Intervention de Sophie Taillé-Polian

Séance en hémicycle du jeudi 2 mai 2024 à 9h00
Discussion d'une proposition de loi — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSophie Taillé-Polian :

Dans un livre paru hier, Dire vrai, l'actrice et réalisatrice Isild Le Besco écrit : « Aujourd'hui, les mots sortent. Ils s'organisent et me montrent le chemin. Je détricote mon histoire et la redécouvre. J'ai protégé si longtemps ceux qui m'ont abusée… Au fur et à mesure que je nomme, ma vérité reprend le pouvoir. Mes limites deviennent plus claires : on ne peut plus les enfreindre. » Isild Le Besco raconte notamment les violences sexuelles, physiques et psychologiques qu'elle a subies de la part de Benoît Jacquot alors qu'il était âgé de 52 ans et qu'elle n'en avait que 16. Son témoignage rappelle celui de Judith Godrèche, qui a porté plainte pour viol sur mineure contre le réalisateur.

Isild Le Besco, Judith Godrèche, Adèle Haenel, Anna Mouglalis et tant d'autres, célèbres, inconnues ou anonymes, ont témoigné des violences subies dans le milieu du cinéma – mais beaucoup ne l'ont pas fait… Les femmes osent désormais parler et porter plainte. Les choses avancent petit à petit, mais trop lentement. Les plateaux de tournage sont toujours des lieux de violences sexuelles et sexistes. Après les plaintes déposées en début d'année par deux femmes qui l'accusent d'agressions sexuelles sur le tournage du film Les Volets verts en 2021, Gérard Depardieu sera jugé en octobre. Au total, vingt femmes ont témoigné, par dépôt de plainte ou dans la presse, des violences qu'elles ont subies de la part de l'acteur. Pourtant, le Président de la République déclarait encore en décembre 2023 : Gérard Depardieu « rend fière la France ».

Les femmes n'ont pas attendu 2024 pour dénoncer les violences dont elles ont été victimes, notamment lorsqu'elles étaient enfants, mais qui les entendait alors, qui prenait la peine de les écouter ? Sept ans après le début de l'affaire Weinstein aux États-Unis, le cinéma français et, avec lui, la société tout entière sont enfin sommés de regarder la réalité en face. Certaines voix de la profession et du milieu intellectuel s'élèvent pour faire leur autocritique. C'est l'industrie du cinéma dans son ensemble qui doit désormais se remettre en question.

Trop longtemps, des hommes célèbres ont abusé d'enfants en toute impunité, se prévalant de la liberté artistique. Cette « romantisation » de la transgression, de l'artiste qui franchit les limites du tabou et de l'interdit, a mis sous silence la situation de nombreux enfants dans les milieux du cinéma et du spectacle vivant, et nous a empêchés de voir les situations de violences psychologiques, parfois physiques et sexuelles, dans les conservatoires, les écoles supérieures et les écoles privées d'art dramatique. En 2021, le lancement du hashtag #MeTooThéâtre sur les réseaux sociaux a conduit de nombreuses personnes à témoigner contre les méthodes employées par certains enseignants. Il est temps de faire la lumière sur toutes les violences et de construire, avec les acteurs et les actrices du cinéma et du spectacle vivant, un cadre propice à l'expression des victimes et protecteur pour les enfants et les jeunes en formation.

Comme l'a fort justement souligné Francesca Pasquini, il convient de dévoiler et d'analyser les mécanismes à l'œuvre, qui causent encore tant de victimes. Le rôle de l'Assemblée nationale est de se saisir de ces témoignages et de prendre le sujet à bras-le-corps. La création d'une commission d'enquête est indispensable pour que toute la lumière soit faite et pour que plus jamais un seul enfant ou un seul jeune ne subisse une situation de violence sur un tournage ou dans une école de théâtre. Je remercie chaleureusement la rapporteure pour son initiative en faveur de la création rapide d'une commission d'enquête, qui devra entendre, mais aussi agir. Elle a su nous rassembler sur tous les bancs.

« Depuis quelque temps, je parle, je parle, mais je ne vous entends pas », disait Judith Godrèche lors de la cérémonie des César. Entendons-la, entendons-les toutes et tous, pour que leur courage ne soit pas vain et qu'il mène, par la prise de conscience collective et grâce au travail parlementaire que nous conduirons, à la protection des mineurs contre toutes les formes de violence sur les plateaux de cinéma, dans le spectacle vivant, la mode et dans la société tout entière.

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