Intervention de Laurence Tubiana

Réunion du 5 novembre 2014 à 9h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Laurence Tubiana, ambassadrice chargée des négociations sur le changement climatique, représentante spéciale pour la conférence Paris Climat :

Cette audition intervient à un moment important alors que nous nous apprêtons à honorer la mission qui a été confiée à la France de préparer et présider la conférence des parties en décembre 2015. Le travail parlementaire est essentiel car l'accord que nous allons discuter porte principalement sur les politiques nationales : la vision de l'énergie, sa consommation, sa transformation, la modernisation technologique des économies. Le débat sur le climat est moins international que national. Les parlementaires français ont donc un rôle à y jouer.

Le moment est important car chacun se souvient de Copenhague. L'Union européenne ne peut pas se permettre un échec.

Certaines choses se sont améliorées mais les forces contraires demeurent. J'observe aussi une grande lassitude de cette négociation. Un accord est indispensable pour indiquer aux partenaires économiques la transformation de l'économie qui est recherchée afin qu'ils s'y engagent résolument.

L'accord qui pourrait être annoncé le 12 décembre 2015 sera nécessairement intergouvernemental. Contrairement à Kyoto, la France a pour mandat de négocier un accord universel qui engage toutes les parties et pas seulement les pays développés.

Cet accord doit être crédible. Il ne s'agit pas d'installer un gouvernement mondial ou d'instaurer une police du climat. L'objectif est de faire converger les anticipations de tous les acteurs, en particulier les acteurs économiques, pour démontrer que la transformation économique et écologique est en marche.

L'accord doit également être dynamique. Il n'a pas vocation à régler toutes les questions jusqu'en 2050. Le cinquième rapport du GIEC réaffirme que nous devons au minimum diviser par deux les émissions mondiales de gaz à effet de serre jusqu'en 2050 pour avoir 66 % de chances de rester en dessous d'une hausse des températures de 2 °C. Nous devons à la fois définir un cadre qui va durer trente ans et prévoir des rendez-vous réguliers pour faire le point des transformations, améliorer les propositions des uns et des autres, et examiner le déploiement des technologies en fonction de l'innovation, de la baisse des coûts et de la coopération internationale.

L'accord doit en outre être solidaire. Les pays les plus pauvres sont aussi les plus affectés par le changement climatique. Lors de la réunion du 23 septembre, tous les responsables politiques ont évoqué les impacts du changement climatique qu'ils commencent à observer dans leur pays, pas seulement le Bangladesh, mais aussi l'Éthiopie, le Maroc, les petites îles ou les États-Unis.

L'accord doit « mettre sur les rails » une politique de décarbonation des économies susceptible de limiter – puisqu'il n'est pas possible de les éliminer – les effets du changement climatique.

L'accord intervient entre les États mais – c'est au moins aussi important – les sociétés civiles doivent être convaincues que l'avenir passe par une économie différente.

De nombreux acteurs peuvent s'engager aux côtés des gouvernements pour soutenir cette vision nouvelle parmi lesquels les collectivités locales et les entreprises. Les acteurs non gouvernementaux doivent être mobilisés pour appuyer et mettre en oeuvre l'accord. C'est le sens de l'Alliance pour le climat que nous souhaitons promouvoir.

Quelle que soit la forme qu'il prendra, l'accord va définir des règles et fixer des points de rendez-vous pour réévaluer et corriger les trajectoires. Parallèlement, les États vont présenter pour la période qui va débuter – l'Union européenne a proposé 2030 comme horizon – leur contribution nationale. Nous espérons les avoir rassemblées au premier semestre 2015, si possible au premier trimestre.

Le premier signal tient à la conclusion d'un accord. Le deuxième signal réside dans l'engagement des pays à proposer un plan en faveur du climat pour 2025-2030 qui se décline en diverses politiques : la politique climatique mais aussi la fiscalité pour ceux qui vont utiliser des instruments comme la taxe carbone, les marchés carbone, les transports publics ou encore les innovations technologiques. Pour chaque État, il y a d'une part, les engagements pris au regard des pairs de la communauté internationale en matière de réduction des émissions et d'autre part, le corps de politiques déployées. C'est très important pour les acteurs économiques.

Lorsque les pays auront annoncé leurs objectifs en matière d'énergie propre ou d'énergies renouvelables, cela enverra un signal considérable aux marchés. Le pourcentage de véhicules électriques ou propres, l'intensité de l'effort dans les transports publics, la part d'énergies renouvelables, le nombre de bâtiments à énergie positive sont autant d'éléments susceptibles de redessiner les marchés mondiaux, de renseigner les acteurs économiques et de les rassurer.

L'accord doit s'accompagner d'un volet financier. Le Fonds vert a connu, il est vrai, un lent démarrage à New York. Nous attendons des annonces plus positives pour la fin du mois de novembre à Berlin. Réunir 7 milliards de dollars sur les 10 que nous escomptons au total serait un signe positif. Mais nous savons que certains États ne s'acquitteront de leur contribution que début 2015.

Parallèlement, il nous faut adresser des signaux économiques différents aux marchés financiers. En permettant aux marchés de mieux identifier les investissements dans les infrastructures énergétiques, l'efficacité énergétique, ou les transports publics, on peut espérer réduire la prime de risque qui pèse sur le coût des emprunts pour les pays désireux de s'engager dans la transition énergétique.

