Intervention de Bruno le Roux

Réunion du 31 janvier 2017 à 16h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Bruno le Roux, ministre de l'intérieur :

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je suis heureux de retrouver la commission des Lois à laquelle je suis attaché pour y avoir siégé quinze années durant sous plusieurs législatures. Je vous remercie pour votre engagement sur les questions de sécurité dont chacun d'entre vous mesure l'importance dans une période particulièrement difficile.

Mardi dernier, le Sénat a adopté le projet de loi relatif à la sécurité publique à une très large majorité, après des débats d'une grande qualité et particulièrement constructifs. Chacun, par-delà les clivages partisans, s'est en effet accordé sur la dimension d'intérêt général des enjeux de ce projet de loi.

Je pense que nous serons tous d'accord pour saluer le travail des forces de l'ordre et rendre hommage aux femmes et aux hommes qui les composent. Ils accomplissent un travail particulièrement difficile dans le contexte actuel. Menace terroriste, pression migratoire, délinquance de proximité, sécurité routière : ils sont sur tous les fronts depuis plusieurs mois. Jamais, en effet, les policiers et les gendarmes n'ont été autant sollicités. C'est la raison pour laquelle, depuis 2012, nous avons considérablement renforcé les moyens humains et matériels dont ils disposent. De même, vous leur avez donné, sur proposition du Gouvernement, de nouveaux moyens juridiques, en faisant voter, entre 2012 et 2016, quatre lois sur le renforcement de la lutte antiterroriste et contre la criminalité organisée, ainsi que des dispositions qui ont permis de mieux organiser nos services de renseignement. Chacun de ces textes a d'ailleurs été adopté à une large majorité à l'issue d'échanges constructifs au sein de la représentation nationale. Je peux donc formuler le voeu qu'il en soit de même avec ce projet de loi, en cohérence avec l'ensemble des décisions prises ces derniers mois.

Je n'oublie pas le contexte dans lequel le Gouvernement a proposé ce texte. À l'automne dernier, de nombreux policiers ont manifesté leur malaise face à un quotidien dans lequel ils ne se reconnaissent plus, alors même qu'ils risquent leur vie tous les jours dans l'exercice de leurs missions. La tentative d'assassinat qui visait quatre policiers, le 8 octobre dernier, à Viry-Châtillon, a été, en quelque sorte, l'élément déclencheur de ce mouvement. Depuis lors, plusieurs interpellations ont eu lieu.

Je veux saluer le travail de fond mené par les policiers. Les procédures sont en cours, mais j'ai toutes les raisons de penser que nous avons retrouvé ceux qui ont commis cet attentat. L'enquête et les investigations se poursuivent afin de découvrir tout le réseau qui n'est peut-être pas encore complètement identifié. Je tiens à saluer le formidable travail d'enquête mené par les policiers, notamment par les brigades d'investigations de l'Essonne, afin de remonter jusqu'aux auteurs présumés qui pourront, je l'espère, être déférés le plus rapidement possible devant la justice pour tentative d'assassinat sur des policiers. Quelles que soient les personnes en question, la République ne peut laisser de tels actes impunis.

Dans ce contexte, il a fallu apporter au malaise des policiers deux réponses principales.

Tout d'abord, des concertations inédites ont été organisées dans les commissariats, à l'initiative des préfets. Elles ont fait l'objet d'une synthèse réalisée ces derniers jours par la direction générale de la police nationale et par celle de la gendarmerie nationale. Dans le courant du mois de février, les résultats de ces concertations donneront lieu à de nouvelles annonces, en complément du projet de loi en cours d'examen, destinées à montrer notre reconnaissance aux policiers et aux gendarmes.

Ensuite, nous avons mis en oeuvre un plan pour la sécurité publique, abondé de 250 millions d'euros, qui a été annoncé le 26 octobre dernier. Ce plan, lui-même décidé dans un dialogue constant avec les organisations syndicales, repose sur deux volets.

Un premier volet, matériel, est d'ores et déjà engagé pour renforcer les armements et les équipements de protection, renouveler le parc automobile et lancer les travaux immobiliers les plus urgents. Des procédures seront mises en place pour que l'on puisse agir au plus près du terrain sans que l'on remonte, s'agissant de besoins essentiels, à un niveau sans commune mesure avec la réalité. Il n'est pas normal que les policiers ou les gendarmes attendent des mois pour que les matériels endommagés soient réparés : ils le ressentent très mal, au quotidien, dans leurs commissariats ou dans leurs casernes.

