Intervention de Aurore Bergé

Séance en hémicycle du jeudi 28 mars 2024 à 9h00
Discussion d'une proposition de loi — Présentation

Aurore Bergé, ministre déléguée chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations :

Personne ne peut nier l'ampleur des discriminations liées à l'origine. Oui, les discriminations existent et résistent dans la société française. Le rapport annuel de la Défenseure des droits, rendu public mardi dernier, est sans appel : les discriminations liées à l'origine demeurent prédominantes parmi tous les types de discriminations, en particulier dans le secteur privé.

En 2023, 33 % des réclamations en matière de discrimination concernant l'emploi dans le secteur privé étaient liées à l'origine. Qui pourrait se satisfaire de cette situation ?

Derrière ces chiffres, il y a des femmes et des hommes dont les vies et les parcours sont entravés ; il y a des droits qui sont bafoués : le droit au logement, l'accès à l'emploi, l'accès aux soins ou encore à l'éducation. Le cercle vicieux que ces discriminations entraînent est terrible : mal-logement, précarité, chômage, déscolarisation, dégradation de l'état de santé.

Face à l'ampleur de ce phénomène, nommons les faits et soyons tous au clair.

La discrimination fondée sur l'origine vise des femmes et des hommes non pour ce qu'ils font mais pour ce qu'ils sont ou sont supposés être. C'est ce qu'on appelle du racisme en acte. Il stigmatise des signes extérieurs sur lesquels les individus n'ont pas de prise : la couleur de leur peau, la texture de leurs cheveux, les traits de leur visage, leur patronyme, leur accent. Ces discriminations, vous le savez, sont incriminées en France depuis 1972. La loi du 1er juillet 1972 relative à la lutte contre le racisme, dite loi Pleven, avait alors inscrit dans le code pénal les premières sanctions contre les discriminations fondées sur l'origine.

Depuis 1972, la France a affirmé avec force que le racisme n'est pas une opinion – il ne l'a jamais été –, mais un délit. La France a été pionnière.

Elle connaissait alors une prolifération d'expressions publiques racistes et xénophobes, même dans les médias publics. En 1972, un reportage de l'ORTF – Office de radiodiffusion-télévision française – énumérait les insultes visibles au cœur de nos villes : « La poubelle de Paris est remplie de ratons » ; « Halte à la négrification » ; « La France aux Français ». Certaines de ces insultes étaient même des slogans politiques.

Depuis, la loi a été modifiée, la société a lentement évolué. Désormais, les associations antiracistes peuvent porter plainte et se constituer partie civile.

Cependant, les discours xénophobes que tiennent encore certains responsables politiques, relayés massivement par les nouveaux tracts que sont les réseaux sociaux, légitiment le passage à l'acte raciste. Les tweets récents de l'extrême droite sur Aya Nakamura l'illustrent parfaitement. Comme le souligne le ministre de l'intérieur, nous avons assisté, en 2023 et au début de l'année 2024, à une explosion de crimes et délits à caractère raciste ou antisémite.

Nous devons donc rester mobilisés et poursuivre sans relâche notre action contre toutes les formes de discriminations. C'est un combat quotidien qui doit être celui de tous les parlementaires et qui est évidemment celui du Gouvernement. Il est au cœur de la feuille de route qui m'a été confiée par le Président de la République et le Premier ministre.

Le 18 mars, j'ai présidé le comité de suivi du plan national de lutte contre le racisme, l'antisémitisme et les discriminations liées à l'origine. J'attache une importance capitale à son application par chacune des administrations.

La proposition de loi visant à lutter plus efficacement contre les discriminations, défendue par la majorité et par Marc Ferracci en particulier, est également porteuse d'avancées essentielles pour mieux évaluer, mesurer et donc lutter contre les discriminations en ce qui concerne l'accès à l'emploi ou au logement.

Je salue également l'important travail mené par la Défenseure des droits, qui traite chaque année les réclamations en matière de discrimination : elle en a reçu plus de 137 000 en 2023.

Nous avons souhaité renforcer la visibilité de sa compétence en créant en 2021 la plateforme antidiscriminations.fr, et un numéro dédié aux victimes, que je vous engage à mieux faire connaître, le 3928. C'est grâce à ces outils que nous améliorons la situation, car – vous l'avez dit, monsieur le rapporteur –, En France, seules 2 % des personnes discriminées en raison de leur origine ou de leur sexe portent plainte.

La proposition de loi que vous défendez s'inscrit dans la continuité de cette action déterminée. J'ai vu moi aussi les sourires entendus et les ricanements au moment de son dépôt. Puis j'ai lu les témoignages, ceux de nos enfants qui ont honte de leur apparence, de ces petites filles noires qui préfèrent choisir une poupée blanche aux cheveux lisses parce qu'elles pensent qu'elles seront mieux vues dans la société, ou encore de ces femmes et de ces hommes qui redoutent une remarque lors d'un entretien d'embauche. Or ce texte a le mérite et le courage de mettre en lumière ce type spécifique de discrimination.

Une fois ce constat établi, il faut toutefois ajouter que les lois en vigueur permettent déjà de lutter contre ces discriminations. La Cour de cassation, dans une décision rendue le 23 novembre 2022, a en effet jugé qu'une grande entreprise française était coupable de discrimination après le licenciement d'un salarié en raison de sa coiffure. Nos lois mentionnent déjà vingt-six critères de discrimination, notamment celles liées à l'apparence physique, au sexe, ou à l'origine réelle ou supposée de nos concitoyens.

La portée générale de la loi, qui fait sa force, doit être préservée. En péchant par excès de précision, elle risque, à terme, d'omettre des cas, ce qui nécessiterait sa révision constante pour répondre à tous les problèmes soumis à nos juridictions.

En lien avec la Dilcrah et la Défenseure des droits, j'ai demandé à l'administration de repérer les éventuelles lacunes du droit. L'objectif est de vérifier la lisibilité et l'effectivité de l'ensemble des dispositions en vigueur, dispersées dans différents codes. J'associerai à cette réflexion l'ensemble des parlementaires qui souhaitent s'y engager.

Pour ces raisons, parce que vous posez des questions importantes pour notre combat face aux discriminations, mais aussi parce que la loi doit préserver son caractère général, le Gouvernement s'en remettra à la sagesse de l'Assemblée.

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