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Fabien Di Filippo
Question N° 3564 au Ministère de la justice


Question soumise le 29 novembre 2022

M. Fabien Di Filippo attire l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice, sur la reconnaissance du caractère extrêmement grave de certaines négligences volontaires (sans rapport avec un acte d'interruption de grossesse souhaité) à l'origine de décès in utero et sur les dispositions à prendre, notamment au niveau pénal, pour mieux faire face à ces situations dramatiques. Dans le cadre d'un accouchement ou d'un suivi de grossesse, la jurisprudence traditionnelle de la Cour de cassation concernant les enfants à naître dit que « l'incrimination prévue par l'article 221-6 du code pénal réprimant l'homicide involontaire d'autrui » ne peut être « étendue au cas de l'enfant à naître dont le régime juridique relève de textes particuliers sur l'embryon ou le fœtus » (C. Cass. ass. plén., 29/06/01, n°99 85 973). Ainsi, en matière pénale, c'est le fait de « naître vivant et viable » qui conditionne l'attribution de la personnalité juridique à l'enfant, et donc la possibilité de retenir l'incrimination d'homicide. Certaines familles ayant été confrontées à une situation où des fautes caractérisées, commises de manière consciente par un ou plusieurs membres du personnel soignant, ont provoqué la mort de leur enfant à naître, déplorent ainsi que justice n'ait été rendue ni à elles, ni à leur bébé né sans vie. Le code pénal, dans son article 223-1, sanctionne « le fait d'exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence ». Lorsque cette situation se produit, les peines complémentaires de l'article 223-18 du code pénal peuvent être prononcées, dont « l'interdiction, suivant les modalités prévues par l'article 131-27, d'exercer l'activité professionnelle ou sociale dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de laquelle l'infraction a été commise ». Or ces dispositions ne s'appliquent pas lorsque l'« autrui » dont il est question est un enfant à naître. Certains membres du personnel médical ont parfois été mis en examen pour homicide involontaire et non-assistance à personne en péril, mais il y a toujours eu des non-lieux car le juge d'instruction a toujours considéré que l'infraction d'homicide ne peut s'appliquer au fœtus. De même, alors que la faute la plus grave d'un professionnel de santé radié de l'ordre auquel il appartient est le fait d'être à l'origine de la mort d'un patient, le décès in utero survenu des suites de l'imprudence consciente et caractérisée d'un ou plusieurs membres du personnel médical n'est pas considéré comme la mort d'un patient. Il n'entraîne donc pas de radiation même lorsque ce décès concerne un être humain considéré comme viable selon les seuils de viabilité définis par l'Organisation mondiale de la santé, à savoir une durée de gestation d'au moins 22 semaines d'aménorrhées ou un poids minimal de 500 g. M. le député souhaite connaître la position de M. le garde des sceaux sur les cas de manquements évidents, caractérisés, conscients de la part du personnel médical vis-à-vis d'un être humain médicalement considéré comme viable ayant entraîné un décès in utero, et sur leur qualification pénale. Il l'interroge également sur la reconnaissance de tels manquements comme « faute grave ayant entraîné la mort du patient » et s'ils doivent donner lieu à une radiation de l'Ordre des médecins.

Réponse émise le 7 mars 2023

Les affaires liées à des violences subies par des femmes enceintes à la suite d'une défaillance médicale ou chirurgicale, ayant eu pour conséquence la mort in utero de leur enfant, soulèvent des questions très douloureuses. Les poursuites exercées du chef d'homicide involontaire sur le fœtus lui-même sont au cœur de profondes divergences doctrinales et ont abouti à une jurisprudence nourrie de la part de la Cour de cassation. A titre liminaire, il sera rappelé le cadre général de la responsabilité médicale, qu'elle soit civile, pénale ou disciplinaire et certaines des sanctions ayant vocation à s'appliquer. La responsabilité civile des médecins et du personnel médical est ainsi prévue à l'article L.1142-1 du code de la santé publique. Il est posé, dans cet article, le principe selon lequel les professionnels de santé ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. La jurisprudence considère donc que la responsabilité du médecin est subordonnée à la preuve d'une faute commise dans l'accomplissement de l'acte médical (en ce sens l'arrêt de la première chambre civile de la cour de cassation du 4 janvier 2005, no03-13.579). Le prononcé de sanctions disciplinaires, parmi lesquelles la radiation des ordres des médecins et des infirmiers relève en tout état de cause exclusivement de la compétence des conseils de l'ordre via leur chambre disciplinaire, en application de l'article L.4124-6 du code de la santé publique. Les actions intentées sont indépendantes des actions judiciaires et ces actions disciplinaires ne font pas obstacle aux poursuites devant les juridictions pénales, civiles ou administratives (article L.4126-5 du code de la santé publique). En matière pénale, les agissements fautifs des professionnels de santé dans l'exercice de leurs fonctions et ayant entrainé des séquelles ou le décès du patient, sont poursuivies à travers les infractions de blessures involontaires et d'homicide involontaire prévue par les articles 222-19, 222-20 et 221-6 du code pénal. La délicate question du statut du fœtus se caractérise en droit français par la volonté qui a délibérément été celle du législateur de ne pas définir ce statut. Cette abstention, non remise en cause par la loi de 2004 et la révision des lois bioéthiques, dont la dernière du 2 août 2021, est un élément essentiel des consensus sociétaux qui ont permis notamment de légiférer sur la question aussi complexe que celle des études ou des recherches sur l'embryon. Le droit interne, en posant la définition de la personnalité juridique, permet de considérer que le fœtus n'est pas une personne au sens juridique du terme. En effet, seul l'enfant né vivant et viable peut se voir établir un acte de naissance par l'officier de l'état civil dans les conditions de l'article 55 du code civil. Dans un arrêt en date du 30 juin 1999 (no 97-82.351), la Cour de cassation a ainsi refusé d'assimiler l'atteinte au fœtus à « la mort d'autrui » visée par l'article 221-6 du code pénal relatif à l'infraction d'homicide involontaire. Elle a réaffirmé sa position de manière solennelle, dans un arrêt rendu en Assemblée plénière le 29 juin 2001 (no 99-85.973), alors qu'une femme enceinte de six mois avait été victime d'un accident de voiture occasionné par un conducteur sous l'empire d'un état alcoolique. A cette occasion, l'assemblée plénière a affirmé que « le principe de la légalité des délits et des peines, qui impose une interprétation stricte de la loi pénale, s'oppose à ce que l'incrimination prévue par l'article 221-6 du code pénal, réprimant l'homicide involontaire d'autrui, soit étendu au cas de l'enfant à naître dont le régime juridique relève de textes particuliers sur l'embryon ou le fœtus ». En 2002, la question de l'homicide involontaire du fœtus a été reposée à la Cour de cassation. En l'espèce, la patiente, sur le point d'accoucher, avait signalé une anomalie du rythme cardiaque de l'enfant à la sage-femme qui avait refusé d'appeler le médecin. Le fœtus décéda quelques heures avant sa naissance d'un arrêt cardiaque. La cour d'appel de Versailles déclara la sage-femme et le médecin coupables d'homicide involontaire au motif que l'enfant « disposait d'une humanité distincte de celle de sa mère ». La Cour de cassation, dans un arrêt du 25 juin 2002 (no 00-81.359), sanctionna ce raisonnement et maintint sa position : « le principe de la légalité des délits et des peines, qui impose une interprétation stricte de la loi pénale, s'oppose à ce que l'incrimination d'homicide involontaire s'applique à l'enfant qui n'est pas né vivant ». Enfin, dans un arrêt du 4 mai 2004 (n° 03-86.175), la chambre criminelle de la Cour de cassation a de nouveau rappelé de façon très claire que « si c'est à tort que, pour relaxer la prévenue, les juges ont énoncé que, faute d'avoir interprété le tracé du rythme cardiaque fœtal comme l'indice d'une hypoxie, elle a commis non pas une négligence ou un manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi, mais une simple erreur de diagnostic n'engageant pas sa responsabilité pénale, alors qu'il résulte de l'article L.4151-3 du Code de la santé publique qu'en cas d'accouchement dystocique, les sages-femmes doivent faire appeler un médecin, l'arrêt n'encourt cependant pas la censure, dès lors que, l'enfant n'étant pas né vivant, les faits ne sont susceptibles d'aucune qualification pénale ». Il faut donc en conclure que, selon la Cour de cassation, soit l'enfant n'est pas né vivant et la qualification d'homicide involontaire sur sa personne ne saurait être retenue, y compris si sa mort est le résultat des fautes perpétrées par le prévenu, soit au contraire il est né vivant, et les poursuites sont possibles, même si l'enfant est mort quelques minutes après sa naissance des atteintes qu'il a subies in utero. La différence est également établie par la jurisprudence entre l'erreur de diagnostic, qui n'est pas une faute au sens de l'article 221-6 du Code pénal (Crim. 29 juin 1999, no 98-83.517) et ce qui relève d'un manquement fautif à une obligation légale, telle la nécessité d'avoir recours à un médecin pour les accouchements les plus difficiles (Crim. 25 sept. 1996, no 95-81.552). En tout état de cause, selon la jurisprudence de la Cour de cassation, une telle faute n'est punissable que si l'enfant naît vivant, y compris si son décès est en relation directe et exclusive avec le manquement constaté. Cet état du droit positif a été validé par la Cour européenne des droits de l'Homme. Celle-ci à l'occasion d'un arrêt Vo c/ France du 8 juillet 2004 a, pour conclure à la non violation de l'article 2 de la Convention EDH, qui garantit le droit de toute personne à la vie, estimé qu'« aucun consensus européen n'existe sur la définition scientifique et juridique des débuts de la vie » et que par conséquent « le point de départ du droit à la vie relève de la marge d'appréciation des Etats dont la Cour tend à considérer qu'elle doit leur être reconnue dans ce domaine, même dans le cadre d'une interprétation évolutive de la Convention (…) ». Ainsi, pour la Cour européenne des droits de l'homme, le fait que l'incrimination d'homicide involontaire n'ait pas été retenue à l'encontre d'un médecin responsable de la mort d'un enfant, in utero, à six mois de grossesse, ne constitue pas une violation de l'article 2 de la Convention. Le cadre juridique ainsi défini ne fait cependant pas obstacle à l'existence d'un certain nombre de règles réglementant les interventions médicales sur le fœtus ou qui en assurent la protection, que celui-ci soit considéré comme non dissociable du corps de la femme, ou au contraire qu'il en soit expulsé ou extrait. Ainsi, s'agissant du fœtus in utero, le droit interne encadre le diagnostic prénatal, l'interruption de grossesse pratiquée pour motif médical et la protection à l'égard des recherches biomédicales. S'agissant ensuite du fœtus expulsé ou extrait du corps de la femme, la loi du 6 août 2004 a introduit de nombreuses garanties à l'issue d'une interruption de grossesse notamment réalisée pour motif médical, ainsi que sur les prélèvements et l'utilisation de tissus embryonnaires ou fœtaux à des fins thérapeutiques ou scientifiques. Enfin, la législation permet désormais aux parents de l'enfant sans vie de demander l'établissement d'un acte d'enfant sans vie (article 79-1 du code civil), ainsi que la possibilité de faire apposer la mention de cet acte sur le livret de famille (article 3 du décret du 15 mai 1974 relatif au livret de famille et à l'information des époux et des parents sur le droit de la famille, modifié par l'article 2 du décret 2022-290 du 1er mars 2022 portant application de certaines dispositions de la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique et modifiant diverses dispositions relatives à l'état civil). La question posée présente donc un enjeu sociétal particulièrement sensible et dans le cas où le statut du fœtus devait être amené à évoluer, une concertation nationale s'avérera évidemment nécessaire.

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