Intervention de Emmanuel Normant

Réunion du jeudi 6 octobre 2022 à 9h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Emmanuel Normant, Association des industries des produits de construction (AIMCC), comité stratégique de filière des industries pour la construction, directeur du développement durable de Saint-Gobain :

. – Je travaille depuis vingt ans au sein du groupe Saint-Gobain, où je suis directeur du développement durable, mais vais m'exprimer aujourd'hui au nom de l'AIMCC et du comité stratégique de filière des industries pour la construction.

Je voudrais tout d'abord rappeler quelques chiffres, afin de vous donner des ordres de grandeur. Le parc de bâtiments a consommé en 2019 un peu moins de 500 TWh pour le résidentiel (462 TWh) et un peu plus de 250 TWh pour le tertiaire, toutes énergies confondues. La rénovation de l'ensemble du parc au niveau équivalent BBC à l'horizon 2050 conduirait à une économie annuelle d'énergie située entre 400 et 500 TWh. Il faut savoir par ailleurs qu'en 2019, la production d'électricité des 58 réacteurs nucléaires français était de 380 TWH et que les importations de gaz naturel dépassaient 600 TWh, dont 125 provenant de Russie.

Le premier constat, partagé me semble-t-il par l'ensemble des intervenants, est qu'il est absolument essentiel d'accélérer la rénovation énergétique des bâtiments. Il ne faut pas croire que les solutions de décarbonation simple du chauffage sont susceptibles à elles seules de résoudre nos problèmes. On observe aujourd'hui un déploiement très rapide des solutions de type pompes à chaleur : ceci est très bien, mais largement insuffisant au regard des défis énergétiques auxquels nous sommes confrontés, d'autant qu'une pompe à chaleur installée dans un logement mal isolé sera inefficace et ne fonctionnera pas de manière correcte. Les associations de consommateurs font remonter de plus en plus de réclamations à ce sujet.

Il sera, par ailleurs, ainsi qu'en témoignent les chiffres que je viens de citer, impossible d'électrifier les usages autres que le bâtiment – je pense en premier lieu à la mobilité – sans un effort massif de rénovation. Je rappelle que le scénario central de RTE s'appuie sur 700 000 logements rénovés en profondeur : nous en sommes encore loin. Sachez par ailleurs que le fait d'isoler un million de combles de maisons permet d'économiser 7 TWh par an soit 2 ou 3 milliards d'euros, ce qui est, dans les deux cas, l'équivalent d'une tranche nucléaire.

Comment accélérer la démarche ? Où sont les blocages ? Comme cela a été souligné précédemment, les solutions techniques existent : nous savons dans la plupart des cas rénover un logement en profondeur, même s'il reste encore de nombreux travaux d'innovation à conduire. Un industriel comme Saint-Gobain investit massivement dans la R&D de ce domaine, pour décarboner les solutions, réduire leur intensité en ressources, associer efficacité énergétique, économie circulaire, confort et bien-être pour gérer les interfaçages et avoir une approche centrée sur les solutions. Il ne faut toutefois pas attendre que ces améliorations soient développées pour agir : il faut mettre en œuvre les solutions disponibles, en sachant que les industriels français investissent sur ce sujet. Je pense par exemple à Saint-Gobain, dans son usine d'isolation à Chemillé.

Il est nécessaire pour cela de disposer d'une main-d'œuvre qualifiée et en nombre. Je me fais l'écho de la FFB pour indiquer que nos artisans sont qualifiés : il ne faut pas s'imaginer que les quelques éco-délinquants précédemment évoqués sont représentatifs de l'ensemble de la profession. Mais les artisans ont besoin de visibilité pour pouvoir continuer à recruter, être encore mieux qualifiés et investir en formation pour eux-mêmes et leurs collaborateurs. Il est vrai qu'il est compliqué de consacrer du temps à la formation alors que le carnet de commandes est plein. Il faut que le jeu en vaille la chandelle. Nous avons, par ailleurs, le sentiment que les instabilités actuelles du système profitent plutôt aux opportunistes, ce qui ne permet pas de créer une filière de rénovation performante pérenne. Il faut bien évidemment avoir confiance dans les diagnostics et la qualité des travaux réalisés. Le DPE est un excellent outil de sensibilisation des ménages, sous réserve d'être correctement effectué. Il est d'autant plus important qu'il constitue le premier élément dont dispose un ménage pour évaluer la performance thermique de son bien. Le fait qu'il soit désormais opposable va renforcer sa fiabilité. Ce rôle sera également rempli par l'audit énergétique obligatoire à venir pour les logements F et G. L'accompagnateur rénovation doit lui aussi aider, en s'assurant toutefois d'avoir les mêmes niveaux de compétence et la même neutralité sur l'ensemble du territoire. Il y a donc là un fort besoin de référentiels communs de formation.

