Intervention de Nicolas de Rivière

Réunion du 23 juillet 2014 à 11h00
Commission des affaires étrangères

Nicolas de Rivière, directeur général des affaires politiques et de sécurité du ministère des Affaires étrangères et du Développement international, sur la crise au Proche-Orient et en Ukraine :

La sécurité et la survie de la Jordanie sont un enjeu stratégique majeur, notamment pour Israël. Il est essentiel d'aider la Jordanie à traverser cette crise.

Monsieur Vauzelle, le conflit israélo-palestinien nous menace en effet directement. Il y a d'ailleurs là un paradoxe. Certains observateurs le qualifient de conflit de basse intensité : en dépit de son caractère tragique, il fait beaucoup moins de victimes que les crises africaines, par exemple en Somalie ou en République démocratique du Congo. Cependant, d'un point de vue politique et stratégique, son impact est sans commune mesure avec ces données quantitatives. Il est donc d'autant plus nécessaire de le régler.

Quant aux paramètres du règlement, ils sont identifiés depuis longtemps. La difficulté vient, d'un côté, des extrémistes, en particulier du Hamas, et, de l'autre – je le dis avec prudence et de manière nuancée –, du fait qu'Israël estime que les avantages qui résulteraient des concessions majeures auxquelles il consentirait pour obtenir une paix perpétuelle avec la Palestine ne l'emportent pas à ce stade sur les inconvénients, y compris en termes de politique intérieure. D'où la poursuite de la colonisation par Israël et l'absence de progrès dans le cadre du processus amorcé par les Américains ces derniers mois. Dans ce contexte, nous sommes à la merci d'un incident tel que celui qui s'est produit il y a quelques semaines, mais cela aurait pu aussi bien en être un autre.

Il faut souhaiter que la crise actuelle cesse comme celle de 2009 avait fini par le faire, afin que l'on puisse faire asseoir les parties autour de la table et que les pressions nécessaires puissent être exercées. En 1990 et 1991, après la première guerre du Golfe, Yitzhak Shamir avait fini par négocier sous la pression de l'administration Bush père, notamment de James Baker. Un effort collectif et concerté est nécessaire. À ce stade, il n'y a plus vraiment de direction palestinienne – M. Abbas est très affaibli – et les dirigeants israéliens ne sont pas dans un état d'esprit très favorable.

Avec l'Iran, nous sommes entrés dans une nouvelle phase de négociation en novembre 2013. Depuis lors, nous avons eu six mois de négociation très intense. Nous n'avons pas arrêté les pendules : nous nous sommes donné jusqu'au 24 novembre 2014 pour trouver un accord, ce qui fera, au total, une année complète, ainsi que cela était prévu dans le plan d'action agréé par les « 5 + 1 » et l'Iran en novembre 2013. Cette décision a été relativement consensuelle.

Nous avons fait quelques progrès dans la négociation, mais nous sommes encore très loin du compte, notamment sur la question des capacités d'enrichissement, comme le relèvent très justement les médias. L'Iran souhaite obtenir la levée de toutes les sanctions en échange d'un statu quo, c'est-à-dire d'un maintien de ses capacités d'enrichissement à leur niveau actuel pendant sept ou huit ans. Pour leur part, les « 5+1 », notamment les États-Unis et la France, considèrent que, pour obtenir la levée de toutes les sanctions, l'Iran doit accepter de réduire ses capacités d'enrichissement de manière drastique, jusqu'à un niveau résiduel, de telle sorte que le délai de sécurité avant qu'il ne puisse relancer un programme militaire sérieux soit supérieur à un an.

Il reste donc quatre mois de négociations, qui seront probablement rudes. Il faudrait un changement de position assez important de la part de l'Iran pour que l'on parvienne à un accord. Néanmoins, toutes les parties souhaitent aboutir.

