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Nathalie Da Conceicao Carvalho
Question N° 10956 au Ministère de la justice


Question soumise le 22 août 2023

Mme Nathalie Da Conceicao Carvalho attire l'attention de M. le ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé du logement, sur les dispositions du 2e alinéa de l'article L. 211-2 du code de la construction et de l'habitation qui viennent en contradiction avec celles de l'article 1858 du code civil. En effet, le législateur de 1971 avait voulu marquer, avant tout, le caractère subséquent du recours contre les associés contrairement à la jurisprudence alors appliquée selon laquelle les créanciers sociaux pouvaient poursuivre à leur choix librement et indifféremment les associés ou la société (Cas. 3e civ. 6 février 1969 : D. 1969, p. 432). Ainsi la différence dans la rédaction du texte de loi sur les sociétés civiles de construction-vente (art. L. 211-2 code de la construction et de l'habitation) et celui sur les sociétés civiles en général (loi du 4 janvier 1978 codifiée à l'article 1858 du code civil) s'explique avant tout par son antériorité dans le temps. De fait, le type de problème que ces deux textes résolvent était beaucoup plus criant à l'époque pour les sociétés civiles de construction-vente que pour les sociétés civiles en général, ce qui explique que le législateur ait voulu s'en saisir bien avant. Mais cette antériorité explique également que le législateur ait été plus loin dans sa réflexion en 1978 qu'en 1971, en tenant compte notamment du retour d'information sur les conséquences de la loi de 1971 qui est apparue imparfaite sur ce point précis. La survivance de petites différences de rédaction entre l'article L. 211-2 du code de la construction et de l'habitation et l'article 1858 du code civil relève donc plus d'un oubli ou d'un anachronisme que d'une réelle volonté du législateur de maintenir deux régimes différents entre les sociétés civiles de construction vente d'une part et les sociétés civiles en général d'autre part. D'autant plus que cette différence dans les modalités de mise en œuvre de la responsabilité des associés ne semble pas réellement justifiée et a d'ailleurs été atténuée par la jurisprudence. Il a ainsi été jugé, pour l'application de l'article L. 211-2 du code de la construction et de l'habitation, qu'une mise en demeure infructueuse n'était pas suffisante et qu'une action contre les associés requérait un titre préalable contre la société, tel qu'une décision de justice (Cass. Civ. 3e, 3 novembre 2011, n° 10-23.951). Aussi, elle lui demande si une mise en cohérence de l'article L. 211-2 du code de la construction et de l'habitation avec le code civil pourrait être envisagée rapidement.

Réponse émise le 5 décembre 2023

L'alinéa 2 de l'article L. 211-2 du code de la construction et de l'habitation (CCH) subordonne l'action d'un créancier social contre l'associé d'une société civile constituée en vue de la vente d'immeubles (SCCV) à une simple « mise en demeure » de la société débitrice « restée infructueuse ». Ce texte déroge au droit commun, qui prévoit que l'associé d'une société civile ne peut être poursuivi au paiement des dettes sociales qu'après que le créancier a « préalablement et vainement poursuivi la personne morale » (article 1858 du Code civil). Le régime de l'action des créanciers sociaux d'une SCCV est donc moins protecteur pour leurs associés. La souplesse de cette dérogation n'est cependant pas spécifique à la SCCV, ainsi que l'illustrent d'autres régimes dérogatoires, prévus notamment pour les sociétés en nom collectif (issu de la loi du 26 juillet 1966) ou pour les sociétés civiles professionnelles (issu de la loi du 29 novembre 1966), lesquels diffèrent cependant dans leurs modalités. L'importance de la chronologie de l'adoption des régimes spéciaux et du régime de droit commun doit être relativisée dans l'explication de ces différences, dans la mesure où le législateur aurait eu l'occasion d'effectuer des harmonisations de ces régimes au cours des différentes réformes intervenues en droit des sociétés depuis 1966, notamment à l'occasion de la réforme de la loi du 29 novembre 1966 sur les sociétés civiles professionnelles par l'ordonnance n° 2023-77 du 8 février 2023 relative à l'exercice en société des professions libérales réglementées. C'est la raison pour laquelle devraient être également mises en avant des explications tenant à la volonté du législateur de faciliter ou, au contraire, de rendre plus difficile la poursuite des associés, selon ces différentes formes sociales. Ces différences relatives à la protection des associés doivent ici être considérées au regard des spécificités et des enjeux, notamment financiers, attachés aux activités économiques réalisées par l'intermédiaire de ces différentes formes sociales (commerciale, profession réglementée, construction-vente immobilière), par rapport à la société civile de droit commun. Ces raisons économiques à ces différences de régimes pourraient néanmoins être aujourd'hui questionnées : d'une part, dans la mesure où le choix de la forme sociale a été rendu beaucoup plus libre qu'auparavant dans de nombreux cas, ce qui signifie qu'il pourrait apparaitre moins justifié de créer des contraintes sur une forme sociale qui n'a plus lieu d'être obligatoirement choisie (cas des SCP pour certaines professions libérales réglementées, par exemple) ; d'autre part, dans la mesure où les conditions de financement ont évolué, et où l'équilibre entre les garanties des créanciers et les impératifs de protection du patrimoine des débiteurs, notamment personnes physiques, n'est plus nécessairement et systématiquement le même que celui existant à l'époque de la fixation de ces régimes. À ce titre, il doit être souligné que, depuis les années 1980 (Cass. 3ème civ., 2 déc. 1980, n° 79-10.372), les juges ont fait évoluer l'application du régime de la SCCV en exigeant, aux côtés de la mise en demeure restée infructueuse de la société, que le créancier social dispose d'un « titre exécutoire » à l'encontre de la société avant de poursuivre les associés.

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