Un second volet, législatif, celui-là même qui nous réunit aujourd'hui, vise à renforcer la protection des policiers et des gendarmes et à mieux garantir la sécurité juridique de leurs interventions.

Le projet de loi qui vous est soumis correspond donc, en tous points, aux engagements pris à l'égard des policiers et des gendarmes de France, et, par extension, à l'égard des Français qu'ils servent.

Ce texte, nous l'avons souhaité précis et resserré sur les enjeux de sécurité publique. Son objectif consiste à ajouter à notre dispositif global les dernières mesures qui lui faisaient défaut, tout en procédant à quelques ajustements. Il s'agit donc bien d'un texte cohérent que le Sénat a compris comme tel. Même si certains d'entre vous souhaitent en renforcer plusieurs aspects, j'ai constaté que vos amendements ne visaient pas à lui retirer cette cohérence générale.

Ce projet de loi tient compte à la fois des impératifs opérationnels auxquels sont confrontées les forces de l'ordre, et des exigences de respect des libertés publiques et de l'État de droit. Il a reçu l'approbation du Conseil d'État comme celle des instances représentatives des personnels de la police et de la gendarmerie.

Pour ce qui concerne le ministère de l'intérieur, il repose sur trois évolutions majeures.

Tout d'abord, nous proposons un cadre commun d'usage des armes pour les forces de sécurité, visant à unifier les règles applicables et à les adapter aux situations auxquelles les effectifs sont de plus en plus souvent confrontés. Ce cadre s'appliquera aux policiers et aux gendarmes, mais aussi aux douaniers et aux militaires déployés pour l'opération Sentinelle. Je précise que, bien évidemment, le cadre général de la légitime défense est maintenu.

Dès lors, les conditions d'usage des armes seront à la fois clarifiées, stabilisées et modernisées, dans le but de mieux protéger les forces de l'ordre, dans un cadre juridique scrupuleusement conforme à l'État de droit. À cet égard, le projet de loi visait à présenter toutes les garanties nécessaires, en tenant compte des jurisprudences de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) et de la Cour de cassation, notamment celles relatives aux conditions d'absolue nécessité et de proportionnalité. Selon moi, en la matière, nous avons atteint avec l'article 1er un point d'équilibre fragile qui doit être préservé.

Les débats au Sénat, nourris des auditions menées par le rapporteur de sa commission des Lois, ont conduit à des interrogations sur des points qui ne remettent pas en cause cet équilibre. Je souhaite que nous continuions à y répondre ensemble en poursuivant toujours cet objectif.

Le Sénat a souhaité étendre aux polices municipales les cadres d'usage des armes prévus aux 1° et 5° du nouvel article L. 435-1 du code de la sécurité intérieur, introduit par l'article 1er. Si je m'en suis remis à la sagesse de cette assemblée concernant l'évolution du 1°, j'ai fait part de mon profond désaccord pour celle du 5°. Nous devons être très vigilants pour ne pas glisser vers la confusion des missions, cette vigilance n'excluant nullement de porter une attention particulière, comme le Gouvernement a su le faire, au cadre d'exercice des policiers municipaux. Je rappelle que le 1° de l'article L. 435-1 est relatif à la légitime défense, et que le 5° concerne le « périple meurtrier ». Je détaillerai en séance publique les arguments qui fondent ma différence d'appréciation, notamment liés aux problèmes de continuation du commandement et de l'information.

Nous proposons ensuite une évolution qui vise à protéger l'identité des policiers et des gendarmes dès lors que sa révélation constitue un danger pour eux-mêmes ou bien pour leur famille. Nous n'avons pas de certitude, mais un sentiment profond que, lors du double assassinat de Magnanville, Jessica Schneider était ciblée parce qu'elle appartenait aux personnels administratifs de la police nationale, ce qui a provoqué sa mort ainsi que celle de son compagnon, Jean-Baptiste Salvaing, lui-même fonctionnaire de police.

Tel est l'objectif du numéro d'immatriculation administrative auquel les policiers et les gendarmes seront autorisés à recourir pour s'identifier, en lieu et place de leur état civil, dans les procédures pénales et sous certaines conditions. Je rappelle que ce dispositif existe déjà en matière de lutte antiterroriste. Dans les cas exceptionnels où la connaissance de l'état civil de l'enquêteur serait indispensable à l'exercice des droits de la défense, le juge pourra, bien entendu, ordonner la révélation de ces informations.

