Intervention de Nicolas de Rivière

Réunion du 23 juillet 2014 à 11h00
Commission des affaires étrangères

Nicolas de Rivière, directeur général des affaires politiques et de sécurité du ministère des Affaires étrangères et du Développement international, sur la crise au Proche-Orient et en Ukraine :

Je suis tout à fait ouvert à la contradiction : nous avons tous à gagner du débat entre l'exécutif et le législatif.

L'objectif commun de la communauté internationale est de parvenir le plus vite possible à un cessez-le-feu sur le terrain. Le Conseil de sécurité s'est notamment exprimé. C'est important, car il est composé de quinze membres – notamment des cinq membres permanents – qui ont des visions différentes. En ce moment, les pays arabes y sont représentés par la Jordanie. Les Palestiniens passent par elle pour faire valoir leur point de vue. Le Conseil a déjà fait une déclaration appelant à un cessez-le-feu et à une reprise des discussions politiques, mais les Palestiniens souhaitent une résolution, qui sera présentée prochainement. Le Secrétaire général des Nations unies s'est rendu dans la région et a poussé, de manière très active, à un cessez-le-feu.

De même, le secrétaire d'État américain est sur place depuis lundi : il s'est d'abord rendu en Égypte et arrive aujourd'hui en Israël. La diplomatie américaine fournit un effort majeur pour convaincre les parties de s'asseoir de nouveau autour de la table.

Il convient malheureusement de relever, comme vous l'avez fait, madame la présidente, que l'Union européenne est assez peu présente pour le moment dans la gestion de cette crise. Il faut dire que les vingt-huit n'ont pas toujours une position unanime ni très solide sur le sujet. Néanmoins, le débat au Conseil Affaires étrangères a été relativement consensuel hier. Les ministres des affaires étrangères européens et Mme Ashton sont tous tombés d'accord pour appeler à une interruption de la crise actuelle à Gaza, à un cessez-le-feu et à une reprise du processus politique. Il y a eu un débat sur le point de savoir s'il convenait, en outre, de rappeler les paramètres d'un règlement politique tels que les conçoivent les pays de l'Union européenne. La France a plaidé en ce sens et c'est ce qui a été fait.

Enfin, à la demande du groupe arabe, le Conseil des droits de l'homme examinera aujourd'hui, au cours d'une session spéciale à Genève, un projet de résolution tendant à créer une commission d'enquête internationale sur les événements en cours. Les Israéliens y sont opposés, de la même manière qu'ils avaient rejeté les efforts de Richard Goldstone il y a quelques années. Hier soir, les Palestiniens se sont dits prêts à accepter une commission mixte qui enquêterait sur les différents aspects de la crise, y compris sur l'action du Hamas. Cependant, les Israéliens n'ont pas infléchi leur position. La Haute Commissaire aux droits de l'homme a fait elle aussi des déclarations sur la situation à Gaza.

S'agissant de la crise en Ukraine, je ne reviens pas sur ses origines, mais plutôt sur la situation telle qu'elle se présente aujourd'hui. La crise était déjà très grave il y a une dizaine de jours, mais l'attentat contre l'avion de Malaysian Airlines lui a fait prendre une autre dimension. C'était frappant hier à Bruxelles au cours de la matinée que le Conseil Affaires étrangères a consacré à ce sujet : les Pays-Bas, auparavant dans le camp des modérés qui ne souhaitaient pas en rajouter en termes de pressions et de sanctions à l'égard de la Russie, ont plaidé dans le sens opposé, pour des raisons évidentes. Le ministre néerlandais Frans Timmermans revenait d'ailleurs de New York, où le Conseil de sécurité venait d'adopter la résolution demandant une enquête internationale. Du fait de la destruction de l'avion, le centre de gravité au sein de l'Union se déplace dans le sens d'une fermeté accrue à l'égard de la Russie et d'une détermination croissante à lui appliquer des sanctions économiques.

Deux sujets interfèrent : la question de la coopération à l'enquête sur le crash et la gestion d'ensemble de la crise ukrainienne. L'urgence, c'est évidemment de traiter les suites de la destruction de l'avion. Comme vous l'avez indiqué, madame la présidente, le Conseil de sécurité a adopté avant-hier une résolution qui exige une pleine coopération de tous – autorités russes et ukrainiennes, séparatistes – avec les enquêteurs. Les choses avancent plutôt dans le bon sens : les enquêteurs néerlandais ont pu se rendre sur place et, après plusieurs jours pendant lesquels les séparatistes pro-russes ont refusé toute coopération et se sont comportés de manière scandaleuse, ainsi que la presse l'a rapporté en détail, la plupart des corps ont été transportés à Kharkov, puis à Amsterdam. L'émotion est forte dans les États membres – Pays-Bas, Royaume-Uni, Belgique – qui ont perdu des ressortissants dans le crash.

L'enquête va donc pouvoir commencer, mais la difficulté est d'ordre temporel : tous les experts estiment qu'il faudra des semaines, voire des mois pour la mener à bien. En outre, le ministre des affaires étrangères polonais Radosław Sikorski a expliqué hier que les Russes avaient depuis quatre ans une attitude non coopérative l'enquête sur le crash de l'avion du président Kaczyński en 2010, alors même qu'il s'agissait non pas d'un attentat, mais d'un accident. En l'espèce, le degré de coopération tant de la Russie que des séparatistes qui en dépendent plus ou moins risque donc d'être faible, et l'enquête sera longue et difficile. Nous devons donc agir en parallèle pour trouver une sortie de crise rapide. Deux scénarios sont possibles : soit la destruction de l'avion amènera les autorités russes à exercer davantage leur influence sur les séparatistes et à progresser vers une sortie de crise, soit il aura l'effet inverse. Pour l'instant, nous ignorons lequel de ces deux scénarios va l'emporter.

