Intervention de Frédéric Valletoux

Séance en hémicycle du mardi 2 avril 2024 à 15h00
Prévention en santé

Frédéric Valletoux, ministre délégué chargé de la santé et de la prévention :

Je remercie le groupe MODEM d'avoir pris l'initiative de ce débat fort intéressant. J'ai pris beaucoup de notes, parce que de nombreux propos pertinents ont été tenus par l'ensemble des orateurs. Je remercie tous ceux qui sont montés à la tribune. Ils se sont parfois montrés très critiques, mais la critique permet d'avancer. En tout cas, tous ont en commun d'avoir formulé des propositions intéressantes.

Vous l'avez dit, et j'en suis moi-même convaincu : face aux épidémies, au vieillissement de la population et au poids que représentent les maladies chroniques, notre pays ne tiendra que par la prévention. Notre système de santé ne tiendra durablement que si nous déployons un système de prévention efficace et reconnu pour sa pertinence dans de nombreux champs d'intervention. La prévention est la condition de la soutenabilité de notre système de santé. Nous sommes tous attachés à sa pérennité et à sa solidité.

La prévention est aussi le premier des combats contre les inégalités sociales et territoriales. Enfin, elle est une manière de protéger notre système de santé à très court terme : quand on parvient à réduire l'incidence de la bronchiolite ou de la grippe, on a moins besoin de médicaments, moins recours à l'hôpital, et on enregistre en définitive moins de décès. Notre ambition est donc d'opérer dans les prochains mois une transformation de notre politique de prévention en santé. Nous devons basculer d'un système historiquement axé sur le tout curatif à une société qui repose davantage sur la prévention, comme l'a rappelé le député Cyrille Isaac-Sibille, et je salue le combat qu'il mène de longue date pour que chacun prenne conscience de la nécessité d'opérer ce virage.

Parler de prévention, c'est aborder la santé environnementale, la nutrition, l'alimentation – autant de sujets évoqués par les uns et les autres, et notamment par Jérôme Guedj. De nombreux acteurs participent à cette prise de conscience générale, à commencer par l'État, dont l'intervention en matière de santé et donc de prévention est prééminente, mais aussi les collectivités locales, le monde associatif et le monde sportif. Tous se mobilisent à cette fin.

Faut-il, comme l'a proposé Charles Fournier, encadrer l'intervention de chacun et clarifier le rôle des collectivités locales en les dotant de compétences strictes ? Je ne le crois pas. Chacun, me semble-t-il, a conscience de son rôle dans son champ de responsabilité – les départements avec les collèges, les régions avec les lycées, on pourrait allonger la liste… Chacun agit déjà en matière de prévention et a parfaitement conscience des enjeux, par exemple les maires qui composent les menus des cantines au sein des écoles maternelles et primaires.

Je rappellerai juste un chiffre : la nation consacre environ 15 milliards d'euros à la santé selon les études, soit 0,6 % du PIB, ce qui nous situe dans la moyenne des grands pays de l'OCDE. Ce n'est pas merveilleux, mais nous n'avons pas à rougir de ce classement. Nous devons nous améliorer et nous affirmer en la matière, mais ne rougissons pas de l'effort général que nous menons.

Des politiques de prévention ciblées ont été déployées, notamment dans le cadre de la stratégie nationale de santé 2018-2022. Elles ont visé à renforcer la protection vaccinale de la population, ou encore à faciliter les actions de promotion de la santé dans tous les milieux de vie. Je pense par exemple au dépistage néonatal ou à l'extension de l'obligation vaccinale à onze vaccins pour les moins de 2 ans, qui permet d'atteindre une couverture vaccinale très élevée chez les enfants.

La mise en place du nutri-score a permis d'encourager des choix alimentaires plus sains et de réduire les risques de maladies liées à l'alimentation. Je suis d'accord avec Jérôme Guedj, il faut sans doute pousser les feux en la matière, mais notre pays peut au moins se glorifier d'avoir un tel dispositif – ailleurs, il n'existe même pas.

La prévention active et personnalisée s'est par ailleurs incarnée dans des objets numériques très concrets comme Mon espace santé, quotidiennement utilisé par 11 millions de Français.

