Intervention de Jean Grellier

Réunion du 21 février 2017 à 17h45
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean Grellier :

Comme vous l'avez rappelé, ce groupe de travail a été mis en place à l'initiative de la commission des affaires économiques et de la commission des finances. Il avait aussi pour particularité d'associer les représentants du monde industriel, notamment à travers le Groupement des fédérations industrielles (GFI), le Cercle de l'industrie et l'Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM).

Son objectif était de traiter de manière transversale les problématiques industrielles de notre pays et de faire quelques propositions afin de mieux définir la priorité donnée à l'industrie et de mieux intégrer cette priorité dans les politiques publiques. Nous avons conduit huit auditions, qui nous ont permis d'entendre les principaux partenaires oeuvrant dans le domaine de la production industrielle et de dresser un constat clair.

Une démarche structurée a été engagée en faveur de l'industrie et a évolué positivement durant le quinquennat en cours. Rappelons qu'après les états généraux de l'industrie qui avaient été organisés par la précédente majorité, la Conférence nationale de l'industrie a été transformée en Conseil national de l'industrie (CNI) par M. Jean-Marc Ayrault, alors Premier ministre.

Dès sa mise en place, en 2012, le CNI s'est structuré en quatorze comités stratégiques de filière, chacun d'eux passant un contrat avec l'État afin de conduire des actions visant à renforcer tous les acteurs des filières et à mettre en place les restructurations nécessaires au développement et à la pérennité des activités industrielles. Cette démarche s'est appuyée sur un dialogue social de qualité, que permet la composition du CNI. Ce dernier a aussi entrepris des travaux sur des questions transversales à toutes les filières, qu'il s'agisse de l'économie circulaire, du financement des entreprises ou encore de la formation. Chaque année, un rapport complet présente les actions conduites par le CNI et avance des propositions dont la mise en oeuvre ultérieure dépend de l'action publique.

L'Assemblée nationale et le Sénat n'avaient que deux représentants au CNI lors de la création de cette structure. Après de nombreuses demandes adressées au ministre du redressement productif puis au ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, le principe d'un référent parlementaire pour chaque comité stratégique de filière a été retenu. Ces référents sont désignés par la commission des affaires économiques. La présence de parlementaires au sein du CNI constitue une réelle avancée dans certains comités de filière dans lesquels les relations entre le référent parlementaire et le vice-président en charge du comité stratégique concerné se sont développées. Dans d'autres comités stratégiques, ces relations sont plus difficiles, voire inexistantes.

L'objectif demeure néanmoins de renforcer les liens entre les acteurs industriels et l'Assemblée nationale afin d'assurer une plus grande efficacité des politiques industrielles. Un meilleur dialogue entre parlementaires et industriels permettrait également de faire en sorte que les débats au sein du CNI puissent irriguer les territoires. Dans ce cadre, il est nécessaire de veiller à la juste déclinaison de la politique industrielle nationale au niveau des schémas de développement économique des régions, particulièrement depuis l'adoption de la loi NOTRe, portant nouvelle organisation territoriale de la République, qui renforce les compétences économiques des régions.

Parallèlement aux actions conduites par le CNI, le ministère du redressement productif a, en 2013, défini trente-quatre plans industriels qui se sont intégrés, dans un premier temps, dans le concept de la Nouvelle France industrielle. Ce concept visait à réunir, au sein d'un plan industriel, tous les acteurs intéressés à son développement et à sa mise en oeuvre, et cela sous l'égide d'un chef de file déjà responsable industriel. Par la suite, ces trente-quatre plans industriels ont été restructurés en neuf solutions industrielles s'intégrant cette fois dans l'Alliance nationale pour l'industrie du futur. On avait en effet constaté que certains de ces plans initiaux étaient complémentaires et qu'il était intéressant de renforcer la coopération entre eux.

Les neuf solutions industrielles permettent d'envisager cette industrie du futur qui concerne de nombreux secteurs, notamment ceux de la mobilité, de la construction, de la santé, de l'alimentation et du numérique. Les projets correspondant à chacune des solutions sont financés dans le cadre du programme d'investissement d'avenir. Ils ont pour but d'initier de nouvelles activités industrielles ou de renforcer celles qui existent.

