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Antoine Léaument
Question N° 6567 au Ministère de la culture


Question soumise le 21 mars 2023

M. Antoine Léaument alerte Mme la ministre de la culture sur la vente aux enchères de l'unique lettre conservée de Robespierre à Danton. Ce dimanche 12 mars 2023, l'unique lettre conservée de Robespierre à Danton sera vendue aux enchères à Versailles. Le risque est grand de la voir quitter le territoire national ou bien de quitter les yeux du grand public et de finir dans la collection d'un acheteur privé. Cette lettre a pourtant un contenu inestimable sur le plan historique. Elle concerne deux des principaux fondateurs de la République française. Elle est écrite le 15 février 1793, alors que la femme de Danton est décédée 5 jours plus tôt. Il s'agit d'une lettre de condoléances dans laquelle Robespierre écrit à son ami : « Je t'aime plus que jamais et jusqu'à la mort. Dans ce moment je suis toi-même. Ne ferme point ton cœur aux accents de l'amitié qui ressent toute ta peine. ». Mais si Robespierre écrit à un ami, il écrit aussi à un compagnon de route politique. Cette lettre intervient à un moment crucial de l'histoire du pays. Quelques jours avant, le 21 janvier, Louis Capet a été guillotiné. Au moment où elle est écrite, le 15 février, la jeune République française est en guerre contre les monarchies coalisées contre elle. Moins d'un mois plus tard, le 10 mars, sous l'impulsion de Danton, le Tribunal révolutionnaire est créé. Dans cette lettre, la grande histoire publique se mêle à la privée. Robespierre écrit : « Pleurons ensemble nos amis et faisons bientôt ressentir les effets de notre douleur profonde aux tyrans qui sont les auteurs des malheurs publics et des malheurs privés ». Cette lettre est d'une valeur inestimable pour le pays. Elle ne doit pas partir dans une collection privée mais être disponible dans un musée de la République française. Nul doute que le musée Carnavalet lui donnerait une bonne place ; nul doute que le futur musée Robespierre qui doit ouvrir à Arras en ferait l'une de ses pièces centrales. Cette lettre est un petit morceau de l'histoire républicaine commune. Elle doit être accessible au public et aux chercheurs. M. le député demande solennellement à Mme la ministre d'exercer le droit de préemption de l'État sur cette vente aux enchères. Sa valeur est estimée à entre 100 000 et 150 000 euros, soit entre 0,00002 % et 0,00003 % du budget de l'État. C'est un effort budgétaire que le ministère peut assurément consentir au nom de l'intérêt général. Il lui demande de na pas laisser un tel document échapper au peuple français et à sa République et souhaite connaître ses intentiosn à ce sujet.

Réponse émise le 25 avril 2023

La lettre adressée par Robespierre à Danton le 15 février 1793, proposée en vente publique par la maison de ventes Osenat le 12 mars dernier, faisait jusqu'alors partie de la collection Aristophil, dispersée depuis décembre 2017, dans le cadre de la liquidation de la société par suite de la mise en examen de son gérant, en 2015, et de la reprise de la collection par la société Aguttes. Elle est incluse dans un recueil factice de cent vingt-sept pièces de l'époque révolutionnaire, vendu en novembre 2022 pour la somme de 162 000 € (frais de vente compris). Lors de l'expertise de cette collection, menée depuis 2015 par les administrations des archives des ministères de l'Europe et des affaires étrangères, des armées et de la culture, ainsi que lors de l'annonce de cette vente, faite au réseau des Archives de France dès la connaissance de cette vacation, soit dix jours auparavant, l'attention des experts n'a pas été retenue par ce document, et ce pour plusieurs raisons. La première tient au caractère essentiellement privé de cette missive, dont le contenu ne renvoie que de manière très ténue au contexte historique et politique, sans apporter de plus-value informationnelle fondamentale du point de vue historiographique. La seconde raison tient au montant extraordinairement élevé de l'estimation initiale comme de l'enchère finale. L'estimation de ce seul document se situait en effet dans la même fourchette que la totalité du recueil originel (entre 100 000 et 120 000 €), avec une adjudication à 218 750 €, soit 56 000 € de plus que le recueil. Dès lors, il y avait une disproportion évidente entre ce coût et l'intérêt intrinsèque de la lettre, chaque acquisition par la puissance publique faisant l'objet d'une pondération entre la valeur historique de la pièce considérée et sa valeur marchande. Il faut par ailleurs rappeler que l'État a préempté en 2011 chez Sotheby's, au profit des Archives nationales, des manuscrits de Robespierre (cent treize pages de fragments de cinq discours et quatre articles, ainsi qu'une lettre et des notes éparses), avec l'aide des collectivités territoriales, de l'université Paris-I Panthéon-Sorbonne, de la Société des études robespierristes et du Sénat, sans oublier un mécénat participatif, pour un montant d'un million d'euros, en raison de leur exceptionnel intérêt historique et patrimonial. C'est cette pondération constante entre seuil de financement et valeur patrimoniale qui régit depuis des décennies la stratégie d'enrichissement des collections documentaires nationales, de même que l'exercice du droit de préemption : l'usage de ce droit exorbitant du droit commun est ainsi réservé à l'achat de pièces exceptionnelles, dont l'intégration dans les fonds publics est jugée prioritaire. Ce droit ne peut par ailleurs être exercé que pendant la vente et non en dehors de celle-ci.

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