Intervention de Lyes Louffok

Séance en hémicycle du mercredi 3 avril 2024 à 14h00
Défaillances de l'aide sociale à l'enfance

Lyes Louffok, militant des droits de l'enfant :

Les dysfonctionnements graves et systémiques de l'aide sociale à l'enfance (ASE) sont un problème crucial qui affecte en profondeur notre société. La réalité est alarmante : depuis trop longtemps, une série de lacunes et de négligences mettent en danger le bien-être, et parfois la vie, des enfants placés. J'en suis le témoin, puisque j'ai été placé pendant dix-huit ans à l'aide sociale à l'enfance des Yvelines.

Les problèmes qui touchent les enfants placés ne se laissent pas résumer en quelques minutes, mais je souhaite appeler votre attention sur l'évaluation du danger. Cette étape cruciale, préalable à l'entrée dans le dispositif, conditionne la protection effective accordée à l'enfant. Or, trop souvent, les signaux d'alerte ne sont pas correctement interprétés, laissant sans protection des enfants en danger. Selon le rapport publié en 2018 par l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) sur « les morts violentes d'enfants au sein des familles », 34 % des enfants décédés sous les coups de leurs parents vivaient dans une famille connue des services de l'ASE, et 49 % dans des familles connues d'autres services sociaux.

L'utilisation d'un référentiel, établi par la Haute Autorité de santé (HAS), est obligatoire depuis 2022, mais son déploiement est très insatisfaisant. Depuis plusieurs années, même lorsqu'un juge a ordonné le placement d'un enfant identifié comme étant en danger, cette décision n'est pas toujours appliquée. Les chiffres sont alarmants : 1 100 enfants en danger ne sont pas placés, ou mal placés, dans le département du Nord ; rien qu'à Lille, 800 signalements n'ont pas été évalués ni transmis à la justice ; dans le Maine-et-Loire, 150 enfants en danger ne sont pas placés ; ils sont 450 dans la Sarthe, et 200 en Alsace, soit un total de presque 2 700 enfants risquant le viol, les coups ou la mort, au moment même où vous m'écoutez. Cette liste n'est pas exhaustive.

Les moyens financiers insuffisants ne sont pas seuls en cause quant à la perte d'efficacité du système de protection de l'enfance. Des décisions politiques irresponsables, comme celles prises par certains départements de suspendre la protection des enfants de nationalité étrangère, sont autant de choix faits à l'encontre de la loi et au détriment des plus vulnérables. À la veille de l'hiver 2023, le département de l'Ain a annoncé la suspension pour trois mois de la protection des enfants de nationalité étrangère, faisant des mineurs non accompagnés les boucs émissaires des dysfonctionnements de l'ASE. Ce département connaît pourtant un excédent budgétaire de 114 millions d'euros. La Vienne a pris la même décision, malgré un excédent budgétaire de 45 millions d'euros. Plus tôt dans l'année, les départements du Territoire de Belfort et des Bouches-du-Rhône avaient pris des décisions similaires.

Soyons clairs : si ces départements rencontrent des difficultés financières, pourquoi n'ont-ils pas suspendu la protection de tous les enfants, quelle que soit leur nationalité ? À quoi sert l'argent public, même en période de crise, si ce n'est à sauver la vie d'enfants ? L'État n'est certes pas à la hauteur de l'enjeu, mais ces départements sont irresponsables ; ils se servent des enfants de nationalité étrangère comme moyens de pression sur le Gouvernement, ce qui est inacceptable.

Une fois le parcours du combattant effectué, et les enfants intégrés à l'aide sociale à l'enfance, un trop grand nombre d'entre eux se retrouvent doublement victimes en subissant une maltraitance institutionnelle. Alors que nous devons garantir un environnement sûr et bienveillant à chaque enfant placé sous notre responsabilité, les violences qui surviennent au sein des foyers et des familles d'accueil sont encore trop fréquentes. La semaine passée, un lieu de vie financé par l'ASE et géré par une entreprise, dans le département de la Creuse, a dû fermer ses portes : les enfants placés y étaient soumis à des travaux forcés, ainsi qu'à des marches jusqu'à l'épuisement. Cet établissement recevait 550 euros par jour et par enfant, alloués par différents départements. Alors que son agrément limitait l'accueil à quatre enfants, l'établissement avait dissimulé la présence de certains lors des contrôles afin de maximiser ses profits.

La même semaine, la pouponnière du Puy-de-Dôme a été épinglée pour sa surpopulation et ses conditions d'accueil indignes. Une fillette de 3 ans y a passé toute sa vie, alors que les placements dans ce type d'établissement ne doivent pas excéder six mois. Le manque de places, suite à une diminution de leur nombre de près de 23 % dans ce département depuis 2012, ainsi que la pénurie de familles d'accueil, ont pour effet d'allonger de douze à dix-huit mois la durée des séjours et rendent la situation dangereuse pour les professionnels et pour les bébés.

Fin mars, un cadre de l'ASE du département de la Manche a été mis en examen pour corruption de mineurs, proposition sexuelle à un mineur de moins de 15 ans et pédopornographie. Début mars, un homme a agressé sexuellement deux enfants placés chez ses parents ; cela aurait dû être évité, si l'ASE des Pyrénées-Atlantiques n'avait pas délivré un agrément de famille d'accueil à un couple dont le fils de 36 ans, qui vivait toujours au domicile parental, avait déjà été condamné pour agression sexuelle et présentait un risque connu de récidive.

Début mars, les éducateurs de deux foyers charentais hébergeant une centaine d'enfants placés ont dénoncé une augmentation des agressions sexuelles et des viols entre mineurs. Dépassé, le département a appelé l'État à l'aide. Fin février, Myriam, 15 ans, a été retrouvée morte ; elle avait fugué depuis plus d'un mois de son foyer, dont les dysfonctionnements importants étaient connus et qui avait été épinglé à plusieurs reprises par des enquêtes journalistiques. Fin janvier, Lily, 15 ans, a mis fin à ses jours dans un hôtel près de Clermont-Ferrand ; la publication, par le Gouvernement, des décrets d'application de la loi, dite Taquet, relative à la protection des enfants, aurait pourtant pu éviter ce drame. Deux jours avant le suicide de Lily, Mickaël, placé à l'ASE depuis l'âge de 18 mois, a lui aussi tenté de mettre fin à ses jours dans sa chambre d'hôtel.

Ils ne sont pas les seuls. En 2018, Nour, 17 ans, a mis fin à ses jours en se jetant dans la Seine. Ce jeune pakistanais avait fui la torture dans son pays et s'était retrouvé à Paris sous la responsabilité de l'ASE. Malgré son statut de bénéficiaire de la protection subsidiaire, il avait été abandonné dans un hôtel, sans encadrement, pendant plusieurs mois, et était plongé dans une détresse extrême. En 2020, Jess, 17 ans, a été poignardé à mort par un autre jeune, également pris en charge par l'ASE dans le même hôtel, à Suresnes. En 2021, un bébé de 13 mois est décédé en pleine rue, malgré un suivi de l'ASE et des signalements pour maltraitance familiale. Un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales, dans ce cas précis, a pointé des défaillances et mis en cause le non-placement de l'enfant malgré la gravité des faits.

En 2022, Anthony, 17 ans…

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