Intervention de Danièle Obono

Séance en hémicycle du jeudi 28 mars 2024 à 9h00
Discussion d'une proposition de loi — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDanièle Obono :

Par conséquent, lorsqu'une forme d'oppression recule, c'est toute la société qui progresse !

Comme tout attribut physique, les cheveux renvoient non seulement à un imaginaire, mais aussi à des pratiques et des politiques de longue date. À partir du XVe siècle, avec la colonisation de l'Afrique et des Amériques, les différences morphologiques ont servi de fondement matériel pour justifier l'exploitation des populations dominées. Dans le système esclavagiste, qui a fondé le capitalisme moderne, la longueur et la texture des cheveux constituent, de même que les traits et la couleur de peau, l'un des principaux critères de catégorisation et d'infériorisation. L'abolitionniste Victor Schœlcher notait ainsi que, dans les colonies françaises, « [q]uiconque a les cheveux laineux, signe essentiel de la prédominance noire dans le sang, ne saurait aspirer à une alliance avec des cheveux plats » et que « [l]es femmes de couleur qui ont la chevelure crépue s'imposent des tortures horribles en se coiffant pour la tirer de façon à laisser croire qu'elle est soyeuse ». Perceptions et pratiques d'un temps révolu ? Que nenni : les oppressions, et les discriminations qui en découlent, ont la vie dure. Partout dans le monde, y compris en France, elles sont toujours à l'œuvre.

Durs, difficiles, indomptables, sales, négligés : les cheveux crépus ou frisés restent associés à des adjectifs péjoratifs. Carmen Diop, psychologue du travail qui étudie la condition professionnelle des femmes noires diplômées en France et leur expérience sociale, constate qu'au cours de ses entretiens de recherche est fréquemment évoquée l'injonction d'avoir une coiffure professionnelle : « Une femme me disait : ''Je me suis autocensurée, je mettais des perruques, je faisais des tissages'' […]. Une autre, cheffe d'équipe dans l'informatique, avait tellement intériorisé cette injonction que lorsqu'elle recrutait des femmes noires, elle leur disait de ne pas travailler avec leurs cheveux naturels ou avec des tresses car elles sont symboliquement assignées aux personnes noires ».

De surcroît, transformer ses cheveux, c'est mettre sa santé en péril : selon une étude de 2022, le risque de cancer de l'utérus est de l'ordre de 4 % chez les femmes qui utilisent des produits capillaires afin de se défriser, de 1 % chez les autres.

Ce texte cosigné par plusieurs membres du groupe La France insoumise – NUPES permet donc de préciser utilement les dispositions relatives à la lutte contre ces discriminations ; nous saluons l'initiative du rapporteur Serva et nous voterons en sa faveur. Il aurait néanmoins gagné à rattacher son objet aux discriminations liées à l'apparence physique et à l'origine : tel est le sens de l'amendement que nous avons déposé. En outre, le fait qu'il prévoie la modification de trois codes prouve qu'il est nécessaire de créer un code unique de la non-discrimination. Celui-ci réunirait les nombreuses dispositions éparses, afin de rendre le droit plus lisible et plus accessible, aux professionnels comme aux justiciables.

Enfin, lutter efficacement contre les discriminations requiert d'intervenir en amont pour les prévenir, à la racine pour les éradiquer. Comme le rappelait la Défenseure des droits dans sa contribution au rapport 2023 de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH), il serait urgent « de mettre en œuvre une stratégie nationale et de déployer des plans globaux, structurels et coordonnés, destinés à lutter contre les discriminations dans leur dimension systémique et permettant d'articuler les différentes approches par critère ». C'est ce à quoi s'attellera la majorité Insoumise, lorsque le peuple nous donnera la force de tout changer.

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