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Idir Boumertit
Question N° 8691 au Ministère de la santé


Question soumise le 6 juin 2023

M. Idir Boumertit interroge M. le ministre de la santé et de la prévention sur les mesures que compte mettre en place le Gouvernement afin de répondre efficacement à la pénurie croissante de médicaments que connaît le pays depuis plusieurs années. La France traverse actuellement une situation de pénurie et de tension de plus de 3 000 médicaments et expose la population dans son ensemble à un problème de santé publique très préoccupant. Ce faible approvisionnement des stocks, sur lequel alertait déjà l'Académie nationale de pharmacie en 2010, s'intensifie. Le nombre de cas de signalements de médicaments manquants ou en tension a été multiplié par cinq en sept ans. Le pédiatre Andreas Werner compare même la situation de la France en 2023 à des pratiques qu'il était contraint d'adopter lorsqu'il exerçait en Afghanistan en 1995. Outre l'atteinte aux droits de santé des nourrissons, des enfants et des malades atteints notamment de diabète, de cancer, ou encore d'épilepsie, la pénurie de pilule abortive porte une atteinte grave aux droits et à l'émancipation des femmes. De surcroît, cela fait peser des coûts supplémentaires au système de santé et donc aux citoyens. Or cette pénurie est structurelle et résulte, selon le syndicat SNPHARE, du manque d'anticipation des laboratoires pharmaceutiques ainsi que des agences gouvernementales. La concentration de la production de certains médicaments par quelques laboratoires et l'absence de régulation des délocalisations, ayant un fort coût socio-écologique, ont contribué à cette crise. En trente ans, 80 % de la production de médicaments a été déplacée vers l'Inde ou la Chine. Les laboratoires pharmaceutiques évoquent la faible rentabilité des médicaments dits matures pour justifier ces pratiques, sans pour autant lever l'opacité sur leurs marges réelles. Ainsi, le Gouvernement a concédé à augmenter le prix de certains médicaments, alors même que les politiques de prix ne permettent pas de prévenir les pénuries, comme en témoigne le cas suisse. Au début de la crise sanitaire en mars 2020, le président M. Macron considérait que « notre capacité à soigner » fait partie des services considérés comme stratégiques et devant à ce titre « être placés en dehors des lois du marché ». Or les réponses gouvernementales à la pénurie actuelle relèvent du contingentement et de l'interdiction d'achat en ligne, aboutissant à un faible impact sur la faiblesse des stocks. Afin d'avoir une réelle incidence, une politique de long terme est nécessaire tenant compte de la production, de la distribution, de la règlementation et de l'accès équitable aux soins de santé. Comme beaucoup d'auditions le suggèrent dans le cadre de la commission d'enquête sur la pénurie de médicaments en cours au Sénat, il faudrait accroître la régulation de la chaîne d'approvisionnement et rendre publique une partie de la production de médicaments en tension. Dans un contexte de vieillissement de la population et d'augmentation de risques épidémiques et pandémiques, il souhaite savoir si le Gouvernement prévoit de rendre publique la production des médicaments d'intérêt thérapeutique majeur en tension, dont la production est délaissée par les laboratoires en raison des rendements peu élevés qu'ils en tirent ; il en va du droit à la santé des citoyens français et du respect des principes environnementaux et fondamentaux de la Nation.