Nous sommes aussi très favorables au développement de méthodes de mesure in situ de la performance et sommes engagés aux côtés de l'Agence qualité construction du CSTB dans l'un des programmes majeurs sur le sujet, le projet SEREINE.

Il faut en outre avoir une approche ciblée : on ne doit pas traiter de la même façon différentes catégories de bâtiments.

Il convient ainsi, comme le soulignait Philippe Pelletier, d'agir sur les bâtiments publics. Je pense notamment ici aux 250 millions de m2 de bâtiments scolaires et de santé. Il convient de noter que ces travaux sont le plus souvent réplicables, ce qui est intéressant dans un contexte où il est question de massification. Je souhaiterais citer en particulier le programme concernant les campus universitaires, le PEEC 2030 (Plan d'efficacité énergétique des campus), qui doit conduire à une démarche de rénovation massive de nos universités. Il existe là un gisement de gains, de réplicabilité et d'accélération extrêmement important.

Pour le résidentiel diffus, la logique adoptée est celle de parcours types de rénovation. Pour qu'une rénovation de logement soit performante, il faut agir principalement sur six postes : les planchers bas, les toitures, les murs, les fenêtres, la ventilation, le chauffage et l'eau chaude sanitaire. Il est possible d'agir simultanément sur plusieurs de ces postes ou par étapes. Dans tous les cas, il faut que le parcours soit clairement défini, avec le bon niveau de performance, les accompagnateurs au niveau local, les tiers de confiance, les incitations, les dispositifs de financement du reste à charge. Sur ce point, dans un contexte de hausse des taux d'intérêt, les dispositifs de type « prêt à taux zéro » retrouvent tout leur sens. Il manque toutefois une vraie mobilisation des établissements bancaires. Je suis tout à fait d'accord avec le fait que le rôle des collectivités locales est absolument essentiel dans toute cette démarche : on n'agit pas de la même façon sur un bâtiment selon que l'on se trouve à Lille ou à Marseille. Un programme porté par le comité stratégique de filière va dans ce sens. Il en va de même avec l'intégration de la rénovation énergétique dans les dispositifs de type « cœur de ville ».

Pour le logement collectif, il s'agit d'articuler les travaux individuels et collectifs. Ceci peut passer par des dispositifs incitatifs, fiscaux notamment, mais je crois qu'il ne faut pas se bercer d'illusion : il faut être un peu plus coercitif, avec des DPE collectifs opposables, l'obligation d'utiliser le fonds travaux pour des travaux de rénovation des parties communes et des obligations de travaux lors des mutations.

Permettez-moi, en conclusion, de dire un mot sur les dispositifs incitatifs : il faut très clairement orienter les incitations fiscales sur les parcours types de travaux et augmenter les primes lorsque les travaux s'inscrivent dans de tels parcours. Il convient par ailleurs selon moi de s'appuyer encore plus fortement sur les CEE, qui sont de magnifiques outils de redistribution des profits énergétiques vers la sobriété, tout particulièrement si les dispositifs actuels, qui sont exclusivement fondés sur l'énergie, sont complétés par une dimension carbone. Des augmentations des CEE ont eu lieu pour la cinquième période, qui est essentiellement un rattrapage de la quatrième, mais je pense que dans le contexte actuel, caractérisé par la question des énergies fossiles, on peut aller beaucoup plus loin.

Je terminerai comme j'ai commencé, par quelques ordres de grandeur chiffrés : MaPrimeRénov' représente 2,5 milliards d'euros par an, le coût annuel des CEE est d'environ 5 milliards d'euros et le seul bouclier tarifaire coûte 44 milliards d'euros sur une année.

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