Intervention de Jean-Yves Le Bouillonnec

Séance en hémicycle du 10 juillet 2013 à 15h00
Attributions du garde des sceaux et du ministère public en matière de politique pénale et d’action publique. — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République :

Notre commission s'est également attachée à organiser, dans un souci de transparence, l'information des magistrats et, plus largement des citoyens, sur l'application de la politique pénale sur l'ensemble du territoire.

En première lecture, par cohérence avec l'information annuelle du Parlement au niveau national, notre commission avait estimé nécessaire d'organiser, au niveau local, l'information annuelle de l'ensemble des magistrats de la cour d'appel et du tribunal de grande instance sur l'application, dans leur ressort, de la politique pénale.

Estimant que ces modalités d'information relevaient non pas du domaine législatif, mais de la partie réglementaire du code de l'organisation judiciaire, le Sénat a supprimé ces dispositions, invitant par la même occasion le Gouvernement à les mettre en oeuvre par voie réglementaire.

Afin de conserver le principe d'une information annuelle des magistrats, au niveau local, sur la politique pénale conduite dans chaque ressort, ce que je considère comme important, et tout en répondant aux observations légitimes des sénateurs, notre commission a adopté, en deuxième lecture, un amendement qui vise à faire peser sur les procureurs généraux et les procureurs de la République une seule obligation de résultats – à savoir informer, au moins une fois par an, les magistrats du siège et du parquet de l'application de la politique pénale. Il ne s'agit donc, en aucun cas, d'une obligation de moyens, dans la mesure où le projet de loi n'entend pas préciser les modalités de mise en oeuvre de cette information, renvoyant ainsi implicitement au pouvoir réglementaire le soin de les définir.

Mais la connaissance de la politique pénale ne peut pas, à mon sens, être réservée à la seule représentation nationale et aux seuls magistrats : elle doit au contraire être ouverte à tous les justiciables. C'est le sens du débat qui s'est engagé avec vous, madame la garde des sceaux.

Je considère en effet que la fin du soupçon implique que chaque citoyen puisse avoir connaissance des choix de politique pénale arrêtés par le ministre de la justice et qui seront désormais débattus, chaque année, au Parlement.

C'est dans ce souci de transparence – souci qui a constamment guidé nos travaux – que notre commission avait, sur ma proposition, inscrit en première lecture, dans la lettre même du code de procédure pénale, le principe de la publicité des instructions générales de politique pénale adressées par le garde des sceaux. Le Sénat n'a toutefois pas souhaité retenir cette publicité. Loin d'y être hostile par principe, le rapporteur du Sénat a notamment estimé que les instructions générales doivent pouvoir être rendues publiques, sauf si l'intérêt général s'y oppose.

Considérant les précautions que vous avez souhaité prendre et conscient des difficultés que peut poser le contenu de certaines instructions, j'ai pensé que nous pourrions réaffirmer le principe de publicité des circulaires de politique pénale, tout en veillant à l'encadrer : ainsi, cette publicité pourra être écartée lorsqu'elle risque de porter atteinte à la sûreté de l'État, à la sécurité publique, au déroulement des procédures engagées ou des investigations préliminaires à ces procédures. Voilà la proposition que j'avais faite pour faire un pas vers le Sénat en prenant en compte votre dispositif. Je reconnais qu'en altérant ainsi le principe de publicité, j'ouvre, comme on le sait très bien en droit, toutes les hypothèses de contestation – vous avez évoqué le débat il y a quelques instants.

Vous avez déposé, madame la garde de sceaux, un amendement visant à supprimer cette partie du dispositif. Je me suis permis de demander à la commission de repousser cet amendement, non par principe, mais parce que je considère comme loyal à l'égard des membres de la commission de ne pas reprendre un débat clôturé par le vote que je lui avais proposé. Néanmoins, nous devrons avoir ce débat en séance publique, débat qu'il faut envisager avec l'intelligence dont le Parlement doit faire preuve et notamment notre assemblée. Nous allons donc étudier la manière dont l'amendement que vous déposez peut ou non être retenu, compte tenu des difficultés que vous avez évoquées.

Enfin, notre commission a voulu réaffirmer avec force et conviction l'exigence d'impartialité qui s'impose dans l'exercice de l'action publique. Vous avez, madame la garde des sceaux, rappelé mon attachement à ce principe : je suis de ceux qui veulent défendre le parquet à la française et je sais qu'il est critiqué, contesté, au profit d'autres systèmes juridictionnels qui tendent à s'imposer, y compris dans notre Europe. En outre, il y a dans cette contestation la remise en cause constitutionnelle de l'unité du corps des magistrats, qui comprend ceux qui jugent et ceux qui poursuivent. On a vu la Cour de cassation elle-même, excusez du peu, préférer l'approche conventionnelle à l'approche constitutionnelle. C'est un problème qui intéresse ceux qui, comme moi, aiment le débat, la controverse juridique au plus haut niveau de l'intelligence telle qu'elle est sollicitée dans nos modestes compétences, mais je reconnais aussi qu'il y a un danger pour notre pays, madame la garde des sceaux. Il ne faudrait pas qu'un jour, une question prioritaire de constitutionnalité vienne nous poser des problèmes alors que, je le rappelle, à trois reprises déjà, notre pays a été condamné pour des décisions de maintien en détention prises uniquement par le parquet.

Il faut donc que nous donnions des signes. Il y en avait un magistral, madame la garde des sceaux, et nous reprendrons l'ouvrage avec vous : la réforme du Conseil supérieur de la magistrature.

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