Les États-Unis et l'Union européenne s'orientent vers des pressions accrues sur la Russie. Les Américains ont adopté la semaine dernière une série de sanctions supplémentaires à l'égard de divers oligarques, banques et entités russes. Ils exercent une très forte pression pour que l'Union Européenne fasse de même. Les sanctions américaines et européennes ne sont donc pas en totale adéquation.

De manière schématique, il y a un consensus des vingt-huit États membres sur l'utilité des sanctions – tous conviennent qu'elles ont eu un effet : sans elles, les dirigeants russes se seraient très probablement sentis plus libres d'agir –, le débat portant plutôt sur l'opportunité et la manière de les accroître. Au début de la crise, les Européens ont distingué trois niveaux de sanctions : les mesures individuelles appliquées actuellement relèvent de la phase 2 ; les sanctions économiques plus générales font partie de la phase 3. À l'origine, il n'était envisagé de passer à la phase 3 qu'en cas d'acte extrêmement grave, notamment si l'armée russe envahissait l'est de l'Ukraine. Cette approche n'est plus d'actualité : les Européens considèrent désormais possible de passer à la phase 3 même sans invasion physique de l'Ukraine par la Russie. Hier, le Conseil Affaires étrangères a évoqué un éventail de sanctions économiques sectorielles – relevant donc de la phase 3 – dans les domaines de la défense, des nouvelles technologies sensibles et à double usage, de l'énergie et des marchés bancaires et financiers.

Comme toujours lorsqu'il est question de sanctions au niveau européen, la discussion est délicate. Les conclusions du Conseil pouvaient donc soit s'en tenir à une formule générique, soit préciser tous les domaines dans lesquels l'Union était prête à envisager des sanctions. À la suite de cette prise de position française, cette seconde solution a été retenue.

Le COREPER a été chargé d'étendre la liste des personnes et des entités qui font l'objet de sanctions individuelles dans le cadre juridique déjà agréé de la phase 2. Sa réunion de demain sera sans doute décisionnelle sur ce point. En revanche, elle ne sera sans doute pas conclusive sur les mesures économiques sectorielles relevant de la phase 3, qui sont du ressort du Conseil européen.

La France est très mobilisée, depuis l'origine, sur la gestion de la crise ukrainienne. Une dynamique assez positive s'est engagée lors de la commémoration du Débarquement le 6 juin dernier : le président de la République a pu réunir les présidents américain, russe et ukrainien en Normandie. Depuis lors, M. Hollande et Mme Merkel téléphonent tous les deux jours à MM. Poutine et Porochenko. Au-delà de ces discussions quadripartites, un dialogue direct s'est établi entre les Russes et les Ukrainiens, notamment au niveau des présidents. Mais ces contacts, certes positifs, ne permettent guère d'avancer sur le plan politique pour le moment : ils n'ont pas débouché sur grand-chose de concret dans le Donbass – que les Ukrainiens ont repris militairement en grande partie, mais pas en totalité, Donetsk restant sous le contrôle des séparatistes. De manière assez classique, les Russes jouent manifestement un double jeu, sans même parler de la désinformation généralisée à laquelle ils nous ont habitués.

Il est trop tôt pour tirer toutes les conséquences de la crise ukrainienne, notamment en termes d'architecture internationale de sécurité. Lors du sommet de l'OTAN qui se tiendra au début du mois de septembre au Pays de Galles, pour lequel on cherchait un ordre du jour, la relation avec la Russie et avec l'Ukraine sera au centre des discussions. C'est d'ailleurs un danger, l'OTAN étant un outil essentiel pour apporter des garanties à nos alliés et à nos amis, mais pas nécessairement l'instrument le plus pertinent pour régler politiquement la crise ukrainienne.

S'agissant de l'Union européenne, en dépit de la discussion que j'ai décrites à propos des sanctions, elle est relativement unie sur le sujet et parvient à mettre en oeuvre une politique. Les sanctions, je le répète, ont eu un effet sur les autorités russes. Néanmoins, c'est la diplomatie bilatérale ou ad hoc – les échanges directs entre Américains et Russes, les démarches en franco-allemand – qui marche le mieux. Cela doit inciter l'Union européenne à penser de manière plus stratégique sa relation avec la Russie.

Quant au Conseil de sécurité, il est ainsi composé et fonctionne de telle manière que l'accord des Russes est indispensable si l'on souhaite agir de manière collective dans le respect du droit international, notamment si l'on cherche à obtenir un mandat pour recourir à la force de manière légale. L'universalité, qui fait la grande force des Nations unies, fait aussi leur faiblesse. Nous l'avons vu avec le blocage complet sur la Syrie. Et pour tout ce qui concerne l'« étranger proche », les Nations unies sont par hypothèse neutralisées. Néanmoins, au moment de l'invasion de la Crimée, nous sommes parvenus à susciter un veto de la Russie, qui s'est trouvée totalement isolée compte tenu de l'abstention chinoise : nous avons ainsi brisé l'entente sino-russe sur cette question. En outre, à l'Assemblée générale, où aucun État ne dispose du droit de veto, les Russes ont été très largement battus. Toutefois, les résolutions de l'Assemblée générale n'ont guère de force exécutoire, et il est difficile d'aller au-delà. Il n'en demeure pas moins que la situation de la Crimée n'a pas changé, même si l'on en parle moins aujourd'hui : son annexion par la Russie est et restera illégale au regard du droit international.

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