Intervention de Jacques Bompard

Séance en hémicycle du 7 janvier 2014 à 21h30
Agriculture alimentation et forêt — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJacques Bompard :

Messieurs les ministres, les jours des majorités parlementaires ont ceci de particulier qu’ils n’ont aucune prise sur les difficultés rencontrées par les paysans français. Si l’on faisait d’ailleurs l’anthropologie du paysan rêvé par les officines qui vous conseillent, il n’aurait ni attachement à la terre, ni amour de son métier : ignorant les lois de la nature, il serait un converti de fraîche date ahanant écologisme plutôt que savoir-faire.

Permettez-moi de vous dire que le paysan auquel vous avez pensé en rédigeant votre texte, je ne l’ai rencontré ni dans les vignes, ni dans les champs, ni dans les forêts de ma circonscription. Sans doute est-il plus souvent blotti dans un groupe de travail parisien où les bottes sont un accessoire de mode plutôt qu’un outil de travail, et où l’on n’est pas soumis aux caprices du temps.

L’agriculture, l’alimentation, la forêt sont autant de sujets qui intéressent les Français dans leur souveraineté et qui devraient respecter les lois d’une nature si souvent maltraitée par l’idéologie dominante.

La souveraineté des Français dans les choix qu’ils font, tout d’abord, tant l’origine des produits ainsi que leur correspondance avec les identités locales et les héritages familiaux en font un élément déterminant dans la vie d’un homme. La souveraineté dans la maîtrise des espaces, ensuite : c’est l’obéissance à certaines décisions aberrantes d’une Union européenne dont les racines technocratiques moquent les paysages et la cohérence locale chers à nos terroirs. La souveraineté économique et politique, enfin : l’alimentation est devenue prisonnière de monstres économiques apatrides, souvent obnubilés par les errements d’une finance dont les variations meurtrissent le paysan du Vaucluse et l’éleveur des confins de l’Afrique.

En somme, ce projet de loi agricole aborde un sujet crucial pour la politique au XXIe siècle : comment préserver la légitimité du pouvoir politique en influant sur la vie concrète de nos concitoyens, alors qu’une oligarchie ne cesse de vouloir les déposséder tant de leurs espaces de décision que de leur outil de travail ? Et pourtant, vous réitérez les erreurs dont nous ne savons que trop qu’elles heurtent la conscience des Français.

L’article 10 du texte est un véritable tournant fédéraliste où, dans un incroyable déni de démocratie, vous proposez de légiférer par ordonnance pour habiller notre droit à la mode de Bruxelles.

Votre passion de l’ordonnance, monsieur le ministre se retrouve dans l’article 24 du texte. À croire que, dans votre esprit, les députés de la nation ne seraient pas habilités à discuter des sujets nationaux !

Par l’article 33 sur la commercialisation du bois, la souveraineté sera encore piétinée pour quelque excuse européiste teintée de cette arrogance qui insupporte les peuples et qui affleure à chaque ligne d’un texte rédigé dans un babil technocratique qui le rend inaudible pour nombre de nos concitoyens – alors même que nous apprenions jadis que nul n’est censé ignorer la loi.

L’excellence de notre filière agricole n’est plus à rappeler. Près de 50 % de notre excédent commercial dans ce domaine provient de ventes à des pays extérieurs à l’Union européenne avec un savoir-faire remarquable.

La souveraineté alimentaire est un atout phare de la puissance de notre pays, alors qu’on considère que 900 millions de personnes sont aujourd’hui victimes d’insécurité alimentaire.

Bien qu’en recul, notamment face à l’Allemagne voisine, qui profite d’un coût plus faible de sa main-d’oeuvre, la France reste encore la cinquième puissance agricole du monde, mais fait face à nombre d’incohérences qui pourraient amoindrir ses succès, et ce malgré les talents que je viens de souligner. Un talent qu’on contraint jusqu’à l’absurde en légiférant pour abandonner, par exemple, le monopole de la production de semences à de grands groupes internationaux, en interdisant aux exploitants de produire leurs propres semences. Ceci constitue un véritable crime contre les paysans et les lois de la nature.

Pis, les retraites des paysans ne sont que peu évoquées dans ce texte, alors qu’elles sont, à certaines occasions, inférieures au minimum vieillesse généralement accordé aux arrivants de fraîche date.

