Intervention de Jean-Jacques Urvoas

Réunion du 6 décembre 2016 à 16h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Jean-Jacques Urvoas, garde des Sceaux, ministre de la justice :

Merci à tous pour vos observations et commentaires.

Monsieur le président, vous parlez d'or, comme souvent : le texte est là, les outils aussi. L'intention du législateur était de mettre à la disposition des juges la possibilité d'une sanction différente. Il n'a aucun moyen de coercition pour parvenir à cette fin, et je ne crois d'ailleurs pas qu'il le regrette ; simplement, il lui appartient de créer les conditions nécessaires pour que les magistrats aient la faculté de prononcer cette peine. Vous l'avez rappelé, la contrainte pénale ne vient pas de nulle part : l'absence d'un tel dispositif a été longuement constatée, et l'objet a été poli et affiné au fil de multiples colloques et conférences, dont la conférence de consensus réunie par Mme Christiane Taubira.

Monsieur Ciotti, le dogme serait de considérer que cette peine ne peut produire absolument aucun résultat. En réalité, il faut la prendre pour ce qu'elle est : une faculté, qui doit être adaptée à un individu. Car c'est là ce qui fait la spécificité de notre droit pénal. Monsieur Larrivé, que la contrainte pénale soit étendue ou non, son prononcé ne sera jamais une obligation : c'est le magistrat qui appréciera la situation, la nature de l'infraction, sa gravité et le besoin de la sanctionner soit par un emprisonnement, soit par une peine alternative, soit encore par la contrainte pénale.

Quel était l'intérêt du travail conduit par le ministère, dont je remercie tous les contributeurs ? Nous constations bien que les magistrats n'avaient pas d'appétence immédiate pour cette peine, ce que confirment les chiffres, très modestes au regard de ce qui était espéré. Voilà pourquoi j'ai demandé à l'Inspection générale de la justice – créée par un décret publié ce jour au Journal officiel, fruit du travail parlementaire qui a permis d'achever dans la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle le projet, engagé avant mon arrivée, d'unification des trois inspections du ministère – de procéder à un « forage » dans plusieurs juridictions, afin d'en comprendre les raisons. À chacun de mes déplacements en juridiction, j'interrogeais les présidents et le procureur. Notre rapport fait état du résultat de ces observations, ainsi que de notre lecture, dans le rapport annuel du ministère public, de celles que formulaient les membres du parquet.

De l'analyse pragmatique de ces éléments, il ressort d'abord que l'outil n'est pas connu. D'anciennes habitudes sont installées, et si le sursis est de loin la mesure probatoire la plus utilisée, c'est parce que chacun en comprend les tenants et les aboutissants. En somme, ce qui fonctionnait bien continue de bien fonctionner. Comme Mme Capdevielle l'a très bien dit et comme nous l'indiquons dans le rapport, les avocats ne demandent pas non plus que des contraintes pénales soient prononcées.

Dans les 24 TGI qui sont à l'origine de la moitié des contraintes pénales, il y a eu un long travail visant à faire collaborer ensemble les différents professionnels. Des procédures ont été imaginées, des échanges systématisés, car les présidents de chambres correctionnelles avaient besoin de connaître les avis des SPIP pour déterminer si la contrainte pénale pouvait être utile.

Je suis de ceux qui pensent que la mesure commence à trouver à s'appliquer. Je doute d'ailleurs que l'élargissement prévu au 1er janvier prochain y change grand-chose, chacun ayant maintenant bien compris où se situe l'intérêt de la contrainte pénale : lorsqu'il existe un risque de récidive, dans le cas d'infractions qui ne sont pas nécessairement les plus difficiles, même si elles peuvent être très préjudiciables – par exemple, les infractions à la législation sur les stupéfiants, s'agissant desquelles l'extension ouvre des perspectives.

Je mesure avec M. Joaquim Pueyo, pour l'avoir moi-même observé en de multiples occasions, combien la capacité à susciter une adhésion est utile pour prévenir la récidive, car l'intéressé s'engage alors pour l'avenir. Il est vrai que, souvent, des condamnés détenus préfèrent attendre l'exécution normale de leur peine, même dans les conditions carcérales que l'on imagine. Je me suis rendu il y a peu à la prison de Mont-de-Marsan pour y observer la mise en oeuvre du module « Respecto », né en Espagne et fondé sur l'adhésion des détenus qui exécutent leur peine de manière plus autonome : beaucoup refusent d'y souscrire à cause des contraintes afférentes – se lever, pratiquer des activités –, trouvant plus confortable de rester à ne rien faire. Les dispositifs que vous avez créés visent à rendre les personnes actrices de leur propre peine, mais ce n'est pas toujours gagné, d'où l'importance du travail que fournissent les SPIP pour entraîner l'adhésion.

En ce qui concerne les TIG évoqués par MM. Tourret et Pueyo, j'entends souvent dire que l'on y recourt peu. Nous avons diffusé avant l'été une circulaire visant à promouvoir une convention signée avec des associations ou sociétés nationales permettant l'exécution de TIG, comme la SNCF, la Croix-Rouge ou EDF. J'en ferai la publicité chaque fois que l'occasion m'en sera donnée.

Mmes Capdevielle et Mazetier m'ont demandé ce qui allait désormais être fait pour que la contrainte pénale soit mieux connue. La direction des affaires criminelles et des grâces organise le 6 janvier une journée nationale destinée aux avocats et magistrats, qu'elle avait prévue pour décembre mais qui a dû être reportée car mon agenda ne me permettait pas d'y participer, ce que je souhaitais évidemment faire. En revanche, je n'ai pas l'intention de redire aux parquetiers ce que j'ai déjà indiqué dans ma circulaire de politique pénale, la seule que je signerai au cours de mon passage à la chancellerie : trop de circulaire tue la circulaire !

Monsieur Ciotti, l'examen de la peine aux deux tiers de son exécution a été très lourd à mettre en place, mais il est maintenant entré dans la pratique. Il permet de favoriser les décisions d'aménagement de peine. Cela me paraît suffisant et je ne vois pas pourquoi nous apporterions des modifications au dispositif actuel. Dans ce ministère comme dans d'autres, il n'y a rien de pire que les politiques de l'essuie-glace, qui reviennent sans cesse sur ce qui a pu être installé non sans mal, au lieu d'en tirer les bénéfices.

Quant au suivi post-libération sur lequel Guillaume Garot m'a interrogé, il est essentiellement axé sur l'insertion sociale et professionnelle. Je pourrai lui en détailler les modalités s'il le souhaite.

Monsieur Larrivé, le Gouvernement a en effet l'intention de soumettre au Parlement un projet de loi prolongeant l'état d'urgence. C'est le Conseil des ministres du 14 décembre qui en sera saisi.

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