Réponse émise le 7 novembre 2023

Comme l'ensemble des pays industrialisés, la France connaît des tensions d'approvisionnement sur certains médicaments. Elles sont liées pour partie à la conjoncture internationale ainsi qu'à une augmentation générale de la consommation de médicaments. Compte tenu de l'augmentation des signalements de ruptures et risques de ruptures de stock constatée, une feuille de route a été développée sous la coordination de l'Agence Nationale de Sécurité du Médicament (ANSM), pour anticiper, minimiser les risques et résoudre au plus vite les situations de tension. Elle s'inscrit dans le prolongement de la précédente feuille de route 2019-2022 qui a permis des avancées majeures (plan de gestion des pénuries pour les médicaments d'intérêts thérapeutiques majeurs, obligation de détention de stocks de sécurité…). En outre, une liste de 450 médicaments dits essentiels a été établie sur la base des recommandations des autorités scientifiques. A partir de cette liste évolutive, publiée le 13 juin 2023, des travaux sont engagés pour mieux garantir la disponibilité des médicaments (suivi renforcé sur les capacités d'approvisionnement, analyse des pratiques de prescription et des tendances d'achat, cartographie et renforcement des chaînes de production, mise en œuvre de solutions de production de secours, actions de prévention…). L'ANSM, en lien avec la Direction générale de la santé, a également établi un plan de préparation des épidémies hivernales pour anticiper d'éventuelles tensions et renforcer notre capacité à faire face à des pics saisonniers de consommation de médicaments. Ce plan hivernal inclut une phase d'anticipation qui vise : à sécuriser les approvisionnements afin de garantir la couverture des besoins, à améliorer la mise à disposition des données, et à communiquer sur les gestes barrières et les règles de bon usage des médicaments dans un esprit de responsabilisation collective de l'ensemble des acteurs du soin et des assurés. Enfin, un « plan blanc » reste activable en cas de situation exceptionnelle qui conduirait à devoir prendre des mesures spécifiques pour sécuriser la prise en charge des assurés. Concernant la constitution des stocks, le Gouvernement a travaillé avec les industriels du secteur à : un moratoire sur les baisses de prix des génériques stratégiques sur le plan industriel et sanitaire, des hausses de prix ciblées sur certains génériques stratégiques produits en Europe, en contrepartie d'engagements sur une sécurisation de l'approvisionnement du marché français. Le Président de la République a en outre annoncé le 13 juin 2023, la relocalisation de la production de 25 médicaments stratégiques. De plus, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024 prévoit de nouvelles mesures pour lutter contre les tensions d'approvisionnement notamment : l'obligation, sous peine de sanction financière, pour les laboratoires pharmaceutiques de chercher un repreneur en cas d'arrêt de commercialisation d'un médicament d'intérêt thérapeutique majeur et la création d'un statut de préparations officinales spéciales permettant aux pharmaciens de pallier à des pénuries, la généralisation de la délivrance à l'unité par les pharmaciens d'officines des médicaments concernés par une rupture d'approvisionnement, l'interdiction de prescription en téléconsultation de certains médicaments, en priorité les antibiotiques, ou encore la systématisation pour les antibiotiques du recours à des ordonnances conditionnant la délivrance de médicaments à la réalisation d'un test rapide d'orientation diagnostique (TROD). Le débat parlementaire a par ailleurs déjà permis de faire émerger de nouvelles idées, notamment en matière de pouvoirs de police sanitaire de l'ANSM. Enfin, de nombreuses actions sont menées au niveau européen. La France s'est très tôt associée, avec 18 autres pays, à la proposition portée par la Belgique de Critical Medicines Act, pour adapter à ces médicaments essentiels la stratégie adoptée pour les métaux rares. Le règlement (UE) n° 2022/123 du 25 janvier 2022 qui a introduit des dispositions visant à prévenir et gérer les pénuries de médicaments et de dispositifs médicaux considérés comme critiques, en renforçant le rôle de l'Agence européenne des médicaments, est par ailleurs entré en application. Il s'agit là d'une première étape visant à mettre en place un cadre renforcé pour la notification et la surveillance des pénuries de médicaments et de dispositifs médicaux lors d'urgences de santé publique ou d'événements majeurs dans l'Union européenne. De même, dans le cadre du projet de révision de la législation pharmaceutique présenté par la Commission européenne, des mesures visant à anticiper et réduire les tensions d'approvisionnement sont prévues, reprenant les dispositions françaises (obligation d'avoir des plans de gestion des pénuries pour les laboratoires, liste de médicaments critiques, déclaration des ruptures notamment). Pour faire le point sur l'ensemble de ces enjeux, le ministre de la Santé et de la Prévention réunira très prochainement l'ensemble des acteurs de la chaîne du médicament.

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