La pression contributive trop importante, exercée sur de nombreux jeunes exploitants, est l’une des tares d’un système français qui n’est pas assez attrayant pour renouveler efficacement les paysans. C’est un courage admirable qu’il faut aujourd’hui aux jeunes agriculteurs qui prennent la décision d’embrasser ce noble métier.

Vous avez passablement assombri leur avenir en accordant, le 14 juin dernier, à la Commission européenne, un blanc-seing dans les négociations d’un traité transatlantique qui s’annonce dévastateur pour nos producteurs. Les Français en seront encore quittes pour une alimentation ramenée aux standards d’un productivisme qui uniformise les goûts, brise les héritages et convoie souvent des tonnes de produits chimiques dont consommateurs comme producteurs dénoncent les méfaits.

La doctrine du libre-échange l’aura encore emporté, aveuglant jusqu’aux études d’impact et aux réactions des peuples, alors que vous avez dû sentir, tout au long de l’élaboration de votre texte, combien les traités internationaux interdisaient toute solution pérenne et courageuse des problématiques contemporaines des paysans français.

La récente jacquerie des bonnets rouges bretons aurait pourtant dû vous alerter, monsieur le ministre, sur les mesures intelligentes qu’attendent les habitants de nos campagnes, afin que nous préservions leur emploi et leur cadre de vie : préférence nationale dans les entreprises du secteur primaire, fiscalité dérogatoire précise pour les paysans gardiens des produits locaux, organisation du maintien des services publics et de l’activité économique qui ouvrent des perspectives de vie et assurent le maillage humain de notre territoire. « Il n’est de richesses que d’hommes », disait Jean Bodin. Le manque d’incarnation de vos dispositions législatives nous fait craindre que vous n’oubliiez ce sain principe humaniste.

L’humain est d’ailleurs bien le grand absent de ce texte puisqu’un écologisme de salon vous entraîne à manier des concepts grandiloquents chéris par vos amis plutôt qu’à traiter les problématiques concrètes qui secouent le monde paysan. L’article 26 sur la formation agricole est ainsi un véritable pis-aller quand on sait que plus d’un élève sur cinq suivant un cursus de CAPA sortira sans diplôme et que vous supprimez les bourses sur arrêtés qui étaient attribuées aux élèves d’un secteur qui n’est pourtant pas le plus privilégié de France.

Il serait temps de prendre en compte la transversalité nécessaire à toute politique cohérente en matière d’agriculture : au lieu d’une parité fantasmée, vous pourriez ainsi réfléchir à la défense des écosystèmes locaux ; au lieu des comités Théodule, qui se multiplient, vous pourriez réfléchir à l’intégration de la découverte de notre riche patrimoine agricole dans les programmes d’éveil à l’école ; au lieu, finalement, de rester prisonnier de l’esprit du temps, vous pourriez revaloriser la position sociale des citoyens de nos campagnes qui sont les garants de la mise en valeur de notre territoire.

Finalement, vous répondrez sans doute que vous n’y pouvez rien puisqu’au Chant du monde du grand poète provençal Jean Giono, vous avez préféré le murmure de grandes entreprises mondialisées, toujours plus désireuses de formater les produits qu’elles déversent dans nos assiettes. Vous prétendez faire prendre un tournant écologiste à une production agricole qui ne sera plus jamais respectueuse de la nature et des hommes tant qu’elle restera déconnectée des situations locales, des traditions et de la loi des saisons, dont pourtant les Anciens nous avaient enseigné l’importance.

Comment ne pas évoquer par ailleurs le taux de suicides particulièrement élevé chez les paysans, harassés par la préférence donnée aux grands centres commerciaux contre la préservation des savoir-faire et des modes de vie ? Comment ne pas évoquer la dépossession du pouvoir étatique organisée par la signature de grands traités internationaux qui bloquent les protections douanières et réglementaires qui pourraient, par exemple, nous permettre de promouvoir nos produits phares autrement que par des appellations régionales ? C’est bien à toute une construction économique oublieuse des intérêts français et paysans qu’il faudrait s’attaquer, afin de permettre un développement écologique de notre agriculture.

Le localisme contre le productivisme, le bon sens de la réduction des intermédiaires contre la multiplication abusive des parties prenantes et du fret international, l’intérêt général contre la dictature des empires particuliers et déracinés : voilà ce qu’il faudrait vous opposer et voilà ce que crient nos campagnes si éloignées de vos Larzac idéologiques, toujours plus destructeurs pour la terre et les hommes !

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