Intervention de Jean-Frédéric Poisson

Réunion du 6 décembre 2016 à 16h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Frédéric Poisson, rapporteur :

Le présidentRaimbourg a dit l'essentiel, et je m'associe à l'ensemble des remerciements adressés aux services de l'État. Saluons le fait que notre institution soit capable de rendre des rapports de qualité, ce qui tend à justifier la jurisprudence constante de cette commission, plutôt défavorable aux amendements dont l'objet est de demander un rapport au Gouvernement… Nous démontrons que le pouvoir législatif sait, lui aussi, travailler au fond, de manière parfaitement efficace.

Nous touchons selon moi, avec cette nouvelle prolongation, les limites de l'exercice de l'état d'urgence. Ce n'est un mystère pour personne : j'ai acquiescé bien volontiers, sans réserve, à son instauration par décret du Président de la République à la suite des attentats du 13 novembre 2015, et j'ai voté sans hésitation la première prolongation de trois mois, mais j'ai voté contre toutes ses prolongations ultérieures, considérant que l'efficacité et l'utilité du dispositif n'étaient pas démontrées et que nous étions en train de prolonger, d'installer ce qui est, sur le plan juridique, un état d'exception.

La réflexion que nous avons conduite montre bien la nécessité d'encadrer par des mesures de droit commun certaines incertitudes du régime de l'état d'urgence, et je suis solidaire des dix-sept propositions par lesquelles nous concluons ce rapport. De mon point de vue, il s'agit de s'interroger sur la façon dont la durée elle-même de l'état d'urgence est susceptible de modifier sa nature. Telle est, à mon avis, la question qui nous est posée.

En ce qui concerne les perquisitions et leur « finalisation », j'avoue ne pas savoir comment garantir a priori qu'une perquisition est justifiée, avant d'avoir trouvé au domicile que l'on perquisitionne ce qu'on y cherchait – ou ce qu'on n'y cherchait pas –, tout en lui conservant son caractère soudain et inopiné : il y a, entre la protection des droits du citoyen et l'efficacité de la perquisition, une forme de contradiction pratique que je ne sais pas résoudre, d'autant que, dès lors que l'on cherche à mieux encadrer juridiquement un tel dispositif, on lui ôte ce qui, par définition, caractérise et résume l'état d'urgence, à savoir la possibilité donnée aux pouvoirs publics d'agir très rapidement, voire très brutalement.

Cela m'amène à la question de la durée même de l'état d'urgence et à sa prorogation sur une période qui, au bout du compte, approchera les vingt mois, ce qui n'était certainement pas dans les intentions du législateur à l'origine – en tout cas pas dans les nôtres. Cette durée a un impact sur la nature de l'état d'urgence, notamment parce qu'elle aboutit à ce que certaines autorités administratives utilisent les dispositifs qu'il autorise dans des procédures qui relèvent du maintien de l'ordre public, donc du droit commun.

Si la principale vertu de l'état d'urgence est son efficacité, notre commission ne peut pas ne pas s'interroger sur ses détournements éventuels et sur ses conséquences en termes de normes de droit et de hiérarchie de ces normes : que produit, à terme, cette superposition, qui se prolonge dans le temps, des pouvoirs administratif et judiciaire, et comment en sort-on ?

Nous faisons, dans le rapport, dix-sept propositions, afin de mieux encadrer l'application de l'état d'urgence et de mieux garantir les droits des citoyens, sans perdre de vue que, même si je suis le premier à souhaiter que jamais plus on ne doive recourir dans notre pays à l'état d'urgence, il faut, quitte à le maintenir, lui conserver toute son efficacité.

On touche notamment ici à la question, déjà soulevée dans le premier rapport que Jean-Jacques Urvoas et moi avions rendu en janvier 2016, de la porosité entre le terrorisme et d'autres modes de délinquance, qui nous a conduits à remplacer dans la loi la notion d'« activité » suspecte par celle de « comportement » suspect.

À cet égard, et compte tenu des liens avérés entre certains trafics et les réseaux terroristes, je ne saurais reprocher à des préfets ou à des policiers de vouloir perquisitionner des lieux susceptibles d'abriter des armes et de la drogue ; je ne saurais davantage leur reprocher ensuite de ne pas avoir trouvé de lien entre ces trafics et le terrorisme. Même si la frontière est ténue entre une perquisition motivée par la lutte contre le terrorisme et une perquisition d'opportunité, vouloir encadrer le dispositif revient à annuler l'état d'urgence ; ne pas l'encadrer nous oblige à faire confiance aux autorités de l'État et aux magistrats qui auront à en juger par la suite.

Je suis, quoi qu'il en soit, favorable à ce que les préfets puissent aménager certaines modalités des assignations à résidence sans autorisation de la place Beauvau.

Enfin, je m'interroge comme vous sur le coût de toutes ces mesures car, si la sécurité n'a pas de prix, elle a un coût, et il est bon que le Parlement le connaisse.

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