Intervention de Roch-Olivier Maistre

Réunion du jeudi 21 mars 2024 à 9h00
Commission d'enquête sur l'attribution, le contenu et le contrôle des autorisations de services de télévision à caractère national sur la télévision numérique terrestre

Roch-Olivier Maistre, président de l'Arcom :

Il me semblerait assez naturel que, parmi les critères de sélection que le législateur fixe au régulateur pour choisir les éditeurs auxquels il attribue une fréquence l'autorisant à émettre, figure un article relatif à l'information. Je suis ces questions depuis un peu plus de quarante ans. J'étais membre du cabinet du ministre de la Culture lors de la rédaction de la loi du 30 septembre 1986. Je connais bien ce texte, dont j'ai suivi les évolutions de près.

L'un des éléments très neufs du paysage audiovisuel français (PAF) des dernières années est l'émergence des chaînes d'information. Cette situation concurrentielle frontale, sur le même marché publicitaire, d'un nombre élevé de chaînes d'information est une situation atypique par comparaison avec les autres pays. Il me semble donc naturel d'introduire, aux côtés des critères essentiels que sont le pluralisme et l'intérêt du public, un critère relatif à l'information, compte tenu de la nature de ces chaînes et de l'importance qu'elles revêtent dans le débat public.

Au sujet de la décision du Conseil d'État du 13 février, j'ai entendu dire et lu beaucoup de choses. Je vous le dis d'emblée, le magistrat que je suis, vieux serviteur de l'État, placé à la tête d'une autorité publique indépendante, ne s'inscrira naturellement pas dans les polémiques qui ont entouré cette décision, laquelle s'impose à toutes les chaînes du PAF, qu'elles soient publiques ou privées, ainsi qu'à l'Arcom.

J'ai entendu dire qu'il s'agissait d'un désaveu de cette dernière. Tel n'est pas le cas. L'avocat de RSF, maître Spinosi, que nous connaissons bien à l'Arcom, a très bien dit ce qu'il en est. Il a dit que le Conseil d'État a réinterprété la loi du 30 septembre 1986. Pour ma part, j'ai dit qu'il en offre une lecture renouvelée.

Il s'agit de ce que l'on appelle un arrêt de principe, dans lequel le Conseil d'État fixe une nouvelle jurisprudence pour l'avenir. Cela ne signifie pas que ce qu'a fait le régulateur auparavant était nul et non avenu. L'Arcom a été présidée, pendant de nombreuses années, par de fins juristes, dont je constate qu'ils n'ont pas fait évoluer la pratique même s'ils saluent, pour au moins l'un d'entre eux, la décision du Conseil d'État. Cette décision s'impose à nous. Notre responsabilité est de la mettre en œuvre.

Nous travaillons dans trois directions.

La première, demandée par le Conseil d'État, est de statuer à nouveau sur la requête de RSF sur deux points particuliers : l'indépendance et le pluralisme. Le Conseil d'État, dans sa sagesse, a laissé au régulateur six mois pour ce faire. Il n'est pas interdit de penser que, s'il a laissé ce délai au régulateur, c'est qu'il considère que le sujet n'est pas simple à traiter et qu'il faut prendre le temps de bien regarder les choses. Nous statuerons à nouveau sur la requête de RSF dans le délai de six mois qui nous est imparti, d'ici à la fin de l'été.

La deuxième direction est de préparer une délibération de portée générale, dans le cadre du pouvoir réglementaire limité délégué à l'Arcom par le législateur, visant à préciser la mise en œuvre de la décision du Conseil d'État, qui nous en a laissé le soin. Nous y travaillons en ayant deux principes à l'esprit.

Le premier, rappelé par la décision du Conseil d'État, est le respect plein et entier de la liberté éditoriale des médias. Le régulateur ne mettra pas le doigt dans le choix des thèmes traités par les éditeurs ni dans celui des intervenants qu'ils choisissent d'inviter. Ces choix relèvent de leur liberté éditoriale et de leur responsabilité, dans la mesure où ils doivent respecter la loi.

Je l'ai dit et le répète devant votre commission d'enquête, nous ne transposerons pas aux intervenants qui s'expriment sur les plateaux des chaînes de télévision les obligations applicables en matière de pluralisme politique. La loi dit explicitement que les médias audiovisuels doivent nous communiquer la liste des personnalités politiques qu'ils invitent mentionnés en tant que tels dans la loi et les temps de parole correspondants. Nous ne transposerons pas ce modèle.

J'ai dit et je répète qu'il n'est pas question de s'engager dans je ne sais quel fichage des intervenants qui s'expriment sur les plateaux de télévision, pour leur attribuer une sensibilité ou une couleur politique, dans un sens ou dans un autre. La liberté éditoriale sera respectée. Au demeurant, le Conseil d'État ne nous demande en aucune façon de nous engager dans cette voie.