Plus récemment, le virage de la prévention a connu une accélération : l'hiver dernier, le succès des campagnes de vaccination et d'immunisation a permis d'améliorer significativement la protection de la population. Dans les maternités, le traitement préventif du virus à l'origine de la bronchiolite des nourrissons s'est caractérisé par un taux d'adhésion élevé. L'évolution des mentalités est avérée et déjà enclenchée : les Français acceptent voire réclament de tels progrès et de telles innovations au service de la prévention. Je m'en réjouis et salue la mobilisation collective qui les permet et qui évite aux nourrissons d'être hospitalisés. Le travail se poursuit pour reproduire dès l'hiver prochain cette première campagne d'immunisation couronnée de succès et ces excellents résultats.

En parallèle se déploie depuis octobre dernier la campagne de vaccination contre les infections à papillomavirus humains pour les élèves de cinquième : plus de 117 000 élèves ont reçu leur première dose, entièrement prise en charge par l'assurance maladie ; la campagne se poursuivra en 2024.

Nous pourrions parler de nombreuses pathologies, mais permettez-moi d'évoquer quelques exemples significatifs à l'origine de décès : les cancers, le tabac, ainsi que les maladies cardiovasculaires évoquées par Yannick Neuder.

En matière de lutte contre le cancer, nous devrions atteindre d'ici à 2025 l'objectif de 10 millions de dépistages par an, contre 9 millions aujourd'hui.

Concernant la lutte contre le tabac, le programme national de lutte contre le tabagisme 2018-2022 s'est déjà traduit par de premiers résultats prometteurs : une baisse historique de la prévalence du tabagisme quotidien, passée de 28,5 % en 2014 à 24,5 % en 2022 – vous vouliez mesurer notre engagement en matière de prévention de certaines pathologies, voici des chiffres ! Ces résultats positifs nous encouragent à appliquer rapidement les mesures du nouveau PNLT annoncé il y a quelques mois, qui seront déployées dès cette année : interdiction de la vente des puffs ; élargissement des espaces sans tabac. D'autres mesures qui ont fait leurs preuves, comme le Mois sans tabac et la hausse des prix, sont par ailleurs reconduites : le prix du paquet de cigarettes atteindra ainsi 13 euros d'ici à 2027, avec un premier palier à 12 euros en 2025.

Ces dernières années, nous avons mis l'accent sur la santé sexuelle des jeunes. En 2023, 17 millions de préservatifs masculins ont été distribués gratuitement en pharmacie aux moins de 26 ans, soit quatre fois plus que l'année précédente. Pour cette classe d'âge, le dépistage des infections sexuellement transmissibles est désormais intégralement pris en charge.

Nous n'avons pas oublié la santé menstruelle : dès cette année, les protections menstruelles réutilisables sont remboursées pour les femmes de moins de 26 ans et sans limite d'âge pour les bénéficiaires de la complémentaire santé solidaire.

Enfin, parce que les politiques de prévention doivent toucher l'ensemble de la population, jeunes comme moins jeunes, le programme de détection précoce de la perte d'autonomie des plus de 60 ans fait l'objet d'une expérimentation jusqu'en 2025, dans le cadre de la stratégie Vieillir en bonne santé.

Je veux dire un mot des infirmières Asalée, puisque Sébastien Jumel et Yannick Neuder m'ont interpellé à ce propos. Le dispositif est soutenu par le Gouvernement. Une discussion – serrée, effectivement – est en cours entre l'assurance maladie et l'association Asalée sur l'utilisation par cette dernière des fonds publics qui lui sont affectés, soit un budget annuel de 80 millions d'euros. En effet, ces crédits ont vocation à financer la prise en charge des soins, en particulier l'activité des infirmières Asalée qui participent à cette prise en charge ; ils ne sont pas destinés à d'autres utilisations. Or l'association acquitte des frais de fonctionnement à l'aide de ces sommes.