L'effort d'aide publique doit être adossé à une réforme progressive des signaux adressés aux marchés financiers pour que les investissements se reportent sur une économie sobre dès l'année prochaine. La France entend porter cette question au sein du G20 et auprès des banques multilatérales.

Quant à la contribution des acteurs non gouvernementaux, la grande innovation de cette négociation sur le climat réside dans l'idée que ces derniers ont leur mot à dire. Jusqu'à présent, il n'y avait pas d'espace pour ceux qui sont sur le terrain.

Dès Lima, nous espérons obtenir la création d'une plateforme pour donner, après 2020, une voix au chapitre aux collectivités, aux entreprises innovantes et aux institutions internationales. Cette plateforme leur permettrait de rapporter leurs efforts en faveur de la transition. Elle sera à la fois un lieu de démonstration et d'engagement.

Les gouvernements prendront des engagements et se reverront régulièrement – nous espérons tous les cinq ans – pour faire le point et examiner les solutions afin d'améliorer les propositions de chacun car le chemin à parcourir pour limiter la hausse des températures reste long. Les collectivités et les entreprises feront également tous les cinq ans le bilan de leur action et se projetteront dans l'avenir.

L'accord doit être porteur d'une vision partagée de l'avenir et d'une méthode pour faire converger les anticipations. Il s'apparente à une prophétie auto-réalisatrice.

Quant à l'agenda des solutions, on observe une mobilisation des acteurs économiques sans précédent.

Je souhaite conclure en montrant que nous avons beaucoup plus de chances de réussir qu'à Copenhague, en dépit des risques nombreux.

La plupart des pays sont infiniment mieux préparés qu'en 2009. Je pense en particulier aux pays émergents, notamment la Chine. Il y a un travail parlementaire considérable à faire avec la Chine. 2009 a été un choc, choc politique de la confrontation du vieux monde des pays développés avec les pays émergents, mais aussi choc pour les émergents dont la prise de pouvoir coïncidait avec de nouvelles responsabilités mondiales : la Chine est le premier émetteur de gaz à effet de serre ; d'ici à 2030, elle sera probablement le plus grand pays responsable des émissions globales.

Ce choc était dépourvu de solution politique. Mais, depuis 2009, de nombreux pays ont réfléchi à la transformation de leur économie. La préparation est importante dans les pays émergents et un changement est à l'oeuvre aux États-Unis.

Même si les élections n'ont pas été favorables à l'administration qui essaie de faire des efforts aujourd'hui, nombre d'États américains ont pris le chemin de la décarbonation de l'économie, pas seulement la Californie : les énergies renouvelables, l'amélioration des réseaux, les réseaux intelligents, les bâtiments à énergie positive se répandent avec un souci croissant de l'impact du changement climatique.

Le degré de préparation est donc sans précédent.

Des pays, qui s'étaient par le passé retrouvés sur une ligne défensive comme l'Inde, la Chine, le Brésil et l'Afrique du Sud commencent à diverger : l'Afrique du Sud et le Brésil penchent pour une bonne solution en 2015, l'Inde s'interroge sur la conduite à tenir et la Chine est décidée à avoir un accord à Paris. Le paysage politique a beaucoup changé ce qui me fait penser que les grands pays souhaitent arriver à un accord en décembre 2015. Tout l'enjeu est de conclure un accord, non pas au rabais, mais qui indique la direction.

On sait que cet accord ne donnera pas la solution pour respecter la limitation de la hausse à deux degrés Celsius en 2015 car les contributions des pays ne seront pas dès à présent à la hauteur de ce qu'il faut faire. Les émissions mondiales devraient déjà avoir commencé à diminuer. En revanche, nous devons nous entendre sur un cadre de discipline pour les pays, des solutions et une feuille de route. Il faut qu'à l'issue de la conférence de Paris, un plan ait été établi pour revenir à deux degrés, un plan partagé par les gouvernements, les collectivités et les entreprises, même si ce plan dessine une trajectoire qui fait l'objet de rendez-vous tous les cinq ans pour s'assurer qu'elle est respectée.

L'annonce européenne, qu'on aurait pu rêver plus ambitieuse, a eu un effet très positif vis-à-vis de nos partenaires. Nous sommes les premiers à afficher un chiffre ambitieux de réduction des émissions. Malgré la récession qui l'affecte, l'Europe affirme sa croyance dans une économie sobre en carbone. Le travail de mise en oeuvre de ce paquet européen est très important. On le sait, celle-ci est conditionnée à la conclusion d'un accord international en 2015. Mais c'est très bien ainsi : l'Europe montre qu'elle considère unilatéralement que la transition écologique est bonne pour elle et, en même temps, elle envoie un signal très positif à tous les pays qui doutent encore.

Il faut vaincre deux doutes : le premier, est-ce qu'on peut le faire, est-ce que nos sociétés sont prêtes à le faire ? À cet égard, plus on observe les pays se préparer à le faire, plus le doute se dissipe. Second doute, est-ce que les autres vont le faire ? Ce doute est précisément plus facilement dissipé aujourd'hui car nombreux sont les pays à souhaiter aboutir en décembre face à un risque climatique qui n'a jamais été autant appréhendé, on l'a vu le 23 septembre.

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