Rappelons que les pôles de compétitivité continuent d'exercer leur mission dans une dimension internationale, nationale ou territoriale, et que les centres techniques industriels, plus ou moins liés à des filières, jouent un rôle très important.

Cette évolution structurelle récente montre que l'État entend soutenir la ré-industrialisation du pays et surtout faire de la production industrielle une priorité pour les années à venir, compte tenu de son impact sur l'économie générale du pays. La puissance publique devra cependant continuer à s'assurer que toutes ces structures soient pertinentes et complémentaires. L'État doit également avoir une stratégie industrielle cohérente, en utilisant notamment ses différentes participations financières. Lors des auditions, nous avons constaté l'utilité de ces différentes structures mais aussi la nécessité de les faire évoluer en permanence afin de répondre aux défis des mutations liées au développement du numérique, à l'automatisation, à la robotisation, ou encore à la transition énergétique et écologique de notre économie.

Signalons aussi des mesures qui ont eu un impact positif sur la compétitivité de nos entreprises industrielles : le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), le renforcement du crédit d'impôt recherche (CIR), le pacte de responsabilité et de solidarité.

Cependant, le temps industriel est long. Il peut s'écouler cinq à dix ans entre une décision politique, même positive, et ses retombées économiques, ainsi que l'a souligné M. Louis Gallois à maintes reprises. Les auditions ont permis de se rendre compte de la nécessité de tenir un discours positif sur l'industrie, jalon essentiel de notre développement économique, et d'incarner ce discours au plus niveau de l'État, comme le disait l'économiste M. Jean-Hervé Lorenzi. Il faut donc continuer à renforcer et structurer les relations entre le Parlement et les acteurs industriels.

À l'issue de nos travaux, nous avons pu définir des propositions qui pourraient faire l'objet de débats au sein de notre Assemblée et dont certaines mériteraient d'être mises en oeuvre par la Gouvernement. Comme vous pouvez le constater dans le document qui vous a été remis, nos propositions se répartissent en trois chapitres : la gouvernance, la formation, la fiscalité.

En matière de gouvernance, nous faisons six propositions.

Première proposition : conforter le rôle et les moyens du CNI et améliorer la diffusion de ses propositions, notamment grâce à la création d'un groupe de travail parlementaire transversal et permanent sur l'industrie. Personnellement, je pense que nous aurions intérêt à restructurer tous les groupes d'étude relatifs à des filières industrielles en une structure plus consistante, qui pourrait être l'interlocutrice permanente du CNI.

Deuxième proposition : renforcer l'articulation entre la stratégie industrielle au niveau national et les actions conduites par les régions et les métropoles, en particulier celles qui sont inscrites dans les schémas régionaux de développement économique, d'innovation et d'internationalisation (SRDEII), qui sont en cours d'adoption.

Troisième proposition : renforcer l'Alliance pour l'industrie du futur en la dotant des moyens humains nécessaires, ce qui pourrait passer par l'élaboration de contrats de mise à disposition d'industriels auprès d'elle. Il est important de rappeler le leadership des industriels en la matière. Il faudrait aussi renforcer la collaboration entre l'Alliance pour l'industrie du futur et le CNI afin d'accompagner la structuration et la digitalisation des filières industrielles. De même, il faudrait créer davantage de synergies avec d'autres acteurs européens comme l'Industrie 4.0 en Allemagne ou avec l'initiative de la Commission européenne en faveur de la numérisation de l'industrie. Enfin, il faudrait faire de la normalisation un axe différenciateur pour l'espace européen au niveau mondial. À notre avis, la question des normes doit désormais être traitée au niveau européen.

Quatrième proposition : promouvoir auprès de nos partenaires européens un cadre politique et réglementaire commun qui comporte un soutien fort à la recherche et au développement ainsi qu'à l'innovation et à l'investissement, qui comprenne des mesures sectorielles adaptées aux spécificités des filières industrielles, et qui intègre l'impératif de compétitivité industrielle dans les différentes politiques transversales.

Cinquième proposition : mettre en place une commission de la transition énergétique juste, sur le modèle allemand, associant industriels, partenaires sociaux et acteurs publics. Elle serait chargée de définir un contrat de transition écologique, partagé et négocié, qui s'attacherait notamment à la reconversion des salariés des secteurs devenus moins rentables – notamment les industries du charbon. Il nous semble que cette mutation peut constituer une première étape dans la lutte de l'ensemble des secteurs industriels contre les émissions de carbone.