Nous sommes tous, ici, attachés au bon usage des fonds publics, notamment ceux versés par l'assurance maladie. Que ceux-ci soient utiles aux Français, c'est une chose ; qu'ils financent le fonctionnement général de l'association, c'en est une autre. En tout cas, pour pérenniser le dispositif, une avance de trésorerie de 6 millions d'euros est faite chaque mois par l'assurance maladie à l'association Asalée, de manière à financer les salaires de ses infirmières. La survie du dispositif n'est donc pas remise en cause, bien au contraire : si nous pouvons l'étendre dans les prochains mois ou les prochaines années, nous le ferons.

En matière de dépistage des maladies cardiovasculaires, évoqué par Yannick Neuder, beaucoup a été fait. Prévenir ce type d'affections, c'est parler de tabac, d'alcool, de nutrition, d'activité physique, d'obésité, d'hypertension, de diabète… Je ne citerai pas l'ensemble des mesures prises dans ces différents domaines : elles sont nombreuses. Yannick Neuder le sait, qui a raison d'insister sur cet enjeu majeur.

Dans un contexte où les maladies chroniques progressent et où les inégalités sociales dans le domaine de la santé s'accroissent, il s'agit de franchir une nouvelle étape en matière de prévention. Celle-ci est en effet un enjeu essentiel, si nous voulons non seulement continuer à améliorer la santé des Français et leur espérance de vie sans incapacité, mais aussi alléger la pression sur le système de santé, dans un contexte de vieillissement de la population et de difficultés de recrutement.

Notre ambition est de prendre en compte, pour toute la population et tout au long de la vie, le plus de déterminants de santé possible – pour reprendre une expression employée par plusieurs orateurs. Qu'il s'agisse de facteurs familiaux, sociaux, économiques ou environnementaux, tout ce qui conditionne l'état de santé des individus doit être ciblé par la politique de prévention que nous entendons mener.

Le dispositif Mon bilan prévention constitue un pilier central de cette stratégie, comme l'a rappelé notamment Laurence Cristol. Il permettra, d'ici à quelques semaines, à chaque Français d'accéder à une nouvelle offre personnalisée et de prendre le temps, lors d'un échange avec un professionnel de santé, de faire le point sur sa santé et ses habitudes de vie, et ce à quatre âges clés. Chaque Français pourra ainsi bénéficier de conseils ciblés. L'objectif est de donner à chacun la possibilité de devenir acteur de sa propre santé. Plus de 20 millions de personnes sont concernées par le dispositif et recevront très rapidement une invitation de l'assurance maladie.

Celui-ci est particulièrement novateur, d'une part parce que ces rendez-vous inscrivent résolument notre action dans le temps long, d'autre part parce qu'ils seront pris en charge à 100 % par l'assurance maladie, sans avance de frais. Cette stratégie d'aller vers permettra de lutter efficacement contre les inégalités de santé.

Lors de ces bilans, des thématiques de prévention prioritaires définies en lien avec le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) seront abordées. Je pense à l'activité physique, au sommeil, aux habitudes alimentaires, aux addictions, mais aussi au bien-être mental et à la santé sexuelle et reproductive. Les consultations des 18-25 ans seront aussi l'occasion d'aborder avec les jeunes qui le souhaitent les questions de fertilité, qui feront par ailleurs l'objet d'un plan national dédié. Ces rendez-vous de prévention permettront enfin de lutter contre l'obésité, qui touche 8,5 millions de nos concitoyens – et dont il faut parler, monsieur Guedj. Une feuille de route dédiée sera prochainement déployée et territorialisée, en accordant une attention particulière aux départements et aux régions d'outre-mer.

Bien que central, le déploiement de Mon bilan prévention sera accompagné d'autres initiatives fortes dans les prochains mois. Ainsi, à la fin du mois d'avril – j'ai le plaisir de vous l'annoncer –, les assises de la santé de l'enfant et de la pédiatrie seront l'occasion de faire des annonces concrètes pour créer une dynamique préventive, des 1 000 premiers jours jusqu'à la fin de l'adolescence.

Qu'il s'agisse de l'exposition aux écrans, de l'exposition environnementale, du repérage précoce des handicaps, notre objectif est d'agir dès l'enfance et à tous les niveaux, à une période de la vie où les actions de prévention sont particulièrement efficaces. Nous voulons faire de l'enfant l'acteur principal de sa bonne santé autour de trois axes : bien dormir, bien manger et bien bouger. Le carnet de santé numérique, la promotion d'une bonne hygiène de sommeil ou les 30 minutes d'activité physique quotidienne à l'école sont autant de mesures qui contribuent à améliorer la santé des enfants.