Le deuxième principe est le respect du pluralisme, qui a valeur constitutionnelle, comme l'a indiqué le Conseil constitutionnel dans une décision du 18 septembre 1986. S'agissant du respect du pluralisme des courants de pensée et d'opinion, notre approche consistera à identifier les déséquilibres non seulement manifestes mais durables.

Qu'un déséquilibre ponctuel survienne en faveur d'une formation politique donnée, cela arrive chaque jour, en fonction des personnalités politiques invitées. Nous apprécions le respect du pluralisme politique sur une base trimestrielle. Chaque trimestre, nous mesurons les temps de parole de toutes les formations qui concourent à l'équilibre du débat démocratique dans notre pays. Si les médias présentent un déséquilibre, nous intervenons.

Notre approche reposera sur la notion d'erreur manifeste d'appréciation, issue du droit administratif. Il s'agira d'identifier un déséquilibre manifeste et durable sur une certaine durée. Il est imaginable que cette durée soit plus courte pour les chaînes d'information. Elle pourrait par exemple être réduite à un mois. Pour les chaînes d'une autre nature, on pourrait reprendre la même règle que celle applicable au pluralisme politique, à savoir trimestrielle.

Nous bâtirons un faisceau d'indices – nous y travaillons – permettant d'apprécier si ce déséquilibre manifeste et durable est constaté. Conformément au sens de la délibération des conclusions du rapport public et du communiqué publié par le Conseil d'État lui-même lors du rendu de sa décision le 13 février, cet effort sera centré en priorité sur les programmes d'information et les programmes qui concourent à l'information.

La troisième direction dans laquelle nous travaillons, ce sont les conventions. S'agissant de celles conclues avec TF1 et M6, nous avons anticipé. Les clauses relatives au pluralisme ont été revues et sensiblement élargies pour tenir compte en particulier des programmes qui concourent à l'information, notamment les émissions d'infodivertissement ou infotainment, et non seulement des programmes d'information. Les futures conventions incluront une clause relative au pluralisme tenant mieux compte de la décision du Conseil d'État.

Telles sont les trois directions dans lesquelles nous travaillons. Je ne vous dis pas que c'est simple ni que c'est facile. Je vous dis simplement que l'Arcom y travaille et qu'elle mettra en œuvre la décision du Conseil d'État. Je rappelle que celle-ci s'applique depuis le 13 février. Les éditeurs doivent se conformer à sa lettre et à son esprit. Le régulateur prendra les initiatives que j'ai évoquées mais s'inscrit d'ores et déjà dans l'application de la décision du Conseil d'État, sans ambiguïté.

Sur le pluralisme politique, j'ai aussi entendu dire beaucoup de choses, notamment que les dispositions de la loi qui le régissent sont obsolètes. Ce principe a d'emblée été inscrit dans la loi, à la veille de la privatisation de TF1 en 1987. Je me souviens très bien de l'esprit dans lequel nous avons rédigé ce texte. Les dispositions relatives au respect du pluralisme politique, j'en constate particulièrement les vertus depuis cinq ans. Toutes les formations politiques représentées dans cette assemblée se manifestent quasi quotidiennement auprès de nous et sont bien contentes, me semble-t-il, de trouver un régulateur susceptible de rééquilibrer périodiquement les choses dans les médias audiovisuels en matière de respect du poids de telle ou telle famille politique.

Les choses sont simples. Les médias sont tenus de nous communiquer la liste des personnalités politiques qu'ils invitent et les temps de parole correspondant ; nous vérifions ce qu'il en est. Si nos classements et nos comptabilisations ne plaisent pas à telle ou telle personnalité, elle se manifeste auprès de nous ; nous examinons ses observations et modifions le cas échéant notre position.

Nous actualisons périodiquement la liste des personnalités dont le temps de parole est comptabilisé. Nous l'avons fait récemment dans la perspective du scrutin européen. Les échanges avec les personnalités sont fréquents, qu'il s'agisse de chefs de parti, de chefs de groupes parlementaires ou de personnalités politiques souhaitant se manifester individuellement.

S'agissant de la vérification déontologique, la mission qui nous est donnée par la loi est claire. Nous sommes amenés à intervenir régulièrement, sous forme de mises en demeure ou de sanctions, si un éditeur ne se conforme pas aux obligations qui sont les siennes en matière de déontologie, s'agissant notamment de l'honnêteté et de la rigueur de l'information. Encore récemment, nous avons prononcé des mises en demeure et des sanctions.

Il faut trouver le bon équilibre entre la déontologie propre aux rédactions, qui suivent un corpus de règles établi depuis longtemps, les obligations déontologiques qui s'imposent aux éditeurs, lesquelles vont des chartes qu'ils peuvent déployer aux outils internes tels que les Chipip, et le rôle de régulateur, qui est de contrôler le respect par les éditeurs de leurs obligations et le cas échéant de les sanctionner.

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