Intervention de Pascale Bordes

Séance en hémicycle du mardi 5 mars 2024 à 21h30
Allongement de l'ordonnance de protection et création de l'ordonnance provisoire de protection immédiate — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPascale Bordes :

Le 3 août dernier, Sylvie Sanchez a été tuée par son ex-conjoint ; il l'a poursuivie avec sa voiture et l'a volontairement percutée à plusieurs reprises, avant de l'écraser contre un portail. Sylvie Sanchez avait pourtant déposé une main courante pour menaces de mort le 18 juin 2023. Lors d'une perquisition chez son ex-conjoint, les gendarmes avaient saisi quatre armes – carabines et fusils. Une mesure d'hospitalisation en psychiatrie avait été ordonnée puis levée, l'expert psychiatre n'ayant pas relevé de dangerosité chez l'intéressé ; celui-ci avait reçu une simple convocation à une audience qui devait se tenir le 3 novembre 2023, cinq mois après les faits. Un tel délai n'est malheureusement pas inhabituel – certaines juridictions le dépassent largement. Le temps de la procédure est souvent incompatible avec le temps de la victime ; quels que soient les progrès que nous accomplirons par ailleurs, nous ne combattrons pas plus efficacement les féminicides si nous n'agissons pas sur le facteur absolument prioritaire qu'est le temps.

Néanmoins, l'urgence à statuer ne saurait aller au détriment des droits de la défense et du principe du contradictoire. L'ordonnance de protection créée en 2010 est l'un des moyens de concilier ces paramètres. Cet outil est devenu incontournable au fil des ans, mais nous y recourons bien moins qu'en Espagne, pays pionnier en matière de lutte contre les violences intrafamiliales : le nombre d'ordonnances de protection délivrées y est dix-sept fois plus élevé qu'en France. Certes, nous partons de très loin. Rien n'a été réellement accompli pendant des dizaines d'années, et là encore, le temps est un facteur fondamental qui joue contre les victimes : nous devons rattraper notre retard et redoubler d'ambition. Au-delà de l'ordonnance de protection, nous devons mettre davantage de places d'hébergement spécialisées à la disposition des femmes et des enfants victimes de violences, pour répondre à leurs besoins spécifiques. Seuls de tels hébergements peuvent leur apporter le réconfort, la sécurité et l'aide indispensables à une reconstruction ; or, ils sont trente-trois fois moins nombreux en France qu'en Espagne, alors que notre population est 30 % supérieure. Dans notre pays, le nombre de places existantes correspond à seulement 15 % des besoins identifiés.

Nous avons également besoin de davantage de policiers et de gendarmes pour recueillir les plaintes, car il faut prendre le temps d'écouter les victimes pour dévoiler les faits de violence. Les brigades doivent être spécialisées et formées, tant les notions d'emprise et de dépendance sont parfois difficiles à appréhender.

Il faut aussi davantage de juges et de greffiers, car les ordonnances de protection s'ajoutent à des rôles d'audience déjà bien chargés – vous le savez bien, monsieur le garde des sceaux. Nous devons en outre mettre fin à un empilement législatif qui privilégie les bonnes intentions aux dépens de règles bien pensées et applicables.

En définitive, comme certains viennent de le souligner, il nous faut une loi-cadre, sur le modèle de la loi-cadre espagnole de 2004, qui prenne en compte tous les aspects – civils, pénaux, économiques, familiaux –, précédée d'une remise à plat complète des dispositifs existants et d'une chasse aux angles morts. Malgré le Grenelle des violences conjugales, malgré les campagnes de sensibilisation, malgré les progrès incontestables dans la prise en charge des victimes et les avancées procédurales permises par l'ordonnance de protection, le nombre de féminicides continue d'augmenter : il a connu une envolée record en 2022. Plus inquiétant encore, les tentatives de féminicides ont crû de 45 % sur la même période.

Concernant 2023, il semble que le ministère de la justice et les associations se livrent à une bataille de chiffres ; mais quoi qu'il en soit, rien n'indique une baisse drastique. Tant que nous ne ferons pas en sorte de modifier d'une manière sérieuse et pérenne le regard que certains hommes portent sur les femmes, nombre de celles-ci continueront de mourir sous les coups de leur partenaire. Il faut saluer les progrès réalisés, mais la route est encore longue ; ce texte va dans le bon sens, en ce qu'il améliore la protection des victimes initiée par le dispositif des ordonnances. Le groupe RN votera donc en sa faveur.

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