Par ailleurs, dans les prochains mois, nous accorderons une attention toute particulière à la santé mentale – thème cher à Anne-Cécile Violland, qui l'a longuement évoqué –, notamment des jeunes. Le recours aux soins d'urgence pour troubles de l'humeur, idées et gestes suicidaires a fortement augmenté en 2021 et 2022, pour s'établir depuis à un niveau élevé. La situation est donc, vous l'avez rappelé, préoccupante. Chez les jeunes de 18 à 24 ans, la hausse s'est même poursuivie de façon marquée en 2023. Une telle dégradation de la santé mentale des Français, en particulier des jeunes, appelle une réponse forte de notre part. Le volet « santé mentale » du Conseil national de la refondation (CNR), qui débutera en mai et auquel je vous invite tous à participer, nous permettra, je l'espère, de proposer des réponses à la hauteur des enjeux.

En parallèle, et conformément aux engagements pris par le Premier ministre, une rénovation complète du dispositif Mon soutien psy sera opérée dans les prochaines semaines. Nous devons rendre le dispositif plus attractif pour les psychologues et plus facile d'accès pour les Français.

Enfin, nous mettrons l'innovation au service de la prévention, grâce au déploiement à venir d'une feuille de route dédiée à la prévention dans le cadre du volet santé de France 2030, doté de 170 millions d'euros. Cet investissement conséquent permettra de faire émerger des innovations de rupture au service de la prévention. C'est aussi grâce à des technologies de plus en plus personnalisées et prédictives – dans l'accompagnement des prescriptions et l'efficience des traitements, par exemple – que chacun pourra devenir acteur de sa santé.

Reste la question, abordée par plusieurs d'entre vous, d'un rendez-vous démocratique pour débattre de la prévention à la veille de l'examen du PLFSS. Pourquoi pas ? Je suis tout à fait d'accord pour débattre avec vous de cette question, que ce soit en commission ou en séance publique, pour répondre à toutes les questions qui se posent en la matière et préciser les axes qui méritent de l'être.

Sébastien Jumel, Martine Froger et d'autres ont également soulevé la question du financement. Nous nous efforçons, je le rappelle, de faire sortir progressivement le système de santé d'un financement à l'acte pour valoriser le financement par forfait. Tel est l'objet des discussions en cours entre l'assurance maladie et les syndicats de médecins au sujet de la médecine libérale. L'enjeu est d'adosser bien davantage le financement de la prise en charge à des objectifs de santé publique – c'est ce que l'on appelle la responsabilité populationnelle – et de mieux rémunérer au forfait ou les parcours de soins, plutôt que de financer l'acte.

Ce mode de financement suppose peut-être une meilleure lisibilité de ce qu'est la prévention. L'idée d'un sous-objectif de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) consacré à la prévention est régulièrement avancée. Cette solution ne me paraît cependant pas très opérationnelle, car il est très difficile d'isoler une part importante des dépenses de prévention dès lors que des opérateurs très divers participent à ladite prévention. En revanche, on pourrait réfléchir à une amélioration de la gouvernance du financement de la prévention institutionnelle, qui est éclatée entre différents fonds et opérateurs. Il y va de la lisibilité et de l'efficacité de la dépense et de l'action publiques.

Il faut également réfléchir à une meilleure articulation du rôle de l'assurance maladie obligatoire et des organismes complémentaires dans le financement de la prévention. C'est un enjeu majeur.

Toutes ces actions mises bout à bout visent un seul objectif, celui de convaincre chacune et chacun de l'intérêt de prendre soin de sa santé, sans attendre d'être malade ou d'aller mal. Avec Mon bilan prévention, reconnaissez que l'objectif est d'opérer, dans les prochains mois, un véritable changement culturel dans le rapport des Français à leur santé. De fait, ils pourront comprendre directement, lors d'un entretien avec un médecin, combien il est important de valoriser les opérations de santé au cours de sa vie, de son parcours, dans son quotidien.

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