Intervention de Jean-Claude Driant

Réunion du mercredi 31 janvier 2024 à 16h30
Mission d'information de la conférence des présidents sur l'accès des français à un logement digne et la réalisation d'un parcours résidentiel durable

Jean-Claude Driant, professeur émérite à l'École d'urbanisme de Paris :

En effet – et c'était mon deuxième facteur incitant à la prudence – la demande doit être renouvelée tous les ans. Il y a quatre ans, avant la crise sanitaire, j'avais effectué un travail avec l'Ancols montrant qu'un tiers des demandeurs ne renouvelaient pas leur demande, ce qui est considérable. Ce n'est d'ailleurs pas pour cela que la courbe baisse : les sortants sont remplacés par de nouveaux venus, ce qui provoque une sorte de sédimentation. Il serait intéressant de savoir pourquoi tous ces gens n'ont pas renouvelé leur demande, mais une telle étude est difficile à faire : on ne sait pas où ils sont partis. Peut-être que certains avaient déposé une demande un peu opportuniste et que leur vie a changé, peut-être ont-ils juste « loupé » la procédure de renouvellement ? À Paris, avec toutes ses spécificités, l'étude effectuée tous les ans par l'Atelier parisien d'urbanisme (Apur) sur la demande et les attributions de logements sociaux montre que le taux d'abandon est le même qu'ailleurs.

Qu'en est-il du rapport entre la demande et le besoin de construction, le premier concept étant beaucoup plus vaste que le second ? La demande est constituée par tous les gens qui, à un moment donné, se positionnent dans le système pour acheter un logement ou en louer un, que ce soit dans le parc privé ou dans le parc social. On peut l'estimer à 2,5 millions, soit le nombre de ménages qui s'installent dans un nouveau logement chaque année – un chiffre bien supérieur aux 350 000 à 380 000 logements neufs construits tous les ans au cours des vingt-cinq dernières années.

Ce que l'on cherche à mesurer, c'est la demande potentielle de logements neufs, longtemps appelée « besoin de constructions neuves » : il s'agit de l'accroissement de la demande dans l'année ; autrement dit, les nouveaux ménages qui entrent dans le système. Cette croissance est liée à des facteurs purement démographiques, mais aussi à des évolutions sociologiques, comme la décohabitation, qui font que le nombre de ménages augmente plus vite que la population elle-même et que le nombre moyen de personnes par ménage diminue.

Cette demande potentielle n'avait pas été mesurée depuis 2012, ce qui était un peu préoccupant. Il y a quelques semaines, le ministère en charge du logement a publié une étude montrant que l'accroissement serait de l'ordre de 215 000 à 220 000 ménages par an d'ici à 2030, avant une baisse très forte. Ces projections sont en phase avec les projections démographiques de l'Insee : la croissance de la population devrait ralentir à partir de 2030 et surtout 2040, et se stabiliser, voire régresser, à l'échéance de 2070 – selon des hypothèses migratoires qui mériteraient d'être revues. Selon un scénario central, le nombre de ménages augmenterait de 85 000 par an entre 2040 et 2050, ce qui marquerait un ralentissement très fort.

Pour connaître le besoin de constructions neuves, il faut additionner le nombre de ménages supplémentaires et les pertes de logements dues au renouvellement du parc. Selon l'hypothèse qui circule depuis vingt-cinq ans, cinquante mille logements disparaissent chaque année – c'est un solde, qui prend en compte à la fois les pertes dues aux démolitions et aux changements d'usage et les gains liés aux subdivisions pavillonnaires ou aux transformations de bureaux en logements, par exemple. Le service des données et études statistiques conduit actuellement une étude sur ce total des logements qui disparaissent chaque année, dont le nombre serait largement surestimé. Enfin, il faut aussi tenir compte des résidences secondaires : si 10 % des ménages en possèdent une et que l'accroissement est de 250 000 ménages par an, il faut 25 000 logements supplémentaires pour intégrer cette demande considérée comme inévitable.

C'est ainsi que l'on arrive au chiffre de 350 000 logements à construire tous les ans au niveau national. Dans cette logique de calcul, il manque une déclinaison territoriale et aussi la prise en compte d'autres raisons de construire, c'est-à-dire des estimations locales du nombre de logements à construire pour couvrir les besoins. Un élu local peut être tenté de faire des projections démographiques optimistes, même si la population stagne ou baisse, ce qui conduira à des objectifs de production supérieurs à la simple déclinaison du chiffre national à l'échelle territoriale. Il y a aussi des enjeux de politique urbaine : une ville, y compris si sa population stagne, peut se donner l'objectif de refaire le quartier de la gare ou de privilégier la construction interne au détriment du périurbain. Il est donc normal que la somme des besoins locaux ne soit pas égale aux besoins nationaux – c'est même l'inverse qui ne serait pas normal.

Pendant longtemps, le besoin annuel a été estimé à cinq cent mille logements. Ce chiffre, qui n'est plus guère repris dans les discours politiques ni même par la Fondation Abbé Pierre, reposait sur l'idée qu'il fallait combler un déficit accumulé. Membre du comité de pilotage du rapport annuel de la Fondation Abbé Pierre pendant plus de quinze ans et resté proche de l'organisation, il me semble que j'ai contribué à la faire évoluer sur ce point : certes, il faut continuer à dire qu'il faut construire beaucoup de logements, mais en insistant plutôt sur leurs caractéristiques que sur leur nombre. Cela renvoie à la question des prix et à la notion de « logement abordable » dans tous les segments – y compris le logement intermédiaire, même s'il n'est pas équivalent à un logement social.

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