Intervention de Philippe Pelletier

Réunion du jeudi 6 octobre 2022 à 9h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Philippe Pelletier, président du Plan Bâtiment durable :

. – Je souhaiterais en premier lieu vous rappeler que le Plan Bâtiment durable est une mission inventée par le gouvernement de 2009 sous l'impulsion de Jean-Louis Borloo, et qui se poursuit depuis lors ; elle consiste à mobiliser l'ensemble des acteurs de la société civile autour du thème des bâtiments durables. C'est là que beaucoup de propositions, reprises ensuite par la représentation nationale, ont vu le jour et que des concertations se déroulent aujourd'hui encore.

En 2014, votre Office appelait à une « thérapie de choc ». En 2018, vous réclamiez une véritable rupture dans la démarche de rénovation énergétique des bâtiments. Je vous invite cette année à proposer une accélération maîtrisée de l'action.

Je commencerai par vous donner quelques éléments d'un bilan que je qualifie de « contrasté ». Je tiens tout d'abord à souligner l'existence d'un phénomène politique extraordinaire : en 2007, une stratégie a en effet été posée à l'horizon 2050 par la société toute entière regroupée au sein du Grenelle de l'environnement. Depuis lors, les majorités successives ont invariablement situé leur action dans cette perspective, sans jamais la remettre en cause. Savoir que nous avons cet objectif permanent à atteindre, aujourd'hui à un horizon de trente ans, constitue un élément fort.

Le deuxième point que je retiens réside dans le fait que la société s'est mobilisée même si ce n'est pas nécessairement avec l'efficacité requise : les 700 000 gestes de rénovation financés par MaPrimeRénov'l'an dernier, qui devraient être plus nombreux encore cette année, sont une manifestation de la prise de conscience par nos concitoyens du besoin de mise d'équerre des logements sur le plan énergétique ; c'est le signe d'un changement considérable.

La troisième idée est que je n'incite pas à revoir l'équilibre subtil que le Parlement a réussi à installer entre coercition et incitation. Il existe ainsi des obligations en matière d'information, de connaissance de la situation avec la réalisation de diagnostics et d'audits, de rénovation énergétique du parc tertiaire pour les surfaces de plus de 1 000 m2 et d'intégration de la performance énergétique à l'occasion de gros travaux réalisés dans un immeuble collectif. Enfin, une obligation plus récente, faisant suite à la loi « Climat et résilience », conduira à ce que les logements énergivores soient progressivement évincés du parc locatif si leur transformation n'est pas assurée. Ce bloc d'obligations me paraît tout à fait adéquat, suffisant, et il me semble que l'effort qu'il convient de mener aujourd'hui est de réussir à ce que les incitations toujours en œuvre voient leur efficacité accrue. Il existe pour ce faire plusieurs dispositifs qui vont dans le bon sens. MaPrimeRénov'est l'un d'eux : bien que l'on sache qu'elle n'a pas, loin s'en faut, financé que des rénovations globales, la capacité à mobiliser l'aide publique d'État à travers la plateforme mise en place par l'Agence nationale de l'habitat dont elle témoigne constitue malgré tout une bonne nouvelle. Citons également France Rénov, avec son réseau de proximité d'information et de conseil, doublé à présent d'accompagnateurs qui vont venir tenir la main des ménages pour réussir leurs opérations de rénovation énergétique, mais aussi le système des certificats d'économies d'énergie, incompréhensible de façon globale mais très efficace dans ses actions.

À côté de ces éléments qui me paraissent positifs, existent quelques zones d'ombre correspondant à ce que l'on n'a pas maîtrisé en ouvrant la porte à des rénovations à un euro : je pense ici aux éco-délinquants, dont les actions indélicates ont conduit de nombreux ménages de ne plus tenter de rénovations énergétiques à la suite de déceptions massives. Les fédérations du bâtiment se sont employées à redresser le tir autant que possible, mais le mal était fait.

La rénovation globale, que nous espérons tous, est à la peine : qu'elle se déroule en une fois ou par étapes, elle ne figure pas encore en tête de gondole. Ceci peut être attribué, me semble-t-il, à la main insuffisamment tendue par l'appareil d'État aux élus locaux pour qu'ils prennent en charge l'animation dans leur ressort de la rénovation énergétique. On a besoin que le maire montre l'exemple ou que l'intercommunalité donne la tonalité dans son périmètre.

