Intervention de Pierre-Yves Le Borgn'

Réunion du 3 novembre 2016 à 11h30
Mission d'information sur les relations politiques et économiques entre la france et l'azerbaïdjan au regard des objectifs français de développement de la paix et de la démocratie au sud caucase

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre-Yves Le Borgn', député, rapporteur de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe sur la mise en oeuvre des arrêts de la Cour européenne des droits de l'Homme :

Sachant le rôle que joue l'OSCE dans le domaine des élections, je parle sous le contrôle de Michel Voisin. Rares sont les situations dans lesquelles une observation ponctuelle, effectuée par des gens qui débarquent le vendredi précédant les élections du dimanche, fait apparaître une fraude massive, très peu subtile, que tout esprit à peu près alerte détecterait rapidement.

En réalité, la plupart du temps, le dérapage se produit en amont, bien avant que n'apparaissent les observateurs, du simple fait que les débats n'ont pas lieu. J'en reviens au problème de la pénalisation de la diffamation : il est très facile de tuer le débat. Si un journaliste sent que ses articles ou ses interventions à l'antenne peuvent le conduire à la ruine et à la prison, il y réfléchira à deux fois avant de rapporter des situations critiques.

L'exemple de la Macédoine – qui fait partie de ma circonscription des Français établis à l'étranger – est encore plus criant que celui de l'Azerbaïdjan. En apparence, le débat public y semble sain. Rien d'inquiétant n'apparaît dans le compte rendu des observateurs électoraux. En réalité, la plupart des électeurs ne connaissent pas les candidats, ils n'ont pas la moindre idée de ce qui est proposé par tel ou tel parti, ni de ce qu'il y a dans les programmes. Rien ne leur a jamais été présenté. C'est le fond du débat. Pour moi, cette question de la pénalisation de la diffamation est fondatrice. Le Conseil de l'Europe mène depuis des dizaines d'années un combat qui vise à exclure la diffamation du droit pénal, non pas pour empêcher toute poursuite pour ce motif mais pour en faire une question de droit civil.

Combien de pays du Conseil de l'Europe ressemblent à l'Azerbaïdjan par certains travers ? Plusieurs, en effet. Si je me place sous l'angle unique des difficultés d'exécution des arrêts de la CEDH, je dois dire que l'Italie rencontre en effet des problèmes récurrents. La France a aussi ses dossiers comme celui de la reconnaissance des droits des enfants nés à l'étranger par gestation pour autrui (GPA). On peut penser ce que l'on veut de la GPA, mais les enfants existent et la France a été condamnée trois fois au cours des deux dernières années à ce sujet.

Klaas de Vries, mon prédécesseur comme rapporteur sur l'exécution des arrêts de la CEDH, avait élaboré un rapport en deux parties. Dans la première, il avait recensé l'importante jurisprudence, ce qui représente une masse de travail incroyable, concernant les dix pays qui se distinguent en matière de mauvaise exécution des arrêts. Vous y trouvez la Fédération de Russie, la Turquie, la Roumanie, la Bulgarie, l'Italie – ce qui tend à montrer ces dérapages ne sont pas l'apanage des pays de l'Est de l'Europe et que chacun doit balayer devant sa porte.

