Intervention de Jean-Claude Driant

Réunion du mercredi 31 janvier 2024 à 16h30
Mission d'information de la conférence des présidents sur l'accès des français à un logement digne et la réalisation d'un parcours résidentiel durable

Jean-Claude Driant, professeur émérite à l'École d'urbanisme de Paris :

Je suis un universitaire : j'analyse, mais je formule peu de recommandations…

Il n'y a pas de solution miracle. En particulier, l'idée d'un « choc de l'offre » me semble relever de la pensée magique. Construire beaucoup plus, pourquoi pas ? Mais cela ne fera pas baisser les prix, les exemples de Lyon, de Nantes ou de Bordeaux le montrent bien : on y a beaucoup construit, mais les prix ont augmenté. Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas construire ; mais il faut se demander de quels types de logement nous avons besoin.

Il est également illusoire d'espérer des effets massifs et rapides sur notre système : les inerties sont fortes – je l'évoquais à propos du marché foncier.

Il y a bien des décisions politiques qui pourraient être prises, mais elles ne seraient sans doute pas simples.

Ainsi, la capacité d'investissement et de production du monde du logement social est extrêmement fragilisée par des phénomènes liés à notre situation macroéconomique – hausse du taux du livret A et des taux d'intérêt, problèmes de la Vefa-HLM –, mais aussi par les coupes imposées aux organismes de logement social – réduction de loyer de solidarité (RLS), hausse de la TVA. La Caisse des dépôts a bien montré, dans son étude annuelle sur la capacité d'investissement du monde du logement social, que lier les enjeux de la rénovation et ceux de la production n'était pas tenable. J'ai demandé aux auteurs de l'étude ce qu'il en serait si on « rendait » la RLS aux bailleurs sociaux : cela fonctionnerait ! L'effet ne serait pas immédiat, puisqu'il faut au moins quatre ans entre la décision de construire un logement social et le moment où les clés sont remises à un locataire ; mais il serait possible de relancer la machine du logement social, qui dispose d'équipes professionnelles et de l'ingénierie nécessaire pour agir. Bien sûr, il faut aussi que les maires délivrent des permis de construire, ce qui n'est pas toujours facile – il y a des résistances. Mais redonner les moyens serait un pas dans la bonne direction.

J'évoquais le secteur locatif privé : c'est une banalité aujourd'hui, mais l'idée de donner un statut économique et fiscal au bailleur privé personne physique me paraît également pertinente.

On ne peut pas compter sur les institutionnels pour redynamiser le marché : ils y étaient un peu revenus avant la crise actuelle, mais les statistiques pour 2022 et 2023 montrent qu'ils sont déjà en train de se retirer. C'est peut-être purement conjoncturel – la situation de l'immobilier de bureaux n'est pas excellente, c'est le moins que l'on puisse dire –, mais il n'y a pas grand-chose aujourd'hui qui leur donne envie d'investir dans l'immobilier.

Le marché locatif est et restera donc, très majoritairement, un marché de particuliers. Dès lors, on pourrait imaginer de leur donner un statut fiscal.

Il faudrait qu'il concerne l'ancien aussi bien que le neuf : les systèmes d'aides mis en place depuis une vingtaine d'années ont toujours été centrés sur le neuf, comme le Pinel ou, à quelques exceptions près, le prêt à taux zéro. Or si l'on veut provoquer une reprise de l'offre, il ne faut pas en rester là : sinon, l'impact ne sera visible que dans vingt ans.

À ce statut s'attacheraient naturellement des contreparties. Celles-ci pourraient porter sur le montant du loyer ou le niveau des ressources, à l'instar de ce qui existe pour le LLI et le Pinel ; elles pourraient aussi concerner la qualité du logement, avec un critère de performance énergétique, par exemple.

Il faudrait naturellement mesurer le coût d'une telle mesure, mais il me semble qu'elle pourrait être efficace.

Il y a une autre idée qui se trouvait déjà dans les cartons du ministre précédent. Ayant animé un groupe de travail du Conseil national de l'habitat sur la décentralisation de la politique du logement, qui a tenu sa dernière réunion hier, nous avons constaté qu'il existe de vraies velléités locales de prise en charge de la politique de l'habitat, de façon bien plus forte que cela n'existe aujourd'hui.

Une telle mesure devrait-elle être automatique ? Toutes les métropoles, toutes les communautés urbaines, toutes les communautés d'agglomération, voire certaines communautés de communes pourraient-elles être concernées ? Il y a un débat. C'est une perspective qui m'inquiéterait plutôt. Je citais Nevers : voilà une communauté d'agglomération qui ne remplit aucun des critères pour devenir autorité organisatrice de l'habitat (AOH). Elle n'est pas délégataire des aides à la pierre, par exemple. Elle n'en a pas les moyens : l'ingénierie en la matière, c'est une seule personne… Le volontariat et la fixation d'un certain nombre de critères en matière d'ingénierie me sembleraient donc bien préférables à une généralisation automatique.

Le potentiel de l'action locale, si elle était un peu plus libre qu'elle ne l'est aujourd'hui, me semble intéressant. Je pense par exemple au cadre normatif : une AOH ne devrait pas avoir besoin de l'autorisation de l'État pour imposer un encadrement des loyers. On peut penser à Grenoble, qui a été « recalée » : c'est vrai que les loyers n'y sont pas très élevés, mais une collectivité doit pouvoir prendre ses responsabilités ! Il en va de même pour la réglementation de la location touristique de courte durée, pour la taxe sur les logements vacants, pour les permis de louer… Il doit être possible d'agir au niveau local sans demander l'autorisation du préfet. C'est là que le statut d'AOH aurait un sens.

Les associations d'élus demandent aussi que les collectivités qui le souhaitent – et qu'elles estiment nombreuses – puissent prendre la main sur MaPrimeRénov'. Cela doit être mis en balance avec l'enjeu national de rénovation énergétique. Certes, MaPrimeRénov' ne fonctionne pas aussi bien qu'on le voudrait, mais on voit quand même une montée en puissance. Comment imaginer une articulation entre des AOH responsables de ce dispositif et l'agence nationale qu'est l'Anah ? Je suis perplexe, je l'avoue. Mais la force de cette demande m'a surpris.

On peut ensuite penser à une série de petites mesures. Parmi celles-ci, je compte le LLI : je continue de penser que ce produit a sa place sur le marché.

On peut aussi penser au bail réel solidaire (BRS), ce qui pose la question du foncier. Je n'ai pas les connaissances techniques pour dégager des mesures précises, notamment fiscales. Mais j'ai compris des travaux du CNR Logement – le volet « Logement » du Conseil national de la refondation a eu au moins la vertu de réunir l'ensemble des acteurs – qu'un consensus se dégageait en faveur d'une plus forte régulation du foncier, avec un encadrement, davantage de droits de préemption ou encore un plafonnement des prix. Ce consensus n'aurait pas existé il y a quinze ans : c'est peut-être le moment d'agir ! Je sais que le ministre Patrice Vergriete y pensait.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion