Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Bruno Bilde
Question N° 520 au Ministère de la justice


Question soumise le 2 août 2022

M. Bruno Bilde interroge M. le garde des sceaux, ministre de la justice, sur l'arrêt rendu par la Cour de cassation sur les « données de connexion », c'est-à-dire les éléments tirés de l'exploitation de la téléphonie d'une personne, dans les enquêtes pénales. Dans cet arrêt, la Cour de cassation, qui tire les conséquences en droit interne d'une décision de la Cour de justice de l'Union européenne, confirme que le procureur de la République ne peut ordonner de telles mesures d'investigation qualifiées d'attentatoires à la vie privée. Désormais, les réquisitions visant les données de téléphonie doivent être autorisées au préalable par une juridiction ou par une autorité administrative indépendante. D'autre part, la Cour de cassation précise que même le juge et l'autorité administrative indépendante n'ont pas la possibilité d'autoriser de telles investigations que dans le cadre de la « criminalité grave ». Pourtant, la Cour de cassation ne définit pas cette notion qui n'a d'ailleurs pas de définition dans le droit pénal français. La téléphonie est devenue un outil d'enquête indispensable pour confondre ou confirmer l'innocence d'une personne et est donc utilisée quotidiennement par les parquets et les services d'enquêtes. Cet arrêt, outre l'insécurité juridique inédite qu'il produit, constitue un obstacle majeur à l'identification des délinquants et des criminels. Cette décision a une conséquence directe et immédiate sur la capacité des magistrats du ministère public et des enquêteurs à exercer efficacement leurs missions fondamentales de manifestation de la vérité et de protection des victimes. Cet arrêt démontre en outre, une fois de plus, la soumission aveugle et irrationnelle du système juridique pénal français au droit européen. M. le député demande à M. le ministre de la justice de bien vouloir définir clairement le périmètre de la « criminalité grave ». Il l'appelle également à mettre en place dans les plus brefs délais tous les dispositifs nécessaires afin de mettre fin à cette insécurité juridique, obstacle majeur à l'identification des délinquants et des criminels en paralysant le travail des procureurs. Il lui demande ses intentions à ce sujet.

Réponse émise le 7 mars 2023

Les éléments de preuves résultant de l'exploitation des données obtenues grâce aux réquisitions délivrées aux opérateurs de téléphonie mobile revêtent une importance majeure pour la manifestation de la vérité dans le cadre des investigations pénales. La question de la conservation et de l'accès de ces données pour les besoins des enquêtes pénales fait l'objet d'une jurisprudence restrictive de la Cour de justice de l'Union européenne depuis 2016, en raison des exigences inhérentes au droit de chacun au respect de sa vie privée. Les arrêts rendus par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 12 juillet 2022 tirent les conséquences des décisions rendues par la Cour de justice de l'Union européenne. D'une part, la Cour de cassation énonce que les données de connexion ne peuvent être obtenues que dans le cadre d'enquête pénales relatives à des infractions d'une certaine gravité. Sur ce point, la loi n° 2022-299 du 2 mars 2022 visant à combattre le harcèlement scolaire avait déjà limité une telle possibilité aux enquêtes relatives à une infraction punie d'au moins trois ans d'emprisonnement en application notamment du nouvel article 60-1-2 du code de procédure pénale. L'appréciation du caractère grave de la criminalité par les juridictions est également effectuée au regard de la nature des agissements de la personne mise en cause, de l'importance du dommage qui en résulte, des circonstances de la commission des faits et de la durée de la peine encourue. D'autre part, la Cour de cassation précise que la délivrance de réquisitions relatives aux données de connexion doit faire l'objet d'un contrôle préalable par une juridiction ou une autorité administrative indépendante au sens où l'entend la Cour de justice de l'Union européenne. Or, un tel contrôle, portant notamment sur la nécessité et la proportionnalité des réquisitions, est réalisé par les services du parquet selon les dispositions actuelles du code de procédure pénale relatives à l'enquête préliminaire et de flagrance. La Cour de cassation a toutefois jugé que les éléments de preuve ainsi obtenus ne peuvent être annulés que si une telle irrégularité portait concrètement atteinte aux droits de la personne poursuivie. Cette interprétation permet de limiter les cas dans lesquels la nullité des actes serait encourue et de sauvegarder la plupart des procédures pénales en cours. Dès le mois de juillet 2022, des guides à destination des juridictions pénales ont été diffusés afin d'exposer la portée des décisions de la Cour de cassation et de les accompagner dans la mise en œuvre de leurs conséquences. Par ailleurs, une réflexion approfondie est actuellement menée par les services du ministère afin d'apporter une solution juridiquement robuste et acceptable en pratique permettant de garantir l'efficacité de l'action des magistrats et des services enquêteurs en matière de lutte contre la criminalité.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette question.

Inscription
ou
Connexion