Intervention de Salomé Arbault

Séance en hémicycle du mercredi 28 février 2024 à 14h00
Conséquences de la loi immigration sur les enfants étrangers placés à l'aide sociale à l'enfance

Salomé Arbault, chargée de plaidoyer à la Fondation Apprentis d'Auteuil :

Je vous remercie beaucoup pour votre invitation. La Fondation Apprentis d'Auteuil est reconnue d'intérêt général et œuvre auprès des enfants, des jeunes et des familles fragiles. Elle est à ce titre un des premiers acteurs de la protection de l'enfance en France. Pour vous donner un ordre d'idée, nous accueillons environ 2 400 mineurs non accompagnés, pris en charge au titre de la protection de l'enfance dans le cadre d'une soixantaine de dispositifs, dont une vingtaine est uniquement dédiée à leur accompagnement.

Nous offrons à ces jeunes un accompagnement éducatif global, qui comprend évidemment l'hébergement et la nourriture mais aussi le suivi en santé, l'accompagnement vers l'apprentissage du français, vers la scolarité, vers la formation et vers l'autonomie, ainsi que l'aide dans les démarches administratives, l'apprentissage de la citoyenneté et des codes sociaux.

J'évoquerai deux impacts majeurs de la loi « immigration » sur les enfants et sur les jeunes que nous accompagnons. Le premier, c'est un recul des droits pour les jeunes majeurs ayant suivi un parcours en protection de l'enfance ; le second, c'est la création de nouveaux freins à la régularisation qui touchent aussi les enfants protégés.

S'agissant du recul des droits pour les jeunes majeurs, je rappelle au préalable que les mineurs non accompagnés bénéficient des mesures de protection de l'enfance. J'insiste sur le fait qu'ils sont arrivés seuls sur le territoire français et que ce sont à ce titre des enfants à protéger, qui deviennent après leurs 18 ans des adultes à protéger comme tous les autres enfants accueillis par l'aide sociale à l'enfance. Or nous constatons qu'ils font désormais l'objet d'un traitement différencié puisque l'article 44 de la loi « immigration » instaure une grave rupture d'égalité en remettant en cause les avancées de la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants, dite loi Taquet. Cet article prive en effet les jeunes issus la protection de l'enfance et faisant l'objet d'une obligation de quitter le territoire français du droit de bénéficier d'un accompagnement jeune majeur.

Jusqu'ici, la jurisprudence avait établi que les départements étaient légalement tenus de poursuivre la prise en charge des jeunes majeurs non accompagnés, y compris lorsqu'ils étaient soumis à une OQTF. Rappelons que celle-ci, comme toute décision administrative, peut faire l'objet d'un recours : il est même fréquent que de telles décisions soient annulées par les tribunaux administratifs, mais les jeunes ont alors absolument besoin de l'appui de celles et ceux qui les accompagnent au quotidien. En 2019, le taux d'annulation des seuls contentieux allant jusqu'au Conseil d'État a atteint en moyenne 24 %, et même 40 % dans certains territoires.

Dorénavant, des jeunes seront exclus de l'accompagnement jeune majeur alors même que la décision d'OQTF sur laquelle cette exclusion repose pourra être invalidée… L'article 44 nuit à l'intérêt des jeunes majeurs et à leur pleine inclusion dans la société ; ils peuvent même se retrouver à la rue et risquent fort d'être récupérés par des réseaux de traite. D'après l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, 36 % des victimes de la traite en 2019 étaient en attente d'un titre de séjour ou en situation irrégulière. Je tiens à rappeler ici que 36 % des jeunes SDF âgés de 18 à 24 ans ont été placés pendant l'enfance… Il s'agit déjà d'une statistique intolérable : il ne faudrait pas que cet article l'aggrave encore.

J'en viens au second point : la création de nouveaux freins à la régularisation a des répercussions sur les jeunes majeurs, y compris ceux issus de la protection de l'enfance. Cette loi contient à cet égard des articles problématiques. J'en citerai seulement deux.

L'article 20 introduit la nécessité de justifier d'un niveau de langue suffisant pour accéder à une régularisation. Entendons-nous bien : l'apprentissage de la langue française est évidemment un levier central et essentiel pour l'intégration, mais cet article apparaît en contradiction avec le manque criant de dispositifs adaptés pour l'apprentissage du français. Je pense notamment aux classes de français langue étrangère, dites FLE, ou encore aux unités pédagogiques pour élèves allophones arrivants, dites UPE2A. En septembre 2023, l'Unicef a montré que les mineurs non accompagnés perdent entre six mois et trois ans de scolarité du fait des divers délais imposés par les procédures administratives ou judiciaires.

L'article 21, quant à lui, met fin à la possibilité de renouveler plus de trois fois une carte de séjour temporaire portant une mention identique. Je rappelle qu'être sans papiers est évidemment un facteur majeur de précarité : le Secours catholique a montré dans un rapport qu'en 2020, 60 % de ses bénéficiaires étrangers étaient en attente de statut légal ou en situation irrégulière.

Au-delà même de la loi « immigration », on constate déjà que l'avenir des MNA, une fois passée la barrière des 18 ans, est trop souvent suspendu à une décision de régularisation. Nous avons investi dans l'avenir de ces jeunes en les protégeant : une fois ceux-ci devenus majeurs, nous devons donc créer les conditions de leur plein épanouissement.

En conclusion, je souligne que la loi qui vient d'être adoptée crée de nouvelles difficultés pour les jeunes majeurs étrangers issus de la protection de l'enfance alors même que leurs parcours sont déjà compliqués à de nombreux égards. Mais puisque cette loi avait aussi pour but d'« améliorer l'intégration », sachez que nous avons plusieurs propositions qui permettraient de favoriser l'intégration de ces jeunes MNA, propositions sur lesquelles je pourrai revenir si cela vous intéresse. En bref, nous aimerions que soit établie une prise en charge universelle de tous les jeunes protégés, afin que tous, qu'ils soient français ou étrangers, puissent bénéficier des mêmes droits.

Voici ce que me disait un éducateur avec qui j'ai échangé la semaine dernière au sujet des MNA : « Est-ce qu'on les considère comme des enfants ou comme des étrangers ? Il faut leur laisser la place de grandir et de se développer comme des enfants. »

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