Enfin, le pilotage national actuel me fait regretter le « chef de meute » qu'était Jean-Louis Borloo. Nous avons aujourd'hui un appareillage politico-administratif complexe, qui se traduit par une division extrême des tâches entre la transition énergétique, la transition écologique, la planification écologique qui s'installe à Matignon et le ministère du logement et de la ville qui rassemble tout cela. Ceci ne permet hélas pas d'identifier qui est le porteur du projet, dont nous devons suivre l'étendard pour traverser le pont d'Arcole.

Je terminerai mon intervention en évoquant cinq perspectives.

La première, mentionnée par Hervé Charrue et qui sera certainement reprise par la Fédération française du bâtiment, concerne le sujet difficile de l'offre. On peut penser que le sujet de la rénovation sera, dans son versant énergétique comme dans sa dimension d'adaptation au vieillissement, un marché puissant pour les entreprises du bâtiment et pour la filière de services en aval. On observe, sur tous ces plans, qu'il va falloir améliorer en quantité et en performance l'offre de services et de travaux sur tout le territoire. Il s'agit d'un sujet majeur. Les pouvoirs publics ont probablement davantage veillé, dans les années passées, à soutenir la demande qu'à épauler l'offre nécessaire pour y faire face.

La deuxième idée, exprimée précédemment par Francis Allard, est que l'on ne se réveille pas brusquement un jour dans une maison avec le projet d'effectuer une rénovation énergétique : les sujets sont souvent plus forts, comme l'adaptation du logement à la taille du groupe familial ou au vieillissement des occupants. Je pense qu'à l'avenir, la rénovation énergétique devra être embarquée dans des rénovations répondant à d'autres préoccupations. Ceci sera certainement plus efficace et je vois d'un très bon œil arriver MaPrimeAdapt', qui va, avec MaPrimeRénov', favoriser l'adaptation du logement au vieillissement, sujet de transition démographique traité depuis trop longtemps avec une grande désinvolture.

Le troisième point est l'échelle de l'action : nous avons jusqu'à présent trop raisonné par logement ou immeuble collectif. Il faut changer la maille. Le raisonnement et l'action doivent s'opérer dans la centralité de la commune, dans le pâté de maisons, l'îlot, le quartier. J'appelle de mes vœux une généralisation d'actions sur le modèle des opérations programmées d'amélioration de l'habitat (OPAH) qui, parce qu'elles présentaient une unité de lieu (avec un périmètre défini), de temps (avec quelques années pour se mobiliser) et d'action (avec une thématique particulière) ont réussi à transformer des quartiers de façon très spectaculaire, avec une contractualisation entre la collectivité, l'Agence de l'habitat, la région, l'État, etc. Raisonnons à une échelle pertinente, qui nous permettra d'accélérer les rénovations.

La quatrième perspective porte sur l'accompagnement des bailleurs et des locataires visés par la loi « Climat et résilience ». Ce sujet est plutôt angoissant, puisque notre pays compte 12,5 millions de logements locatifs, dont 5 millions dans le parc social et 7,5 millions dans le parc privé. Si le parc social va assurément finir par éliminer ses « passoires énergétiques » et ses logements trop énergivores, ceci s'annonce beaucoup plus compliqué dans le parc privé. Le risque de voir le parc se contracter sous l'effet de cette loi est un sujet qui doit nous mobiliser, non pour changer la loi et revoir les étapes prévues, mais pour accompagner puissamment bailleurs et locataires afin que la transformation des biens puisse s'opérer. Il s'agit d'un sujet à traiter avec vigueur.

Enfin, je préconise depuis longtemps, sans grand succès, de s'occuper d'un sujet visible, consensuel et de nature à témoigner de l'intérêt porté aux jeunes, dont on parle en permanence pour dire que nous sommes en train de charger leur barque avec tous les désordres que nous causons : il s'agit de la rénovation des écoles. C'est un sujet qu'un maire parvient à faire voter à l'unanimité dans sa commune et qui est de nature à embarquer l'équipe éducative, laquelle devra adapter son enseignement à la situation de l'établissement. Ceci fera des enfants des ambassadeurs qui, dans les maisons et les appartements, viendront expliquer à leurs familles les bons gestes à effectuer. Un tel phénomène s'est déjà produit avec les ceintures de sécurité dans les voitures ou le tri des déchets : ce sont nos enfants qui nous ont éduqués. Je pense que ce sujet doit être porté aussi par les jeunes. L'objectif de rénovation des écoles devrait donner lieu, même si l'État n'a pas la maîtrise du sujet, à une puissante incitation et à un financement.

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