Les Britanniques font une fixation sur le droit de vote des prisonniers et ils ont fait le choix politique de ne pas appliquer les arrêts qui les condamnent de manière récurrente. Prenez la Hongrie, comme le suggère François Loncle. Prenez la Bosnie-Herzégovine : l'arrêt Sejdić et Finci de décembre 2009 portait sur l'impossibilité pour un Rom et un Juif de se présenter aux élections présidentielles. En effet, conformément à la Constitution, seules les personnes déclarant leur appartenance à l'une des trois nations fondatrices, à savoir les Bosniaques, les Croates et les Serbes, ont le droit de se présenter à ces élections. Les exclus représentent 30 % de la population bosnienne. La Bosnie a été condamnée mais elle est incapable d'exécuter l'arrêt de la CEDH parce qu'il faudrait revenir sur la construction du pays, consécutive aux accords de Dayton. Voyez la mécanique… Les problèmes d'exécution sont souvent de nature très structurelle et, pour les surmonter, il faudrait changer l'organisation institutionnelle d'un pays, laquelle dépend parfois des puissances internationales. Tout cela fait que l'on ne s'en sort pas. Je ne veux pas donner l'impression de faire, à mon tour, une fixation sur l'Azerbaïdjan. Pour autant, il faut dire que ce pays se détache aussi, non par le nombre des problèmes soulevés mais par leur acuité. La pénalisation de la diffamation est un élément parmi d'autres.

François Loncle voit dans mon propos une forme de réquisitoire contre la diplomatie française. Je n'y avais pas pensé mais, en effet, intervenant sous l'angle du seul droit, ce que je peux vous dire ici est décalé par rapport à un exercice diplomatique un peu plus large, qui intègre immanquablement un volet économique. Ceci pourrait être valable pour d'autres pays du monde. Est-ce vraiment un réquisitoire ? Je vous ai cité l'exemple de Leyla et Arif Yunus. Je n'ai pas la preuve que le message que j'ai essayé de faire passer au Président de la République, à travers Jean-Pierre Jouyet, ait eu un impact. J'ai tendance à considérer que le Président de la République, dans le huis clos, a pu faire passer ce type de message.

Je n'ignore rien des conditions de la concurrence économique et des contrats qui peuvent être conclus avec un pays comme l'Azerbaïdjan – je pense aux trains et pas seulement aux hydrocarbures. Cet aspect de la relation doit être pris en compte. Cependant, un pays ne peut pas faire silence sur le respect des droits de l'Homme, surtout quand ce pays se décrit au plan international comme étant porté par une certaine vision universaliste. C'est ce que je défends comme parlementaire. C'est ce que je défendais aussi dans ma vie précédente d'industriel. Je n'ai pas l'impression d'avoir changé de casquette en passant de l'entreprise à l'Assemblée nationale. Quand on fait du « business », on n'est pas en dehors du cadre des droits et des libertés fondamentales.

Jean-François Mancel, vous disiez que les individus que j'ai cités, notamment les nombreux Mammadov qui ne portent pas le même prénom, sont toujours les mêmes. On peut le voir ainsi, mais ce n'est pas mon cas. Il y a quand même 164 arrêts sous surveillance du comité des ministres. Ceux qui sont condamnés sont ceux qui ont été tout à la fois les plus malchanceux et les plus courageux. Ces gens-là ont un fil conducteur commun : la défense des droits, soit qu'ils soient à la tête d'organisations, d'associations impliquées dans la surveillance des élections, dans la protection des droits de l'Homme, soit qu'ils soient des opposants politiques, ce qui est légitime dans un pays qui se voudrait démocratique.

Ils ont payé la défense de la liberté d'opinion par la perte de leur propre liberté. En tant que tel, c'est déjà condamnable, à moins de considérer que tout cela n'est que scories du débat public, ce qui n'est pas ma philosophie du respect des droits de l'Homme. Sur le principe, cela me choque profondément, surtout quand c'est très récurrent et que cela dure depuis longtemps : je vous parle ici d'arrêts parfois vieux de dix ans et sur lesquels nous n'obtenons aucun résultat. Dans l'intervalle, faut-il le rappeler, l'Azerbaïdjan a présidé le comité des ministres ! Il est cruellement ironique d'imaginer qu'un pays, qui a tant de mal avec l'exécution des arrêts, s'est retrouvé à présider l'instance précisément chargée de leur exécution.

Au sujet de la pénalisation de la diffamation, vous disiez que la France aurait beaucoup à apprendre, à moins que j'aie mal compris votre propos. Est-ce à dire que vous jugez utile de pénaliser la diffamation ?

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