Le Sénat a supprimé le seuil lié au quantum de la peine encourue pour permettre le recours à ce dispositif. Cette modification procède d'un souci d'efficacité du dispositif. Soyez assurés que je suis tout particulièrement attentif à l'impératif d'efficacité, mais il doit se conjuguer avec le principe de proportionnalité ! Nous poursuivons un même objectif, et je ne doute pas que nous parviendrons à concilier efficacité et proportionnalité. Je fais confiance à la dextérité juridique de votre rapporteur pour parvenir à dégager, en liaison avec les services du ministère de l'intérieur, les solutions qui permettront la plus grande efficacité et qui feront preuve de la plus grande finesse juridique.

De même, afin d'assurer la protection de l'identité des auteurs de décisions administratives en lien avec le terrorisme, l'administration sera autorisée à ne notifier à la personne concernée qu'une ampliation anonyme de l'acte, tout en aménageant les règles du contradictoire en matière contentieuse. Cette disposition a été introduite parce que nous avons constaté, par exemple, que ceux qui défendaient les positions du ministre de l'intérieur devant le Conseil d'État étaient publiquement mis en cause dans certains articles de presse. Cela n'est pas normal.

Enfin, nous proposons de doubler les peines encourues en cas d'outrage à toute personne dépositaire de l'autorité publique, en les alignant sur celles qui sont prévues en cas d'outrage à magistrat.

Des dispositions complémentaires concernant l'augmentation des peines encourues pour les faits de rébellion et de refus d'obtempérer ont été introduites par le Sénat. Elles rejoignent l'objectif poursuivi par le Gouvernement en termes de protection et de respect des forces de l'ordre. Je les ai donc accueillies favorablement.

Le projet de loi comporte d'autres dispositions ajustant des mesures d'ores et déjà en vigueur.

Nous entendons ainsi compléter des dispositions de la loi dite « Savary », du 22 mars 2016, relative à la prévention et à la lutte contre les incivilités, contre les atteintes à la sécurité publique et contre les actes terroristes dans les transports collectifs de voyageurs. Il s'agit de tirer toutes les conséquences des enquêtes administratives concernant des salariés occupant des emplois en lien direct avec la sécurité des personnes au sein de certaines entreprises de transport.

Par ailleurs, nous souhaitons améliorer l'articulation entre les procédures judiciaires et les mesures administratives, qui permettent de contrôler les personnes ayant rejoint ou cherché à rejoindre un théâtre d'opérations terroristes à l'étranger, dans des conditions susceptibles de les conduire à porter atteinte à la sécurité publique lors de leur retour sur le territoire français. Des dispositions ont également été introduites pour permettre l'inscription au fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions terroristes (FIJAIT) des personnes condamnées pour la violation de cette mesure de contrôle. Les sénateurs ont introduit des possibilités bienvenues de partage encadré de l'information entre autorités judiciaires et autorités administratives.

Enfin, nous prévoyons d'ouvrir, en l'encadrant strictement, la possibilité d'un armement des agents de sécurité privée exerçant des activités de protection des personnes, lorsque celles-ci sont exposées à des risques exceptionnels d'atteinte à leur vie ou à leur intégrité physique.

Des dispositions ont été introduites créant une filière privée de surveillance armée. Le Gouvernement ne s'y est pas opposé s'agissant de dispositions fixant un cadre très strict d'exercice de cette activité sous le contrôle de l'autorité administrative et n'induisant pas de confusion entre les missions des uns et des autres.

Le projet de loi contient également deux articles qui concernent plus particulièrement le ministère de la justice, et un article relevant du ministère de la défense.

Concernant la justice, le texte prévoit tout d'abord d'étendre les prérogatives de certains agents de l'administration pénitentiaire, afin de leur permettre d'exercer des missions de contrôle et de surveillance autour des établissements pénitentiaires. Cette mesure doit permettre de mieux lutter contre l'introduction illicite d'objets dans les prisons. Cette disposition répond à une logique d'efficacité et de complémentarité avec l'action des services de police et de gendarmerie dans la lutte contre ces actes de délinquance.

Par ailleurs, nous proposons d'élargir, à titre expérimental, pour trois ans, les missions de la protection judiciaire de la jeunesse, afin de lui permettre d'intervenir dans la prise en charge, au titre de l'assistance éducative, de certains mineurs, notamment ceux qui reviennent d'Irak ou de Syrie, qui devront intégrer des dispositifs adaptés.

L'article qui concerne le ministère de la défense porte sur le service militaire volontaire et vise à créer un statut spécifique combinant celui de militaire et celui de stagiaire de la formation professionnelle.

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