Intervention de Thierry Roquefeuil

Réunion du jeudi 28 mars 2024 à 14h30
Commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté alimentaire de la france

Thierry Roquefeuil, président du CNIEL :

Ce déficit existe depuis 2017. On dit souvent que la filière laitière se caractérise par des capitaux lourds et des rotations lentes. En 1983, les excédents laitiers ont entraîné l'instauration de quotas laitiers. L'Europe stockait en effet les excédents de beurre et de poudre et il a été décidé de limiter les volumes produits pour ne plus avoir à financer ces stocks. Cette politique a peu à peu conduit à la réduction de ces excédents, notamment de matière grasse, car, dans les années 1990, le message médiatique et médical consistait à dire que le beurre n'était pas bon pour la santé. Il a donc cessé d'être vendeur et il valait mieux consommer des substituts. Mais les modes changent : nous avons assisté à un renversement de tendance et le beurre est redevenu un produit attractif.

En préparation de la suppression des quotas laitiers en 2015, la filière française avait engagé un volet d'actions destinées à diminuer la production de matière grasse, puisqu'il était difficile de la vendre. On nous incitait à produire davantage de protéines. Il a fallu mener à cette fin un travail sur la génétique des troupeaux, qui a duré des années. Alors que la consommation de beurre est redevenue une priorité pour certains, il faudrait donc modifier à nouveau la génétique des troupeaux, en sens inverse.

Ce sont ces circonstances qui ont conduit à notre déficit de matière grasse, tandis que la poudre est presque devenue un problème, puisque nous avons besoin de davantage de matière grasse et de moins de matière protéique. Nous pourrons redevenir autosuffisants grâce notamment à des politiques publiques au niveau européen voire français, au soutien par les pouvoirs publics de l'évolution génétique de nos troupeaux, à l'effort que la filière peut faire s'agissant de l'alimentation, en lien avec le conseil en élevage et tous les acteurs qui aident les éleveurs à améliorer leur secteur, et enfin à la revalorisation de la matière grasse que nous produisons, si les marchés sont au rendez-vous. Nous devrons travailler autour de ces axes pour endiguer la perte de notre souveraineté.

J'en viens à l'évolution de l'amont et aux facteurs éventuels de dégradation de la production. Il faut garder en tête que la filière laitière française a fait le choix d'adapter les volumes qu'elle produit aux marchés. Il s'agit d'une spécificité française, qui ne se retrouve dans quasiment aucun autre pays européen. Ceux du sud de l'Europe étaient structurellement déficitaires, tandis que tous les pays du nord de l'Europe, excédentaires et gros exportateurs, n'ont pas choisi, comme nous l'avons fait, d'appliquer une politique de contractualisation à partir de 2010, pour préparer la fin des quotas laitiers. Cette politique nous a conduits à la création d'organisations de producteurs afin de mettre en adéquation les producteurs et les entreprises pour répondre à des marchés français, européens ou au grand export. Ainsi, chaque entreprise détermine sa politique en lien avec les producteurs et ces derniers ne produisent que si l'entreprise est demandeuse de lait.

Il en va différemment, comme je le disais, des autres pays. L'Irlande ou les Pays-Bas ont augmenté leur production de 30, 40 ou 50 % depuis la suppression des quotas laitiers, ce qui les conduit à abattre des animaux pour respecter les critères environnementaux. Le choix que nous avons fait de maîtriser notre production pour les marchés nous a permis de ne pas rencontrer de problèmes environnementaux. Dès 2010, nous avons travaillé sur notre empreinte carbone et déployé des outils dans nos exploitations au service d'une stratégie bas carbone. Nous réalisons ainsi des audits exploitation par exploitation afin d'accompagner la performance des éleveurs en amont.

Du point de vue social, les mêmes contraintes s'appliquent à l'amont et à l'aval.

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