'oblige pas.

La réduction des moyens donnés aux opérateurs est un réel point faible de la politique nationale de l'habitat, qu'il s'agisse du logement vertical ou du logement horizontal, plutôt familial, offrant trois chambres et permettant d'accueillir des familles dans les territoires. Le nombre de constructions diminue, leur surface aussi. La construction de maisons sur des terrains de 500 m2 dans les campagnes soulève bien plus de problèmes de voisinage qu'en ville. Le lobbying de l'Association des maires ruraux de France (AMRF) auprès des maires concernés n'aide pas à les inciter à élaborer des PLU et des PLUI, ni à allouer à la construction des terrains de petite surface.

Notre agence d'urbanisme se penche depuis quinze ans – bien avant que la direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) n'incite les EPCI à instruire les permis de construire – sur des constructions telles que les maisons Boomerang et les maisons basses ainsi que sur les toits non occupés. Les EPCI sont capables d'accompagner le parcours résidentiel de A à Z, en recrutant des architectes paysagistes et des architectes dans leurs équipes, et en ouvrant des maisons de l'habitat ainsi que des matériauthèques.

Par ailleurs, la hausse des taux d'intérêt ayant eu pour effet de réduire le nombre de constructions, il faut peut-être envisager des mécanismes de soutien. Le Crédit agricole offre aujourd'hui aux primo-accédants, de façon volontaire, 1 € par euro accordé par l'État dans le cadre d'un prêt à taux zéro (PTZ). Il serait aussi envisageable de demander aux banques d'accorder des PTZ pour la production d'énergie renouvelable (EnR) par les maisons : dépenser quinze mille euros de plus pour l'isolation et le chauffage permet d'économiser deux cent euros par mois pour une augmentation du prêt de cent euros par mois ; tout le monde y gagne.

Les AOH pourraient jouer le rôle d'organisme certificateur, par le biais des espaces Info énergie et des plateformes du Service d'accompagnement pour la rénovation énergétique (Sare). Notre expérience en la matière nous permet de dire à la banque : « Vous pouvez dépasser le taux d'usure, car les frais de fonctionnement seront plus faibles ». Si complexe que cela puisse paraître, un EPCI ayant la volonté de construire peut faire venir dans le territoire, grâce à un « Welcome Package », une entreprise et ses salariés, en accompagnant ces derniers auprès des banques et des professionnels de l'habitat – sinon à l'échelle des grandes métropoles, du moins à celle d'une centaine de milliers d'habitants. Au Havre, des dispositifs souples sécurisent le parcours de l'habitat. En prospective, nous savons exactement le nombre de logements pour seniors qu'il faut construire en centre-ville, ce qui permet de libérer des espaces en périphérie.

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