En ce qui concerne le crash de l'avion de Malaysian Airlines en Ukraine, le président de la République a déclaré la semaine dernière qu'il fallait non pas des hypothèses, mais des faits. Nous avons bon espoir que les choses évoluent dans cette direction : les boîtes noires, que l'on croyait parties à Moscou, auraient été récupérées par les Néerlandais. Souhaitons que l'enquête puisse se dérouler dans de bonnes conditions et qu'elle permette de réunir des preuves. Comme je l'ai indiqué, il est cependant à craindre que la Russie et ses relais en Ukraine ne coopèrent guère à cette enquête. En tout cas, celle-ci va être très longue et compliquée. Il est donc prématuré d'affirmer des choses définitives. Et il ne faut pas subordonner la gestion de la crise ukrainienne à l'obtention des preuves.

Les risques d'extension de la crise à la Biélorussie, à la Géorgie ou à la Moldavie ne sont pas nuls. Les pressions accrues sur la Russie visaient précisément à marquer un coup d'arrêt, ce qui semble avoir réussi pour l'instant. S'il n'y avait eu aucune réaction de la part des États-Unis et de l'Union européenne, la Russie serait probablement intervenue de manière beaucoup plus active dans la région.

Nous allons interroger la DGAC pour savoir quelle a été sa position dans le cadre d'Eurocontrol. Manifestement, il n'y avait pas d'interdiction de survoler l'est de l'Ukraine. Les compagnies aériennes disposaient donc d'une marge d'appréciation : certaines ont alors décidé de ne pas survoler cette zone, d'autres non, telle Malaysian Airlines.

Air France est une compagnie privée qui fait ses propres choix. Elle a décidé de ne plus atterrir à Tel Aviv pour des raisons qui lui appartiennent, à l'issue d'une analyse des risques. Elle n'est d'ailleurs pas la seule compagnie à avoir pris cette mesure. Elle a probablement tenu compte du contexte politique général, notamment du crash de l'avion de la Malaysain Airlines. Quant aux retombées économiques, je ne suis pas en mesure de les évaluer. Sans doute y aura-t-il des pertes tant pour les compagnies aériennes que pour les Israéliens, qui ont exprimé leur mécontentement. Souhaitons qu'un cessez-le-feu intervienne le plus rapidement possible et qu'Air France puisse reprendre ses vols.

Les sanctions contre la Russie fonctionnent, mais nous devons procéder de manière graduelle : l'approche française consiste à ne pas déployer immédiatement tout l'éventail des sanctions.

L'Union européenne apporte une assistance considérable à l'Ukraine : 365 millions d'euros au titre des mesures immédiates qui ont été annoncées le 29 avril dernier ; 1,6 milliard d'euros de prêts ; 11 milliards d'euros au total dans les prochaines années. Les États-Unis ont débloqué 1 milliard de dollars, et le Canada contribue également. Néanmoins, cette aide massive ne doit pas empêcher l'Ukraine d'accomplir elle-même des efforts pour améliorer sa gouvernance et pour lutter contre la corruption.

Pour ce qui est de la relation avec la Russie, il n'y a guère d'autre choix que celui qu'a fait la France : poursuivre le dialogue. Ainsi, le président de la République a invité le président Poutine aux commémorations du Débarquement. Refuser le dialogue et ostraciser la Russie serait sans doute une erreur majeure. En même temps, il convient d'être d'une grande fermeté et d'adopter des sanctions à son égard lorsque cela s'avère nécessaire.

Les dirigeants et certaines entreprises russes prétendent n'avoir que faire des sanctions, mais celles-ci ont pourtant un effet assez sérieux. Comme toutes les sanctions appliquées à des pays avec lesquels l'Union européenne a des relations étroites, elles ont aussi un effet sur les États membres eux-mêmes, d'autant que la Russie a adopté des mesures de rétorsion. Cependant, ne perdons pas de vue que les sanctions nuisent bien davantage aux intérêts russes qu'à nos propres intérêts. Le Quai d'Orsay, la direction générale du Trésor et les autres administrations françaises veillent scrupuleusement à maximiser les dommages pour la Russie et à les minimiser pour la France. Nous tenons d'ailleurs le même raisonnement à l'échelle de l'Union européenne : M. Fabius a insisté pour que le fardeau soit équitablement partagé entre tous les États membres dans le cas où l'Union adopterait des sanctions économiques contre Moscou.

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