Sixième proposition : renforcer les moyens de Bpifrance, en particulier ceux qui sont consacrés aux activités de garantie et de soutien à l'innovation ; fixer le plancher des aides à l'innovation à 200 millions d'euros annuels ; renforcer les moyens des fonds consacrés au retournement d'entreprises industrielles en difficulté afin d'atteindre une force de frappe cumulée de 500 millions d'euros minimum. Il faudrait aussi donner à Bpifrance les moyens d'aider les nombreuses startups françaises à franchir avec succès « la vallée de la mort », c'est-à-dire le cap de la phase de lancement. Au cours des auditions, nous avons pu constater que notre pays est performant dans la création de startups mais qu'il a ensuite des difficultés à accompagner ces entreprises vers la réalité de la production industrielle et elles sont souvent rachetées par des pays plus offensifs en la matière.

Nos quatre propositions suivantes concernent le domaine de la formation.

Septième proposition : s'appuyer sur les travaux du CNI pour élaborer un diagnostic partagé des besoins en formation de l'industrie en tenant compte des spécificités des bassins d'emploi. Les filières industrielles mériteraient ainsi d'être davantage représentées au sein des campus des métiers qui regroupent différents acteurs autour d'une filière économique sur un territoire, notamment les acteurs de la formation, les laboratoires de recherche et les entreprises.

Huitième proposition : renforcer le lien entre formation et débouchés, en associant les filières industrielles et les ministères chargés de l'éducation et de l'emploi. Lors de la remise du rapport sur la formation, les ministres étaient présents et tout le monde a pris conscience de la nécessité de faire évoluer les formations. Cependant, les freins sont nombreux. La semaine dernière, lors de la table ronde organisée par notre commission sur l'avenir de l'industrie du médicament en France, nous avons pu nous rendre compte que les formations manquent dans certains secteurs, qui seront les plus performants à l'avenir.

Neuvième proposition : réformer et développer l'apprentissage en rapprochant fortement les lycées professionnels et les centres de formation, en instaurant une gouvernance claire entre les entreprises, les régions et l'État, et en simplifiant le système de financement de l'apprentissage, notamment en permettant aux entreprises qui atteignent l'effectif d'alternants requis par la loi d'affecter plus librement leur taxe d'apprentissage.

Dixième proposition : mieux accompagner les mutations économiques en renforçant les outils d'anticipation et d'accompagnement tels que les cellules de reconversion financées par le ministère du travail et de l'emploi ou les fonds de retournement contrôlés par Bpifrance.

La formation est un chantier dont l'importance a été encore rappelée ce matin par la quasi-totalité des personnes qui participaient aux septièmes Rencontres de l'industrie sur le thème « Quelle industrie pour demain ? ». Il faut vraiment accélérer l'adaptation de la formation aux besoins de ces industries.

Nos dernières propositions se rapportent à la fiscalité.

Onzième proposition : prévoir une saisine du CNI par le Gouvernement, portant sur la nécessaire refonte de la fiscalité des entreprises. Le CNI se prononcerait sur les différents scénarios permettant, dans un esprit de péréquation, de répartir le plus équitablement possible les prélèvements sur lesquels repose notre système de protection sociale, afin de ne plus faire financer l'ensemble des prestations universelles ou de solidarité par des cotisations assises spécifiquement sur les revenus d'activité.

Douzième proposition : pour stimuler l'investissement, il faudrait accroître la visibilité de moyen et long termes des industriels en stabilisant les dispositifs fiscaux incitatifs les plus efficaces. On pourrait ainsi envisager la pérennisation, au-delà du 14 avril 2017, du dispositif d'aide à l'investissement productif qu'est le suramortissement, ainsi que la pérennisation du CIR et du crédit d'impôt innovation.

Voilà les conclusions du groupe. À ceux qui participaient ce matin aux septièmes Rencontres de l'industrie, j'indique que nos propositions ne détonnent pas avec les discours ambiants sur l'ensemble des problématiques industrielles qui doivent être une priorité nationale. On peut regretter que les activités productives et industrielles ne soient pas forcément mises en exergue dans les débats concernant les élections présidentielles et législatives. Il faudrait sans doute rectifier le tir.

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